Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe
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СКАЧАТЬ qui allait jeter bien de l'amertume dans sa joie. Au mois de février 1617, le baron de Thorens, frère de son père spirituel et son propre gendre, ayant été conduire en Piémont le régiment de cavalerie dont il était colonel, y tomba malade et mourut en très-peu de jours, laissant sa jeune femme enceinte. La douleur de celle-ci fut telle que, surprise d'un accouchement avant terme, dans le monastère d'Annecy, où elle était venue chercher des consolations, on n'eut pas le temps de la transporter chez elle, et dans moins de vingt-quatre heures elle expira, à peine âgée de vingt ans, entre les bras de sa mère, après avoir reçu les sacrements de la main de saint François de Sales, et avoir voulu revêtir l'habit de l'ordre de la Visitation. A chaque épreuve la mère de Chantal s'avançait dans la voie de l'amour des souffrances et de la soumission parfaite aux volontés de la Providence. Ce double coup fut rude pour elle, mais elle chercha et trouva en Dieu la force dont elle avait besoin: «Quoique rien n'ait manqué à sa douleur, écrivait l'évêque de Genève à un membre de sa famille, rien n'a manqué à sa résignation168

      Madame de Chantal trouva encore des consolations dans les progrès toujours croissants de son ordre. Cette même année, elle alla avec son directeur fonder un couvent à Grenoble. L'année suivante, elle se rendit à Bourges, pour répondre à l'appel de son frère, qui demandait pareillement une maison, pendant que saint François de Sales partait pour Paris, où l'appelaient d'importantes affaires à traiter avec le clergé de France. La Mère passa six mois à Bourges, à recevoir des novices pour la formation du nouveau monastère. Elle était sur le point de revenir à Annecy, lorsque son directeur lui donna l'ordre de venir le trouver à Paris, où il était sollicité par un grand nombre de personnes notables, d'établir leur institut. Elle partit aussitôt, et arriva dans cette ville en mars 1619. Le 1er mai eut lieu l'établissement de la première maison de Paris, dans la rue Saint-Antoine, grâce aux bons soins et aux efficaces secours du pieux commandeur de Sillery, qui dès lors voulut être l'ami de madame de Chantal169.

      Celle-ci passa trois années consécutives à Paris: une entière avec l'assistance de saint François de Sales, et les deux autres aux prises avec les dégoûts et les tribulations que lui causèrent l'opposition des autres ordres religieux, jaloux de l'accueil fait à ces nouvelles venues, et l'humeur querelleuse et indocile de quelques novices, qu'elle parvint cependant à ramener par l'ascendant de son invincible douceur et de son éclatante sainteté.

      La mère de Chantal avait, au plus haut degré, l'art de la direction religieuse, le talent, puisé dans un cœur ardent et un esprit froid, d'attirer et de conduire les âmes, par le lien invisible et tout-puissant d'une vertu en quelque sorte magnétique, et d'une ineffable charité; quelque chose de cet irrésistible attrait que, dans une sphère plus haute et plus large, exerçait son doux et saint directeur. Sortie du monde, ayant beaucoup souffert, habile au gouvernement des affaires domestiques, experte dans la cure et le maniement des consciences, elle vit bientôt accourir à elle ces malades de l'âme, de l'esprit ou du cœur, qui, dérobant quelques instants au monde, venaient chercher dans les maisons religieuses des consolations et des conseils, en attendant qu'ils leur demandassent un port et l'oubli. Le cardinal de Bérulle lui amena la comtesse de Saint-Paul, à qui il avait promis de lui faire voir «une des plus grandes amantes que Dieu eût sur terre170.» A l'exemple de la comtesse de Saint-Paul, beaucoup de personnes de distinction se mirent sous la direction de la mère de Chantal171.

      Une femme, une religieuse comme elle, que son nom, sa piété, son esprit ont rendue célèbre, la mère Angélique Arnauld, voulut la connaître et recourir à l'ascendant de sa vertu pour l'aider à ramener l'ordre dans l'abbaye de Maubuisson, dont la difficile réforme lui avait été confiée. La mention de ces relations de la grand'mère de madame de Sévigné avec la sœur d'Arnauld d'Andilly et la tante de M. de Pomponne, deux des meilleurs amis de notre épistolaire, ne saurait être mal placée dans ce livre; et elles ne peuvent être omises dans la biographie que nous sommes en train de reconstruire aux yeux du lecteur.

      Ces relations s'établirent par l'intermédiaire de saint François de Sales, qui avait attiré à lui l'abbesse de Maubuisson et de Port-Royal avec cette promptitude sympathique qui avait marqué l'entraînement de madame de Chantal. Ayant appris que l'évêque de Genève était à Paris, au mois d'avril 1619, la mère Angélique le fit prier de venir donner la confirmation à Maubuisson. Il s'y rendit: «Si j'avois eu un grand désir de le voir, a-t-elle écrit depuis, sa vue m'en donna un plus grand de lui communiquer ma conscience, car Dieu étoit vraiment et visiblement dans ce saint évêque, et je n'avois point encore trouvé en personne ce que je trouvai en lui, quoique j'eusse vu ceux qui avoient la plus grande réputation entre les dévots172.» Sur la prière de la mère Angélique, il revint plusieurs fois à Maubuisson; il visita aussi Port-Royal, et approuva tout ce qu'il vit. «On a noté, dit l'exquis historien de ce monastère fameux, chaque circonstance, chaque mot de ces précieuses visites; Port-Royal y met un pieux orgueil; accusé, plus tard, dans sa foi, il se pare des moindres anneaux d'or qui le rattachent à l'incorruptible mémoire de ce saint. La famille Arnauld, par tous ses membres, se hâtait de participer au trésor, et de jouir du cher bienheureux… Il disait sur chacun une parole qu'on interpréta, dès lors, en prophétie: à en prendre le récit à la lettre, ce seraient autant de prédictions miraculeuses qui se sont l'une après l'autre vérifiées. Surtout il donna des directions attentives et particulières à la mère Angélique; il forma sa liaison avec madame de Chantal, l'institutrice de la Visitation, autre amitié sainte dont on se montrera très-glorieux: plusieurs lettres de l'une à l'autre attestent le commerce étroit de ces deux grandes âmes, comme on disait173

      Sans s'être vues, la mère Angélique et la mère de Chantal se trouvaient unies en saint François de Sales. Il les avait déjà mises en rapport, et elles s'étaient entretenues par lettres, lorsque la supérieure de Maubuisson pria la fondatrice de la Visitation de venir à son tour faire entendre à ses religieuses ce langage de l'humilité et de l'obéissance qu'elle savait si bien parler. Poussée par son directeur, qui eut à contraindre sa modestie, madame de Chantal se rendit à Maubuisson, et fit sur le troupeau de la mère Angélique une telle impression qu'ayant été saignée dans une de ses visites à cette abbaye, bientôt gagnée à la réforme et à la régularité, les religieuses se partagèrent comme une relique les linges imbibés de son sang174.

      Touchée de la perfection de madame de Chantal, et de plus en plus séduite par l'ascendant victorieux du fondateur de l'ordre de la Visitation, désireuse aussi de fuir la responsabilité et les honneurs de sa charge d'abbesse, la mère Angélique témoigna le désir d'entrer dans leur institut comme simple religieuse. Il y eut même, à cet égard, des consultations de docteurs pour savoir s'il était permis de changer ainsi de religion175. L'évêque de Genève n'approuva point ce projet. «Quand elle lui parla d'entrer dans l'ordre de la Visitation, ajoute l'historien de Port-Royal, il répondit avec humilité que cet ordre était peu de chose, que ce n'était presque pas une religion: il disait vrai, il avait cherché bien moins la mortification de la chair que celle de la volonté176.» L'un des biographes de la mère de Chantal donne un autre motif de ce refus, et il dit très-expressément que saint François de Sales ne se crut pas autorisé à favoriser un changement de religion177. Mais l'évêque de Genève n'en continua pas moins avec sollicitude à la mère Angélique Arnauld une part de son affectueuse direction, que celle-ci aimait à se figurer égale à celle de la supérieure de l'ordre de la Visitation. «Ce saint prélat (disait-elle trente-quatre ans après à son neveu, M. le Maître, en se rappelant non sans charme cette bienheureuse époque) m'a fort assistée, et j'ose dire qu'il m'a autant honorée de son affection et de sa confiance que madame de ChantalСКАЧАТЬ



<p>168</p>

COLIGNY, Vie, etc. —Lettres de madame de Rabutin Chantal. Ed. nouvelle par M. Édouard de Barthélemy, auditeur au conseil d'État. Paris, 1860, chez J. Lecoffre, t. Ier, p. 7.

<p>169</p>

Les premières religieuses séjournèrent quelque temps rue Saint-Michel avant d'aller s'installer définitivement sur l'emplacement des écuries de l'hôtel Zamet, situé près de la Bastille. (P. FICHET, p. 333.)

<p>170</p>

HENRI DE MAUPAS, p. 337.

<p>171</p>

P. FICHET, p. 334. —Abrégé, etc., p. 37.

<p>172</p>

Port-Royal, par M. Sainte-Beuve, t. Ier, p. 220.

<p>173</p>

SAINTE-BEUVE, ibid., p. 221.

<p>174</p>

P. FICHET, p. 338. – HENRI DE MAUPAS, p. 346.

<p>175</p>

Lettres inédites de saint François de Sales, publiées par M. le chevalier DATTA. Paris, 1835, t. II, p. 120. – SAINTE-BEUVE, Port-Royal, t. Ier, p. 221.

<p>176</p>

SAINTE-BEUVE, tome Ier, p. 249.

<p>177</p>

HENRI DE MAUPAS, p. 345.