Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6 - Aubenas Joseph-Adolphe страница 10

СКАЧАТЬ maître, avait pris les devants pour tout disposer, et faciliter le siége des places que le roi voulait conquérir, car c'était par des siéges que toutes les campagnes commençaient: de part et d'autre on hésitait fort à livrer bataille.

      C'est dans la correspondance de madame de Sévigné et de ses amis, écho et miroir fidèle de ce temps, que l'on voit bien ce que c'était que la guerre alors, et quelle situation était faite aux parents et aux amis restés à Paris, et vivant de nouvelles lentes à cheminer, qu'on se communiquait, que l'on recherchait avidement, pour savoir d'abord, et ensuite pour instruire les parents et les amis répandus dans les provinces. La publicité du temps était impuissante à satisfaire l'impatience légitime de chacun. Il n'y avait pas, comme aujourd'hui, de feuille régulière pour apprendre au public, jour par jour, les événements dignes d'intérêt. La Gazette ne paraissait que toutes les semaines, et le Mercure tous les mois. De là la multiplicité, l'importance des correspondances privées, l'industrie pour se procurer à qui mieux mieux de plus amples renseignements, le soin de tout reproduire, faits, rumeurs, conjectures. C'est ce qui, pour l'histoire de la société du dix-septième siècle, donne tant de prix aux lettres de madame de Sévigné, et il faut ajouter, surtout depuis sa dernière et complète publication, à la correspondance de Bussy-Rabutin.

      La guerre de 1676 avait un double théâtre, la Flandre, où nous désirions prendre quelques places nouvelles, et l'Allemagne, où nous voulions conserver Philisbourg, enlevé l'année précédente aux Impériaux. Il fallut quelques jours pour laisser aux événements le temps de se dessiner. On ignorait complétement à Paris ce qui allait se produire: «On croit, mande à sa fille madame de Sévigné, que le siége de Cambrai va se faire; c'est un si étrange morceau, qu'on croit que nous y avons de l'intelligence. Si nous perdons Philisbourg, il sera difficile que rien puisse réparer cette brèche, vederemo. Cependant l'on raisonne et l'on fait des almanachs que je finis par dire l'étoile du roi surtout75.» Le politique Corbinelli ajoute: «On parle fort du siége de Condé, qui sera expédié bientôt, afin d'envoyer les troupes en Allemagne, et de repousser l'audace des Impériaux qui s'attachent à Philisbourg. Les grandes affaires de l'Europe sont de ce côté-là. Il s'agit de soutenir toute la gloire du traité de Munster pour nous ou de la renverser pour l'Empire76.» C'était cela, en effet, il n'était question de rien moins que de l'influence, de la prépondérance de la France en Europe, œuvre commune de Richelieu, de Mazarin et de Louis XIV.

      Dix jours se passèrent sans courrier de l'armée. Tout d'un coup, le 29 avril, la nouvelle de la prise de Condé vint réjouir Paris. Madame de Sévigné, qui à chaque lettre tient mieux sa plume, l'annonce elle-même: «Il faut commencer par vous dire que Condé fut pris d'assaut la nuit de samedi à dimanche (26 avril). D'abord cette nouvelle fait battre le cœur; on croit avoir acheté cette victoire; point du tout, ma belle, elle ne nous coûte que quelques soldats, et pas un homme qui ait un nom. Voilà ce qui s'appelle un bonheur complet… Vous voyez comme on se passe bien des vieux héros… Mon Dieu que vous êtes plaisants, vous autres, de parler de Cambrai! Nous aurons pris encore une ville avant que vous sachiez la prise de Condé. Que dites-vous de notre bonheur qui fait venir notre ami le Turc en Hongrie? Voilà Corbinelli trop aise; nous allons bien pantoufler77;» mot créé entre eux, pour désigner leurs grandes causeries politiques, en petit comité, dans la ruelle de la marquise encore à sa toilette du matin.

      Vous voyez comme on se passe des vieux héros. Ce n'est pas à dire que madame de Sévigné, donnant gain de cause à ceux qui l'accusent de versatilité, soit déjà infidèle à ses vieilles admirations. Elle répond à la pensée qui préoccupait tout le monde, et, dans son patriotisme, se félicite de voir que la mort de Turenne et la retraite de Condé, n'ont point interrompu nos succès. Peut-être y a-t-il là, en plus, le souci des indiscrétions de la poste qui, dès lors, professait une curiosité officielle, passée en tradition: parfois, en effet, on rencontre chez madame de Sévigné quelque éloge du roi, brusquement amené, qui semble plutôt un acte de précaution qu'un hommage de courtisan78.

      Le 1er mai, madame de Sévigné fit connaître à sa fille que Sévigné l'instruisait qu'ils allaient assiéger Bouchain avec une partie de l'armée, «pendant que le roi, avec un plus grand nombre, se tiendrait prêt à recevoir et à battre le prince d'Orange79.» Elle ne connut que le 19 le résultat de cette nouvelle expédition. A cette date elle annonce qu'on lui mande «que Bouchain étoit pris aussi heureusement que Condé, et qu'encore que le prince d'Orange eût fait mine de vouloir en découdre, on est fort persuadé qu'il n'en fera rien80

      Désireux à la fois de défendre son pays et de se faire, par la guerre, une réputation favorable à ses ambitieux desseins, Guillaume d'Orange poussait en avant la coalition déjà hésitante et divisée. Le chevalier Temple, qui a eu le secret des confédérés, nous apprend que, dès 1674, ce jeune prince, de bonne heure si résolu et toujours si tenace, avait voulu trouver en Flandre, un chemin ouvert pour entrer en France; «car là, dit-il, les frontières sont sans défense81.» Condé l'en empêcha à Senef, cette victoire plus considérable par le résultat que par le succès. «Alors commencèrent, ajoute le même, les divisions entre les principaux officiers de l'armée confédérée, dont les suites ont été si fatales pendant tout le cours de la guerre, et qui ont fait avorter tous leurs desseins82.» Dans le cours de l'année suivante, Guillaume d'Orange essaya en vain de remettre l'union parmi ces armées composées d'Allemands, d'Espagnols, de Hollandais, et où les ordres et les plans de l'Empereur, des princes de Lorraine, du marquis de Brandebourg, du Palatin se contrariaient et se croisaient sans cesse, pendant que le souverain de la Grande-Bretagne, médiateur tiède et suspect aux deux partis, se faisait l'entremetteur d'une paix qu'il ne paraissait pas au fond désirer davantage que le chevalier Temple, son habile et partial ambassadeur. Au milieu des hostilités, en effet (1675), Nimègue avait été désignée pour y ouvrir, sous les auspices de l'Angleterre, une conférence européenne. Mais les plénipotentiaires ne s'y rendirent qu'au mois de mars de l'année suivante83; et cette campagne de Flandre, commandée par Louis XIV en personne, et où chaque parti, faisant appel à toutes ses ressources, cherchait par les armes une solution prompte et définitive, venait de s'ouvrir presqu'en même temps que les négociations auxquelles on demandait une issue pacifique de la lutte, de cette lutte à outrance (honneur traditionnel et perpétuel péril de la France) d'une seule puissance contre toutes.

      Le prince d'Orange avait entamé la nouvelle campagne «avec la résolution et l'espérance de l'inaugurer par une bataille84.» Une bataille rangée, c'était le plus grand effort, la plus grande difficulté, et, en cas de succès, le plus grand mérite et la plus grande gloire. Condé, Turenne gagnaient des batailles, et l'on avait admiré leurs victoires comme œuvre de génie, de combinaison, de grande stratégie, d'audace et de prudence à la fois. Les généraux de moindre mérite ne s'attaquaient qu'aux places: ils essayaient un siége, où sans doute on pouvait et il fallait déployer de véritables et solides qualités militaires, mais qui offrait moins d'imprévu, moins de chances désastreuses qu'une lutte en rase campagne. Privés du secours des deux vaillantes épées habituées jusque là à fixer la victoire, Louis XIV et Louvois avaient mis dans leur plan de n'entreprendre que des siéges, et de ne risquer qu'à l'extrémité une action générale qui pouvait être malheureuse et devait être décisive; lorsque, surtout, la conquête des places offrait en perspective des résultats aussi sûrs, quoique plus lents.

      C'est dans ces dispositions réciproques que Louis XIV et le prince d'Orange, chacun à la tête de leur armée, se rencontrèrent le 10 mai 1676, le roi de France protégeant le siége de Bouchain, que faisait Monsieur, son frère, et le chef СКАЧАТЬ



<p>75</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (15 avril 1676), t. IV, p. 256.

<p>76</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (17 avril 1676), t. IV, p. 263.

<p>77</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (29 avril 1676), t. IV, p. 271-274.

<p>78</p>

Voy. Lettres de la Palatine (duchesse d'Orléans), p. 121.

<p>79</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 277.

<p>80</p>

SÉVIGNÉ, Lettres, t. IV, p. 303.

<p>81</p>

Mémoires du chevalier Temple, Collection Michaud, t. XXXII, p. 82.

<p>82</p>

Mémoires du chevalier Temple, p. 84.

<p>83</p>

Mémoires du chevalier Temple, p. 108.

<p>84</p>

Mémoires du chevalier Temple, p. 106.