Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Vol. 6. Aubenas Joseph-Adolphe
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СКАЧАТЬ type="note">150;» témoignant par l'énergie de ces paroles de l'abandon absolu de sa volonté et de toutes les facultés de son être entre les mains de son doux mais tout-puissant directeur, représentant, à ses yeux, de Dieu sur la terre. Aussi le pieux cardinal de Bérulle, qui la connut alors, et qui eut occasion de l'entretenir à Dijon, répétait-il: «Le cœur de cette dame est un autel où le feu de l'amour divin ne s'éteint point151

      Au mois d'octobre de cette année, saint François de Sales ramena le baron de Thorens au château de Montholon pour y célébrer son mariage avec mademoiselle de Chantal. L'évêque donna lui-même aux époux la bénédiction nuptiale dans la chapelle du château. Toute la famille Frémiot s'y trouvait réunie. «Le lendemain des noces, ajoute l'un des biographes, madame de Chantal pria le président, son père, et son frère l'archevêque de Bourges, de conférer de son dessein avec le saint prélat. Ils s'enfermèrent tous trois pour cela, et une heure après ils firent appeler madame de Chantal, qui leur parla avec tant de sagesse et de fermeté, leur fit voir si nettement le bon ordre qu'elle avoit mis dans la maison de ses enfants, qu'elle laissoit sans dettes et sans procès, que son discours (soutenu de l'avis du saint évêque, et des fortes raisons qu'il avoit de croire que l'attrait de madame de Chantal venoit de Dieu seul) fit conclure au président et à l'archevêque de Bourges que c'étoit un ouvrage divin, et que leur résistance seroit coupable, s'ils s'opposoient davantage à ce dessein152.» Époque de foi où tout le monde, pères, frères, enfants, sacrifient sans hésiter, quoiqu'en gémissant, les affections les plus légitimes, les liens les plus chers, à ce qu'on croit reconnaître pour la voix du ciel et le dessein de la Providence.

      Saint François de Sales fit part au président Frémiot et à l'archevêque du projet que depuis deux ans il avait formé de fonder, par l'intermédiaire de madame de Chantal, un nouvel institut, consacré au service des pauvres et des malades. Le président demanda alors que la maison mère de l'ordre fût établie à Dijon, pour conserver sa fille auprès de lui. Mais celle-ci prit la parole, et demanda à son tour que cette fondation eût lieu à Annecy, afin de placer les premières religieuses et elle-même à portée des lumières, des conseils et de la surveillance du saint instituteur. Elle invoqua, en outre, la nécessité d'être dans le voisinage de sa fille, destinée à aller vivre dans le château de Thorens près d'Annecy, pour diriger son inexpérience dans la conduite d'une maison153. Elle ajouta qu'elle se proposait d'élever ses deux filles cadettes auprès d'elle, confiant l'éducation de son fils à ses deux grands-pères, et elle leur assura, en terminant, qu'elle s'empresserait de venir en Bourgogne toutes les fois que les intérêts de ses enfants l'exigeraient. Saint François de Sales leur donna, de son côté, l'assurance que la baronne de Chantal «seroit plus attentive que jamais au bien et à l'établissement de ses enfants, comme à un devoir indispensable154.» Sous l'empire de cette parole si autorisée, le père et le frère se résignèrent enfin, reconnaissant dans la courageuse veuve tous les caractères d'une éclatante vocation, qui leur semblait, en effet, ne pouvoir venir que d'en haut. Délivré de cette oppression domestique, qui avait rendu si pénible à sa belle-fille la vie du château de Montholon, et maintenant, comme tous les autres, pris d'admiration pour tant de vertus, le baron de Chantal fut long à se décider à cette séparation; il y consentit pourtant, et le jour en fut fixé à trois mois de là.

      En avril 1610, le baron de Thorens, qui avait reconduit saint François de Sales à Annecy, étant revenu pour prendre sa femme et sa belle-mère, il fallut se résoudre à ce départ redouté de tous, et par celle qui s'éloignait au moins autant que par sa famille. Au moment de quitter le château de Montholon, elle se mit à genoux devant son beau-père, lui demanda pardon, dans le cas où, malgré son soin de lui plaire, elle l'aurait offensé, le pria de lui donner sa bénédiction, et lui recommanda son fils. Le vieux baron de Chantal, alors âgé de quatre-vingt-six ans et qui ne devait vivre que deux années encore, les yeux baignés de larmes, ne put que la relever et la presser tendrement sur son cœur. Les habitants de la terre de Montholon, les pauvres surtout, voyant partir leur ange consolateur, se livraient à des démonstrations qui la touchèrent profondément155. Mais les plus grandes épreuves l'attendaient à Dijon, où tous ses proches et les amis de sa famille s'étaient réunis chez le président Frémiot pour lui faire leurs adieux.

      Cette scène offre une grandeur biblique digne des temps de la foi héroïque. Il faut la prendre, sans y rien ôter et sans y rien mettre, dans le style simple et touchant de deux des historiens de madame de Chantal, dont les récits se complètent l'un par l'autre:

      «Madame de Chantal étant arrivée à Dijon, elle se fortifia de la sainte communion contre la faiblesse qu'elle s'attendoit d'éprouver dans la séparation de ce qu'elle avoit de plus cher; et enfin, ce moment venu, elle dit adieu à tous ses proches avec constance; puis, voyant venir à elle son père, dont la blanche vieillesse et les larmes lui donnoient une extrême pitié, ils se parlèrent assez longtemps avec abondance de pleurs de part et d'autre. Enfin, s'étant mise à genoux pour recevoir sa bénédiction, il leva ses yeux, ses mains et son cœur au ciel, et dit tout haut ces propres paroles: «Il ne m'appartient pas, ô mon Dieu! de trouver à redire à ce que votre providence a conclu en son décret éternel; j'y acquiesce de tout mon cœur, et consacre de mes propres mains, sur l'autel de votre volonté, cette unique fille qui m'est aussi chère qu'Isaac à votre serviteur Abraham!» Sur cela, il la fit lever et lui donna le dernier baiser de paix: «Allez donc, dit-il, ma chère fille, où Dieu vous appelle, et arrêtons tous deux le cours de nos justes larmes, pour faire plus d'hommage à la divine volonté, et encore afin que le monde ne pense point que notre constance soit ébranlée.» Le jeune Chantal, son fils, âgé seulement de quinze ans, courut à elle, se jeta à son cou, et ne la vouloit point quitter, espérant de l'attendrir et de l'arrêter par tout ce qu'on peut dire de plus touchant pour cela; mais, ne pouvant réussir, il se coucha au travers de la porte par où elle devoit sortir: «Je suis trop foible, lui dit-il, madame, pour vous retenir, mais au moins sera-t-il dit que vous aurez passé sur le corps de votre fils unique pour l'abandonner.» La sainte veuve fut touchée, et pleura amèrement en passant sur le corps de ce cher enfant; mais, un moment après, ayant peur qu'on n'attribuât sa douleur au repentir de son entreprise, elle se tourna vers la compagnie, et, avec un visage serein: «Il faut me pardonner ma foiblesse, dit-elle, je quitte mon père et mon fils pour jamais, mais je trouverai Dieu partout156

      De telles résolutions, de tels sacrifices, de semblables victoires, sont aujourd'hui peu dans nos mœurs et nos idées. Valons-nous mieux? aimons-nous mieux les nôtres? avons-nous plus d'esprit de famille, plus de respect pour les parents, plus de sollicitude pour les enfants? Qui voudrait le dire, et qui voudrait refuser le titre de mère à cette âme brûlée de l'amour divin, plus soucieuse du salut éternel des siens que de leur bonheur passager dans ce monde, et croyant, par son sacrifice, leur assurer mieux les moyens de parvenir à ce but suprême qui est aussi son but? Madame de Sévigné, sans doute, était de celles que tant de renoncement et de vertu ne pouvait séduire. Elle a peu parlé de sa sainte aïeule, ou du moins, les lettres où elle l'a fait ne nous sont pas parvenues; mais, dans ce qu'elle en dit, on voit qu'elle se contente d'admirer sans approuver et sans blâmer, elle, presque une héroïne de l'amour maternel, tel que la nature l'inspire, tel que la religion, dans sa règle commune, l'enseigne.

      La baronne de Chantal quitta Dijon avec M. et madame de Thorens et sa seconde fille, la troisième étant morte depuis peu. Après un voyage heureux, elle arriva à Annecy, et trouva, à deux lieues de la ville, saint François de Sales et les principaux habitants, réunis pour la recevoir. Elle alla installer sa fille au château de Thorens, et, deux mois après, revint, toutes ces séparations de famille accomplies, se remettre définitivement entre les mains de son saint directeur, et tout disposer pour la fondation religieuse projetée entre eux. Plus que jamais en admiration devant cette âme toute en Dieu, l'évêque de Genève écrivait alors à un de ses amis: «Mon СКАЧАТЬ



<p>151</p>

Ibid., p. 175.

<p>152</p>

Abrégé de la vie, etc., p. 21, d'après les Mémoires de madame de Chaugy. —Histoire de saint François de Sales, par M. Hamon, t. II, p. 25.

<p>153</p>

P. FICHET, p. 199.

<p>154</p>

MADAME DE COLIGNY, Vie de sainte Chantal.

<p>155</p>

Mémoires de madame de Chaugy. – HAMON, Hist. de saint François de Sales, t. II, p. 30.

<p>156</p>

HENRI DE MAUPAS, p. 203. – Conf. aussi Lettres de saint François de Sales (éd. de Blaise), no CXCVIII. – FICHET, p. 208. —Mémoires de madame de Chaugy dans HAMON, t. II, p. 32. – COLIGNY, Vie de la B. de Chantal.