Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie. Berthier Louis-Alexandre
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Название: Mémoires du comte Reynier … Campagne d'Égypte, deuxième partie

Автор: Berthier Louis-Alexandre

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/39325

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СКАЧАТЬ entre eux par les chefs de ces corps et le pacha, étaient chargés de la police des provinces, et admis aux délibérations du divan, qui servait de contre-poids à l'autorité du pacha. Les grands officiers du gouvernement, voulant augmenter leur puissance, achetèrent des mameloucks. Ibrahim-Kiaya, qui en possédait le plus grand nombre, et qui sut s'attacher les propriétaires des autres, s'en servit pour s'élever, se fit craindre et gouverna l'Égypte. Après sa mort, les beys, qu'il avait accoutumés à l'exercice de l'autorité, voulurent en jouir; Ali-Bey, supérieur en talens et en caractère à tous les autres, devint chef, et se rendit indépendant. La Porte rétablit bien un pacha, mais les mameloucks, habitués à régner sur l'Égypte, ne lui laissèrent que l'apparence de l'autorité.

      Tous les mameloucks achetés par un chef, ou même par un de ses affranchis, sont regardés comme de sa famille et lui donnent le nom de père; c'est ce qui forme les grandes distinctions du corps des mameloucks. Ceux qui parviennent à jouer un rôle à leur tête, et qui y restent assez long-temps pour acheter beaucoup d'esclaves et pour les avancer, deviennent chefs de maison.17

      Les affranchis et les esclaves d'un même maître se regardent comme frères; mais, à la mort de leur maître, les principaux sont souvent divisés d'intérêts, la faveur qu'ils ont eue de son vivant déterminant leur richesse et leur pouvoir. Celui qui en a le plus acquiert la plus grande influence, et ceux de ses frères qui ne peuvent pas lui disputer l'autorité le reconnaissent pour chef. Si plusieurs sont égaux en force, ils se font la guerre jusqu'à ce que l'un des deux succombe, ou qu'ils s'accordent par le partage de l'autorité.

      Tous les mameloucks actuels sont de la maison d'Ibrahim-Kiaya; Ali-Bey, et Mohamed-Bey Aboudahab se disputèrent l'autorité, et l'exercèrent successivement. La maison d'Ali-Bey existe encore dans les mameloucks d'Hassan-Bey et d'Osman-Bey Hassan, qui, à l'arrivée des Français, étaient réfugiés dans le Saïd. Ibrahim-Bey et Mourâd-Bey, principaux esclaves de Mohamed-Bey Aboudahab, avaient fini leur longue querelle par gouverner ensemble l'Égypte; ils ont formé depuis deux maisons.

      Des marchands turcs amènent des esclaves de Constantinople en Égypte: on les choisit depuis six jusqu'à seize et dix-sept ans18. Achetés par les beys, par les kiachefs et les mukhtesims, ils sont, pendant leur enfance, employés au service personnel; leur éducation est toute militaire, c'est elle qui leur donne l'adresse, la force et la souplesse qui les distinguent dans les exercices du corps, l'équitation et le maniement des armes: devenus assez forts et assez exercés, ils montent à cheval; c'est alors qu'ils sont employés dans les expéditions, et que, suivant le degré d'affection qu'ils inspirent, on les attache à la garde plus particulière de leur maître.

      Lorsque, pour récompenser leurs services, leur maître les affranchit, ils quittent sa maison, reçoivent de lui des propriétés, souvent même il les marie à l'une de ses esclaves; ils ont alors le droit d'acheter des mameloucks, et cessent d'être employés au service intérieur; mais ils sont toujours prêts à obéir à leur maître, et le suivent à la guerre. La permission de laisser croître leur barbe est le signe extérieur de leur liberté. Quoique le nombre des kiachefs fût fixé, et que le corps des beys dût les choisir sous la confirmation du pacha, ceux qui avaient de l'influence nommaient leurs créatures, et les faisaient reconnaître par les autres. Les vingt-quatre beys étaient choisis parmi les kiachefs; lorsqu'une de ces places était vacante, ils en proposaient un au pacha, qui le confirmait; dans les derniers temps c'était une simple formalité, et le chef de maison le plus puissant nommait des beys de sa famille. Mourâd et Ibrahim, lorsqu'ils partagèrent le gouvernement, s'accordèrent pour avoir un nombre à peu près égal de beys.

      Une grande carrière est donc toujours ouverte à l'ambition des mameloucks: d'esclaves ils peuvent devenir beys, chefs de maison, et même souverains de l'Égypte. Leurs moyens de parvenir sont l'attachement, le zèle et l'obéissance; la force et l'adresse dans les exercices militaires, la bravoure dans les combats; ils obtiennent ainsi la faveur de leur maître: des richesses et la liberté. Devenus kiachefs, ils peuvent obtenir des commandemens de provinces ou des expéditions, dans lesquelles ils pressurent les fellâhs et les Arabes: ils accumulent alors l'argent nécessaire pour acheter et entretenir un grand nombre d'esclaves. La considération qu'ils ont acquise, la crainte qu'inspire une force militaire imposante, et les richesses, les conduisent ensuite aux premiers emplois.

      Les guerres entre les mameloucks des différentes maisons, dont les chefs se disputaient le gouvernement, entraînaient la chute d'un parti, qui se retirait dans la Haute-Égypte. Les vaincus étaient proscrits, leurs biens confisqués19, et leurs beys étaient remplacés au divan par des kiachefs du parti victorieux, qu'on nommait beys à leur place. Le chef de la maison dominante, outre ce qu'il possédait par lui-même, devenait de cette manière possesseur d'une grande partie des villages de ses adversaires; il en obtenait encore par des concessions qu'il forçait les mukhtesims à lui faire, et par la succession des gens de sa maison qui mouraient sans héritiers. Il se servait de toutes ses propriétés pour augmenter ses propres revenus, pour enrichir ses créatures, et pour rendre sa maison plus puissante.

      Les beys et les kiachefs recevaient chaque année le gouvernement de quelque province ou arrondissement. Ils y allaient faire une tournée pour forcer le paiement des impositions dues au gouvernement et aux mukhtesims, soumettre les Arabes et maintenir la police; mais leur intérêt propre les occupait bien davantage que les affaires publiques; ils s'appliquaient à percevoir les droits qui leur étaient alloués, saisissaient toutes les occasions de faire des avanies ou d'ordonner des amendes, forçaient les Arabes à leur offrir des présens, et nourrissaient leurs troupes aux dépens des villages.

      Outre les mameloucks, tous à cheval, les beys et le gouvernement entretenaient quelques gardes à pied, etc. Fidèle à la politique turque de donner rarement une autorité militaire aux hommes du pays, cette infanterie, peu nombreuse, n'était pas composée d'Égyptiens, mais d'hommes de la partie occidentale de la Barbarie et d'Albanais. Ils étaient chargés en sous-ordre des mameloucks, de la garde des villes et de la police des villages des beys qui les avaient à leur solde.

      Le pacha, envoyé de Constantinople, était bien censé le chef du gouvernement de l'Égypte; mais les beys, maîtres de toute l'autorité, ne lui laissaient que les marques honorables de sa place20. Je me dispenserai donc d'en parler, ainsi que des autres officiers et des effendis, envoyés par la Porte pour régler des comptes, que les beys faisaient toujours arranger de manière qu'on n'eût rien à envoyer à Constantinople.

      Les revenus des mameloucks se composaient de ceux qui leur étaient particuliers et de ceux du gouvernement.

      Les revenus particuliers étaient ceux des villages qui appartenaient aux beys, kiachefs et mameloucks comme mukhtesims; les différens droits qu'ils percevaient dans leur commandement, les avanies, les amendes, les présens qu'ils exigeaient. Les Cophtes ont toujours eu l'adresse de se rendre nécessaires; chaque bey, chaque mukhtesim en employait un par village, qui tenait les rôles de contributions et les percevait en son nom. Le bey propriétaire de plusieurs villages, avait un Cophte supérieur aux autres, qui était à la fois son intendant et son secrétaire. Ce dernier se dédommageait sur les subalternes et sur les fellâhs des humiliations qu'il devait supporter.

      Les revenus publics se composaient du miry ou impôt territorial, que les mukhtesims percevaient et versaient entre les mains d'effendis envoyés de Constantinople, mais obligés d'obéir aux beys; des douanes; des droits sur le commerce intérieur; de la ferme de certaines exploitations; de la capitation des chrétiens, etc. Ces divers droits, à l'arrivée des Français, étaient affermés, les douanes à des chrétiens de Syrie, les droits intérieurs à des négocians musulmans, les exploitations et le commerce du natron et du séné à des Francs, etc., etc. Ces revenus publics étaient affectés aux dépenses du gouvernement. L'excédant devait être envoyé à Constantinople; mais les beys principaux СКАЧАТЬ



<p>17</p>

Je ne parle pas de la postérité des mameloucks, et cela doit surprendre. On serait porté à penser que les chefs devraient naturellement chercher à transmettre l'autorité à leurs enfans; mais cela n'est point chez les mameloucks: leurs fils ne remplissent presque jamais de rôle important; ceux même que la faveur de leur père a fait parvenir ne sont pas estimés. Deux causes morales entraînent l'extinction prématurée de leur race: d'abord, l'opinion de la préférence à donner aux esclaves sur l'homme de famille; ensuite, le mépris qu'inspire en général aux mameloucks l'habitant oisif des villes, élevé dans le harem par les femmes. Les mameloucks ne regardent pas leur fils comme leur successeur, comme l'appui de leur vieillesse; la naissance de celui-ci n'est pas un motif d'attachement pour la mère; et les femmes, jalouses de conserver leurs charmes, suivent l'usage, très commun en Orient, de se faire avorter. On doit peut-être attribuer aussi cette extinction de la postérité des mameloucks au climat d'Égypte, qui repousse la reproduction des races étrangères. Les observations des médecins, particulièrement celles du citoyen Desgenettes, sur la naissance et la mortalité des différens âges, peuvent jeter un grand jour sur cette question.

<p>18</p>

Ces esclaves sont de divers pays; il en est de Russes, d'Allemands, pris à la guerre; mais les plus nombreux et les plus estimés sont Géorgiens, Circassiens et des autres parties du Caucase: ces derniers parviennent plus souvent que les autres aux premiers emplois. Cette domination d'hommes originaires du Caucase sur l'Égypte est digne de remarque. En remontant aux premiers temps historiques, on la voit conquise par Cambyse, et gouvernée par des Persans sortis de ces montagnes. Les mameloucks y régnèrent après les califes. Ils furent remplacés par des Turcs, également originaires du Caucase: aucun monument historique ne prouve que la conquête de Cambyse n'a pas été précédée de quelque autre émigration des habitans de ces montagnes; des traditions parlent à la vérité des conquêtes faites par Sésostris: mais d'après la répugnance que les Égyptiens ont montrée constamment à quitter les rives du Nil, peut-on penser que ce fut avec des émigrations sorties de l'Égypte que Sésostris fit ces conquêtes, tandis que, depuis les temps historiques, on voit au contraire la population du Caucase fournir des soldats à l'Égypte? Cette observation ne préjuge rien sur une question long-temps discutée, celle de l'origine du peuple égyptien et de son antiquité, ainsi que de l'influence qu'il eut dès les temps les plus reculés, comme berceau des arts et des sciences, sur la civilisation et l'instruction des autres peuples. Il peut avoir reçu des soldats du Caucase sans être originaire de l'Asie. Une classe supérieure, chargée de l'administration, du gouvernement et de la religion du pays, peut avoir été instruite dans les sciences (et l'avoir été exclusivement au reste du peuple), sans en avoir reçu les principes d'aucune nation étrangère. Quelques sages ont pu sortir de l'Égypte, instruire d'autres peuples, les civiliser, et, en les gouvernant, diriger leurs conquêtes, sans que ces colonies et ces conquêtes aient été faites par des émigrations considérables de ce pays.

Si les ruines magnifiques des temples de la Haute-Égypte sont des monumens d'habileté dans les arts et d'instruction dans les sciences, n'en sont-ils pas aussi de l'esclavage et de la superstition de la classe inférieure du peuple? Des zodiaques sculptés sur quelques uns de ces temples, et par le moyen desquels on a déterminé le siècle de leur construction; l'observation que les plus anciens sont les plus rapprochés des cataractes et des sources du Nil, et que les figures peintes et sculptées sur ces monumens ont le caractère africain, sont des faits dont on pourrait conclure que la population de l'Égypte, ou plutôt la classe qui y a porté la civilisation et les arts, est venue de l'intérieur de l'Afrique, en descendant le Nil.

<p>19</p>

Il faut remarquer que, dans toutes ces révolutions, les biens et la personne des femmes de mameloucks et de beys proscrits étaient toujours respectés: elles continuaient de vivre tranquilles au Caire, y touchaient leurs revenus et envoyaient des secours à leurs maris. C'est pour cette raison que les beys donnaient ordinairement à leurs femmes des villages et des propriétés considérables.

<p>20</p>

L'organisation des armées turques, composées de milices nombreuses, lorsqu'on les rassemble pour une expédition, mais qui se dispersent aussitôt qu'il n'y a plus qu'à conserver, contribue à rendre le pouvoir des pachas très faible et surtout passager. La Porte se réveille quelquefois et songe à rétablir son autorité; elle envoie des armées qui y réussissent; mais aussitôt que le pacha a repris tous ses droits, les soldats retournent chez eux. Réduit alors à ceux qu'il doit entretenir de ses revenus, et que, par avarice, il borne à un très petit nombre, il retombe dans l'avilissement; et les mameloucks, qui s'étaient éloignés pendant la présence de l'armée turque, reviennent envahir de nouveau toute l'autorité. Il y en a plusieurs exemples, notamment après l'expédition que le capitan-pacha fit, en 1788, contre Ibrahim et Mourâd-Bey, en s'appuyant du crédit et des mameloucks d'Ismaïn-Bey.