Les Troubadours. Anglade Joseph
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les Troubadours - Anglade Joseph страница 4

Название: Les Troubadours

Автор: Anglade Joseph

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ profonde qu'a produite dans les mœurs le développement de l'esprit chevaleresque et courtois. Il semble que cette transformation se soit produite plus rapide et plus complète dans la société féodale du Midi de la France. Pour quelles raisons y prisait-on plus qu'ailleurs l'ensemble de ces qualités que l'on dénommait du gracieux nom de «courtoisie», mot qui nous est resté mais qui s'est singulièrement affaibli? Il n'est pas très facile de l'expliquer. Peut-être le caractère fut-il, à cette époque, dans ces régions, plus gai et plus léger, l'esprit plus vif et plus alerte, et surtout la vie plus facile et plus large. Ceci est possible: ce qui est moins probable c'est que le climat y soit pour quelque chose, comme l'ont cru trop d'historiens étrangers qui voient les pays du Midi, qu'il s'agisse de la Grèce, de l'Italie ou du Midi de la France, à travers leur rêve d'hommes du Nord.

      Ce qui est certain enfin c'est que dès les débuts la poésie provençale refléta les idées et les mœurs de ces milieux. C'est dans la conception de l'amour surtout que ces idées diffèrent de celles des âges précédents et que la société féodale méridionale est en avance sur celle du Nord. Les idées chevaleresques du temps avaient contribué à relever la condition de la femme, comme l'avait fait jadis le christianisme. Elle devint dans la plupart des pays où se développa l'esprit de la chevalerie un objet de respect et d'adoration. C'est dans le Midi de la France que cette évolution se produisit d'abord avec le plus d'éclat. Les troubadours ont créé par leur théorie de l'amour courtois un véritable culte de la femme. Le mot ne paraîtra pas trop fort, quand nous aurons examiné cette théorie, que nous en aurons étudié le développement et que nous verrons l'amour profane ainsi conçu se transformer presque insensiblement en dévotion à la Vierge. Cette évolution est régulière; elle est sortie sans effort de la conception primitive.

      C'est le développement de ce thème de l'amour courtois qui a fait l'originalité de la poésie des troubadours. C'est à lui qu'elle doit et son éclat et son influence sur tous les pays où ont pénétré les idées de la chevalerie. Elle lui doit d'être restée encore vivante, malgré les ans. A tel point qu'en un certain sens on pourrait l'appeler classique. Ne nous posons pas la question célèbre: qu'est-ce qu'un classique? Mais si l'on réduisait le classicisme au fait d'avoir exprimé sous une forme parfaite des vérités éternelles, l'ancienne poésie provençale mériterait le nom de classique. Pour la forme, on peut dire qu'aucune poésie lyrique ne l'a cultivée avec plus de soin, disons mieux, avec plus d'amour; quant au fond, les sentiments qui y sont exprimés sont de ceux qui, idéalisés et ennoblis, ont toujours fait vibrer les cœurs des hommes. Et quel charme de plus pouvons-nous donc exiger de la poésie?

      La poésie morale, didactique, ou satirique a eu le même caractère aristocratique que la «chanson». La poésie lyrique méridionale se divise en plusieurs genres, dont les principaux sont: la chanson, consacrée à l'exaltation de l'amour courtois et le sirventés ou serventois, comme on l'appelle dans la poésie du Nord. C'est le sirventés qui sert à l'expression des idées morales, ou de la satire personnelle, littéraire, politique et sociale. La poésie des troubadours a connu toutes ces divisions du genre; mais là encore on voit qu'elle est un produit de la société aristocratique. Les pièces diffamatoires ne sont pas rares dans cette poésie. Un grand seigneur refusait-il sa protection à un troubadour? La vengeance du «poète irritable» s'exprimait sous forme de satire personnelle, dure et méprisante. Les poésies de ce genre qui nous sont restées – et elles sont assez nombreuses – sont de curieux documents pour l'histoire des mœurs.

      Malheureusement cette poésie portait, dès ses origines, des germes de faiblesse et de décadence. Son existence était trop intimement liée à celle de cette société brillante au milieu de laquelle elle s'était développée et pour laquelle elle était faite. Le moindre changement dans les mœurs ou dans les conditions d'existence de cette société devait avoir pour conséquence la transformation ou la décadence de cette poésie. La noblesse méridionale s'appauvrit assez vite pour de nombreuses raisons dont les principales sont les suivantes: les contributions aux croisades, le développement de la bourgeoisie et sans doute aussi l'abus du luxe, des fêtes et des tournois. Mais surtout elle eut à supporter, pendant et après la croisade contre les Albigeois, de Toulouse aux bords du Rhône, les conséquences de la défaite. Les cours où les troubadours trouvaient aide et protection devinrent de plus en plus rares et bientôt disparurent tout à fait. A la fin du XIIIe siècle un très petit nombre seulement, dans toute la France méridionale, essayaient de maintenir les anciennes traditions.

      Avec la décadence de la chevalerie commença la décadence de la poésie des troubadours. Elle était frappée à mort dès les débuts du XIIIe siècle. Non pas que les chevaliers d'outre-Loire et d'ailleurs qui prirent part à la croisade contre les Albigeois aient témoigné des sentiments hostiles à la poésie et à ses représentants. Il y avait parmi eux des poètes de langue d'oïl, comme Amauri de Craon, Roger d'Andeli, Jean de Brienne, Thibaut de Blazon. On a même voulu tirer de ce fait la conclusion piquante que ces chevaliers-poètes auraient profité de la guerre pour introduire dans le Midi un genre poétique, la pastourelle, qui serait née dans les pays du Nord. On n'a pas eu de peine à répondre que la croisade à laquelle ils prirent part n'était rien moins qu'une croisade poétique 9.

      D'une tout autre importance fut, à notre point de vue, l'établissement du tribunal de l'Inquisition. Ce tribunal d'exception fut établi dans les principaux centres du Midi, d'abord à Toulouse et à Narbonne. En même temps saint Dominique fondait, dès les premières années du XIIIe siècle, le couvent de Prouilhe et engageait avec toute l'ardeur d'un croyant du moyen âge la lutte contre l'hérésie. Il ne semble pas, du moins au début, que la poésie profane ait été persécutée. Cependant l'Église proscrivit les livres en langue vulgaire qui traitaient de choses religieuses. On comprend le danger redoutable qu'il y avait pour elle à ce que des livres de ce genre se répandissent dans le peuple. Nous savons aussi que quelques troubadours s'exilèrent, peut-être pour aller chercher à l'étranger d'autres protecteurs, peut-être aussi par peur de l'Inquisition. Cependant aucun document formel ne nous permet de croire qu'elle les ait poursuivis comme complices des hérétiques.

      Mais l'établissement de l'Inquisition, la fondation de l'ordre des frères Prêcheurs par saint Dominique, et de nombreux ordres religieux, pendant le XIIIe siècle, produisirent un changement sensible dans la société. Le goût des choses religieuses, de l'orthodoxie surtout fut restauré. On ne s'intéressa plus à la poésie purement profane. On ne comprit plus le paganisme qui animait la poésie de l'âge précédent. Deux troubadours de la décadence nous avouent – et ces témoignages, quoique rares, sont précieux – que d'après les gens d'Église la poésie est un péché. Cet aveu est caractéristique; il est l'indice d'une nouvelle conception de la vie et de la poésie. C'est en ce sens qu'on peut dire que le développement de l'esprit religieux a contribué à hâter la décadence de l'ancienne poésie.

      L'histoire de cette poésie est donc brève; sa vie est courte et elle meurt jeune, comme ceux qui sont aimés des dieux. Diez le premier a divisé son histoire en trois grandes périodes, celle de son développement, celle de son âge d'or et celle de sa décadence. La première va, d'après lui, de 1090 à 1140; la deuxième de 1140 à 1250; la troisième de 1250 à 1292. Les dates qui marquent ces périodes n'ont rien d'absolu. Mais d'une manière générale elle les limitent assez bien.

      C'est entre 1140 à 1250 que Diez place la période la plus florissante de la poésie provençale. Si l'on avait le goût des divisions et des subdivisions, on pourrait en établir dans cet espace de plus d'un siècle; on montrerait sans peine que les plus grands troubadours appartiennent à la fin du XIIe siècle et que les germes de décadence sont déjà sensibles dès le début du XIIIe. Mais à quoi bon établir des distinctions oiseuses? Une période d'histoire littéraire, surtout au moyen âge, ne se laisse pas limiter avec une rigoureuse précision. Admettons donc d'une manière générale les dates fixées par le premier historien de la poésie des troubadours.

      Nous pourrions arrêter ici cette vue sommaire de l'histoire de la poésie СКАЧАТЬ



<p>9</p>

Cf. Jeanroy, Origines, 1re partie, chap. I.