Les Troubadours. Anglade Joseph
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Название: Les Troubadours

Автор: Anglade Joseph

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ et danses dont il reste quelques exemples et quelques autres genres plus rares qu'il est inutile de citer ici 6.

      Mais en dehors de ces genres, qui ont conservé surtout au début un certain caractère populaire, la poésie des troubadours est une poésie essentiellement artistique, de l'art le plus raffiné. Un seul détail marque bien sa différence avec la poésie populaire qui lui a donné naissance. On sait que celle-ci ne présente pas une très grande variété dans l'emploi des mètres et dans la combinaison des strophes; les moyens d'expression de la poésie et de la musique populaires, compagnes habituelles, sont simples. Eh bien, c'est par centaines qu'on a pu compter les formes de strophes dans la lyrique provençale; on en a relevé 817 et le compte est incomplet. En réalité on peut dire qu'il y en a près d'un millier, depuis la courte strophe de trois vers jusqu'à la strophe de quarante-deux vers. Il y a là une richesse strophique, une technique telle qu'aucune poésie lyrique peut-être n'en peut offrir de semblable. Le caractère artistique de cette poésie s'affirme avec évidence à mesure qu'on avance dans son étude; qu'il suffise pour le moment d'avoir marqué par un aperçu très sommaire de sa forme combien elle s'est éloignée de la simplicité qu'elle a dû avoir à ses origines 7.

      A quelle époque peut-on fixer ces origines? On comprend qu'étant donné le caractère populaire de cette première poésie il est bien difficile de donner une date même approximative. La chanson populaire, avec ses thèmes assez simples, dans leur apparente variété, a existé de tout temps. Le folklore relève à peu près dans tous les pays, au moins dans les pays dits civilisés, si différents qu'ils soient de race et de civilisation, des chansons qui ont entre elles de nombreux traits communs. L'auteur des Origines de la Poésie lyrique en France a pu citer (p. 457), dans la poésie populaire russe contemporaine, des chansons sur le thème de la Mal mariée où un cosaque joue auprès de la dame abandonnée le même rôle de consolateur que jouent les chevaliers dans les chansons populaires du moyen âge. N'essayons donc pas de fixer une date à la première période de la poésie des troubadours. Pour nous cette poésie commence avec Guillaume, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, dont le règne s'étend de 1087 à 1127. Il est cependant vraisemblable que le début et le milieu du XIe siècle ont vu se multiplier les chansons populaires, c'est la période préparatoire, la période de germination pour ainsi dire. Les preuves ne manquent pas, ou du moins les hypothèses peuvent s'appuyer sur des faits incontestables.

      D'abord, si la poésie lyrique est peu développée pendant le XIe siècle, s'il ne nous en reste que quelques fragments, il s'est conservé jusqu'à nos jours des poésies d'un genre différent, comme la paraphrase de Boèce, et la chanson de sainte Foy d'Agen, déjà citées. Ce dernier poème surtout a été une heureuse surprise pour les érudits, qui en soupçonnaient l'existence depuis que le président Fauchet l'avait cité au XVIe siècle, et qui ne l'ont connu que depuis quelques années, grâce au flair d'un savant portugais, M. Leite de Vasconcellos, furetant par hasard dans la bibliothèque de l'Université de Leyde 8.

      La Chanson de sainte Foy par le caractère archaïque de ses formes nous fait remonter tout à fait aux origines de la langue d'oc. La métrique, quoiqu'il ne s'agisse pas d'une poésie lyrique mais d'un poème épique et narratif, est déjà d'une facture remarquable. C'est de la poésie savante, n'en doutons pas. Mais la langue qui, vers l'an mille (et même peut-être avant, car on discute encore sur ce point), la langue qui était apte à la poésie savante était-elle incapable de servir à l'expression de simples sentiments populaires? Est-ce que les clercs, à qui nous devons sans doute les deux poèmes que nous venons de citer, n'auraient pas, dans le cas contraire, employé leur langue habituelle, le latin, pour louer le caractère de Boèce ou pour chanter les miracles de sainte Foy? Il est de toute vraisemblance que s'ils se sont servis de l'idiome vulgaire et s'ils ont pu en composer, sans trop de maladresse dans les deux cas, un assez long poème, c'est qu'il existait autour d'eux une langue et une poésie toutes formées.

      Redescendons de près d'un siècle et examinons les premières poésies du premier troubadour connu, Guillaume de Poitiers. Elles sont des environs de l'an 1100. Nous trouvons ici une langue poétique capable d'exprimer les sentiments les plus élevés et les plus délicats (joints, il est vrai, aux sentiments les plus vulgaires et même les plus grossiers). Nous remarquons surtout une technique déjà merveilleuse. Il existe des règles poétiques, il y a des conventions, des lois, toutes choses qui caractérisent ce qu'on est convenu d'appeler l'art. Cet art le comte de Poitiers ne l'a pas inventé; il en a trouvé certaines règles établies; il existait une tradition. C'est pendant le XIe siècle que celle tradition s'est sinon formée, au moins développée. Entre les poèmes narratifs du début et les poésies de Guillaume de Poitiers la langue s'est assouplie, la poésie populaire s'est développée, elle a grandi, pendant le XIe siècle, et elle nous apparaît transformée avec le premier troubadour, très élégante déjà, très belle et ne sentant ses origines que par sa jeunesse et par sa fraîcheur.

      C'est donc dans le XIe siècle qu'il faut placer la période la plus ancienne de la poésie des troubadours, celle que nous ne connaissons pas, mais que nous pouvons reconstituer par hypothèse, et en nous aidant aussi, comme on l'a fait, de certains refrains qui nous ont été conservés. Un texte célèbre nous prouve que les premiers troubadours avaient peut-être eu conscience des origines de leur art. Il nous est dit que le troubadour gascon Cercamon, qui a vécu dans la première moitié du XIIe siècle, avait composé des pastourelles à la «manière antique». Malheureusement l'auteur de la biographie des troubadours qui nous donne ce détail a vécu au XIIIe siècle et c'est peut-être à son point de vue qu'il se plaçait quand il parle de la «manière antique». De sorte que le renseignement n'a peut-être pas toute la valeur qu'on a voulu lui attribuer. Mais même si on ne fait pas état de ce texte, les vraisemblances sont infiniment nombreuses en faveur de l'hypothèse que nous venons d'exposer.

      Quoi qu'il en soit des origines de cette poésie et à la prendre telle qu'elle se présente à nous chez les premiers troubadours du XIIe siècle, elle a dès le début un caractère d'élégance raffinée qu'elle a conservé jusqu'en son extrême décadence. C'est une poésie essentiellement courtoise et aristocratique. Il faut entendre par le mot «courtois» une poésie de cour, faite exclusivement pour des milieux élégants, rarement pour la bourgeoisie, jamais pour le peuple.

      Ce caractère s'explique par l'état de la société à l'époque des troubadours et aussi en partie par leur condition sociale. Beaucoup d'entre eux – et le premier entre autres, Guillaume, comte de Poitiers et duc d'Aquitaine, – furent de grands seigneurs: plusieurs rois et autres gens de qualité cultivèrent la poésie et protégèrent les poètes. Car pour ceux d'entre eux qui étaient de «petite extrace» comme dit Villon, la protection d'un grand seigneur les mettait à l'abri des misères de la vie: la poésie n'a jamais bien nourri son homme, sauf à certaines époques privilégiées; le moyen âge ne fut pas une de ces époques; ou plutôt s'il le fut dans le Midi de la France, et si les troubadours y obtinrent de bonne heure crédit et considération, ce fut, le plus souvent, au prix de leur indépendance, et leur poésie y prit un caractère à peu près exclusivement aristocratique.

      Mais à quelle autre société que celle des grands seigneurs du temps auraient-ils pu s'adresser? Et quel goût pour la poésie auraient-ils trouvé en dehors de ces milieux? La bourgeoisie n'était pas encore assez cultivée, du moins au début de la période qui nous occupe. Sans doute, dans la plupart des villes du Midi, elle a vu grandir rapidement son importance politique. En Provence et en Languedoc, les consulats, imités des institutions similaires qui florissaient en Italie, s'élèvent de plus en plus nombreux à la fin du XIIe siècle; ils sont en plein éclat au XIIIe dans toutes les grandes cités méridionales. La bourgeoisie a fini par dresser son pouvoir en face de celui de la noblesse; elle a imité ses goûts et a pris ses habitudes; et pendant le XIIIe siècle on observe dans la poésie provençale des traces de transformation, image du changement qui s'est opéré ou qui s'opère dans la société. Mais à cette époque СКАЧАТЬ



<p>6</p>

Sur les genres populaires dans l'ancienne poésie provençale, cf. Ludwig Roemer. Die volksthümlichen Dichtungsarten der altprovenzalischen Lyrik, Marbourg, 1884, et Jeanroy, Origines de la poésie lyrique en France.

<p>7</p>

Sur la métrique des troubadours cf. P. Maus, Peire Cardenal's Strophenbau, Marbourg, 1884.

<p>8</p>

Le poème de Sainte Foy d'Agen a été publié par M. Leite de Vasconcellos dans la Romania, XXXI (1902), p. 177 et suiv.