Histoire des salons de Paris. Tome 3. Abrantès Laure Junot duchesse d'
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Название: Histoire des salons de Paris. Tome 3

Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/42663

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СКАЧАТЬ ce qu'elle avait été pour eux dans le temps de sa prospérité; ils ont de nobles cœurs! J'ai pu admirer moi-même à quel degré les artistes supérieurs portent la reconnaissance; madame de Sainte-Amaranthe l'éprouva comme moi.

      Mais elle était triste, et leur talent n'était plus invoqué.

      – Lorsque j'entends chanter, les larmes me viennent aux yeux, disait-elle…

      Parmi les artistes qui allaient chez elle dans les premières années de la Révolution, un surtout s'était fait distinguer parmi tous les autres: il n'avait que vingt-deux ans, il était parfaitement beau; sa voix avait un charme qui ravissait, et son jeu annonçait qu'il surpasserait et ferait oublier Clairval et Michu21; quant à sa naissance et à sa position sociale, elles étaient toutes deux de nature à le faire accueillir partout, et surtout dans la maison de mesdames de Sainte-Amaranthe. La mère l'avait reçu avec cette grâce qu'elle mettait toujours à recevoir les hommes remarquables ou qui annonçaient du talent, et, certes, les essais de celui-là étaient de nature à faire prévoir ce qu'il serait un jour. Reconnaissant de la bienveillance qu'on lui montrait, le jeune homme vint d'abord pour le témoigner, ensuite un sentiment plus profond l'attira dans cette maison; un seul mot l'expliquera: mademoiselle de Sainte-Amaranthe n'était pas mariée alors.

      C'est une figure si suave et si belle que celle de madame de Sartines, que je ne puis me résoudre à parler d'elle sous un rapport qui pourrait ternir l'auréole qui entoure son céleste visage. Je veux donc faire comprendre que le sentiment qui unissait à elle le jeune et bel artiste était aussi pur que l'âme de celle qui éprouvait pour lui un sentiment aussi profond qu'il était tendre. Mais ni l'un ni l'autre n'avait parlé; les yeux d'Émilie, même, étaient demeurés muets devant un bonheur que devait suivre un remords. Tant qu'elle fut libre, elle garda le silence, bien certaine que sa mère n'aurait jamais consenti à ce mariage; et lorsqu'elle fut mariée, elle était encore plus empêchée, car alors le devoir de la femme lui commandait de fuir l'adultère.

      Cet amour chaste et pur comme celui des anges fut donc presque ignoré; car on ne pouvait que le présumer à une émotion plus vive ressentie en entendant prononcer un nom. Oh! de telles affections sont grandes et saintes! et peut-être donnent-elles au cœur plus de joies divines qu'un sentiment sanctionné par la voix de tous. Les mystères de l'âme ont un charme inconnu à ceux qui n'ont pas aimé pour le bonheur seul d'aimer, et dont l'égoïsme du cœur se tait devant la puissance de cet amour silencieux, heureux de dire: Je l'aime!.. et non: Je suis aimé!

      L'artiste déjà célèbre dont je parle venait habituellement chez madame de Sainte-Amaranthe; il avait deviné le chagrin de la mère et de la fille au moment où leur maison avait cessé d'être ce qu'elle était, et voulait leur apporter à toutes deux une consolation que leur cœur comprit… Ce fut alors que les Girondins, reconnaissant tout le charme de la maison de madame Sainte-Amaranthe, y vinrent en foule pour y jouir de cette douce causerie et des entretiens élevés qu'on y trouvait. Cette Gironde, dans laquelle étaient les esprits les plus remarquables de l'assemblée, partageait son temps entre ses devoirs parlementaires, madame Roland et madame de Sainte-Amaranthe; insensiblement les hommes mal pensants s'éloignèrent d'eux-mêmes, et les artistes et les Girondins demeurèrent, avec quelques anciens et nobles amis qui avaient échappé au couteau révolutionnaire, les seuls commensaux de la maison de madame de Sainte-Amaranthe… le génie sous toutes les formes y ralluma de nouveau son flambeau.

      Cependant tous les artistes n'étaient pas demeurés chez madame de Sainte-Amaranthe; quelques-uns en avaient été éloignés par elle-même: de ce nombre était David.

      – Pour vous-même, lui avait-elle dit, il y a ici trop de gens qui vous blâment.

      – J'ai fait mon devoir, répondit David.

      – Ne me parlez pas ainsi, voyez-vous! Votre devoir!.. tenez, laissez-moi! n'insistez pas sur la continuation de nos relations, elles ne nous conviendraient plus.

      Madame de Sainte-Amaranthe voulait parler non-seulement de la mort du Roi et du vote de David22, mais des deux tableaux qu'il avait faits depuis ce moment, l'un pour Lepelletier de Saint-Fargeau, l'autre pour Marat.

      Lorsque le procès du Roi fut terminé et qu'on dut procéder aux votes, plusieurs membres de la Convention reçurent des avis pour ne pas voter, et cela avec menaces; Lepelletier reçut deux lettres, dont l'une était anonyme, et l'autre signée du nom d'un garde-du-corps du Roi appelé Paris. Dédaignant les avertissements donnés, Lepelletier vota la mort… Le lendemain, se trouvant chez Février, restaurateur au Palais-Royal, il y rencontra Paris.

      – Je t'avais averti, lui dit ce dernier, en lui plongeant un couteau dans le cœur!..

      Lepelletier tomba mort.

      David fit un tableau sur cet événement; il aimait Lepelletier, et voulut consacrer ce qu'il appelait son martyre. Il fit un grand tableau représentant Lepelletier étendu sur son lit mortuaire; au-dessus de sa tête, on voyait un sabre suspendu par un cheveu et traversant un papier sur lequel est écrit:

      Je vote pour la mort du tyran.

      En haut du portrait est placée l'inscription suivante,

L'an 1793, 2e de la République,À Michel Lepelletier,Assassiné pour avoir voté la mort du tyran,L. – J. David, son collègue

      Quelques mois après, la France gémissait sous la plus épouvantable faction que les troubles politiques aient jamais fait éclore. Quelques victimes crièrent au secours; leur cri de détresse fut entendu par une noble femme. Elle apprit en même temps que Marat avait dit:

      – Le mal du système actuel, c'est qu'il est trop doux. Il faut que le sang coule… non par gouttes, mais à TORRENTS.

      – Voilà celui que je dois frapper, se dit-elle!

      Et Charlotte Corday arrive à Paris le 12 juillet 1793. Le lendemain, Marat n'existait plus, et nos fers étaient rivés encore plus fortement, car les décemvirs qui décimaient la France vengèrent sa mort sur des innocents. À l'occasion de la mort de Marat, il vint une députation conduite par Guirault, qui s'écria en entrant dans la Convention:

      – Où es-tu, David? tu as transmis à la postérité l'image de Lepelletier mourant pour la patrie… Il te reste encore un tableau à faire!..

      – Je le ferai! s'écrie à son tour David d'une voix tremblante d'émotion…

      Et ces deux hommes s'embrassent en pleurant!.. Ils auraient pu faire croire, en vérité, si l'histoire n'avait pas été LÀ, que Marat était le premier citoyen de la France!..

      Il fit donc ce tableau dont j'ai vu l'esquisse23, et le fit effrayant de vérité. Le monstre est mourant dans sa baignoire, pâle, livide, coiffé d'un mouchoir!.. il était hideux.

      Cette volonté de faire servir son talent à représenter, à perpétuer le souvenir des horreurs de l'époque, paraissait coupable plus que tout le reste à madame de Sainte-Amaranthe: elle le témoigna à David; quant à Émilie, cet homme lui avait toujours été odieux. Le jour où il revint chez sa mère, elle tressaillit en le voyant; David s'aperçut de ce mouvement… – Vous devriez venir voir mon dernier ouvrage, dit-il à madame de Sartines, en s'approchant d'elle… il est assez héroïque pour plaire à une femme comme vous!.. Voulez-vous le voir?..

      Émilie demanda en frémissant quel était le sujet?

      – Il est touchant, СКАЧАТЬ



<p>21</p>

Clairval et Michu avaient été les talents les plus remarquables de l'Opéra-Comique, c'est-à-dire la comédie italienne.

<p>22</p>

Jean-Louis David, né à Paris en 1748. Il était fils d'un marchand de fer167, qui mourut dans un duel, mort assez rare à cette époque pour un homme de sa classe. David fit de bonnes études aux Quatre-Nations, et fut élevé pour être architecte. Il n'aimait pas cette profession, et ce fut un jour qu'allant voir Boucher, il sentit une telle vocation pour la peinture, qu'il obtint enfin de sa mère de suivre les cours de la peinture d'histoire. Il suivit les cours de Vien, et obtint bientôt le prix. Grâce à la généreuse bonté de mademoiselle Guimard, il obtint le grand prix, partit pour Rome avec Vien, et là il étudia et devint ce que nous l'avons vu ici. Son dessin était beau, mais ses incorrections, son mauvais goût, son mauvais coloris, lui enlevaient la place du premier peintre de l'époque.

<p>23</p>

Elle était à Versailles chez M. de Bonnecarèce, qui l'avait eu de David lui-même, dont il était l'ami.