Название: Résurrection (Roman)
Автор: León Tolstoi
Издательство: Bookwire
Жанр: Философия
isbn: 4064066373573
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Le substitut du procureur prit une mine fâchée, inscrivit en hâte quelque chose sur un papier, et haussa les épaules d’un geste dédaigneux.
Quand le premier avocat se fut rassis, le défenseur de la Maslova se leva, et, d’un ton timide, en bégayant, il se déchargea de sa plaidoirie.
Sans nier que la Maslova eût pris part au vol de l’argent, il se borna à soutenir qu’elle n’avait pas eu l’intention d’empoisonner Smielkov et ne lui avait donné la poudre que pour l’endormir. Il voulut ensuite se lancer à son tour dans l’éloquence, en faisant un tableau de la façon dont sa cliente avait été poussée au vice par un homme qui l’avait séduite et qui était resté impuni, tandis qu’elle-même avait dû porter tout le poids de sa faute; mais cette excursion dans le domaine de la psychologie pathétique ne lui réussit pas, et chacun eut le sentiment qu’elle était manquée. Au moment où il s’étendait sur la cruauté des hommes et l’infériorité sociale et légale de la condition des femmes, le président, pour le tirer d’embarras, l’invita à rentrer dans la discussion des faits.
L’avocat se hâta de terminer sa plaidoirie. Après lui, le substitut du procureur prit de nouveau la parole. Il tenait à défendre ses vues sur l’atavisme et à répondre aux critiques dirigées contre elles par l’agent d’affaires. Il déclara que, si même la Botchkova était fille de «parents inconnus, la valeur scientifique de la théorie de l’atavisme n’en était nullement diminuée: «Cette théorie, dit-il, est si solidement établie par la science que nous pouvons désormais non seulement, de l’atavisme, déduire le crime mais aussi, du crime, induire l’atavisme.»
Quant à la supposition émise par le second avocat, et suivant laquelle la Maslova aurait été pervertie par un séducteur plus ou moins imaginaire (le substitut insista d’une façon particulièrement ironique sur le mot «imaginaire»), toutes les données portaient plutôt à croire que c’était elle qui avait toujours été la séductrice des innombrables victimes que le hasard avait mises à portée de sa main. Cela dit, le substitut se rassit d’un air victorieux.
Le président demanda alors aux prévenus ce qu’ils avaient à ajouter pour leur défense.
Euphémie Botchkov répéta, une dernière fois, qu’elle ne savait rien, n’avait rien fait, et que seule la Maslova était coupable de tout.
Simon se borna à redire:
— Qu’il en soit comme vous voudrez, mais je suis innocent!
Quand vint le tour de la Maslova, elle ne dit rien. Le président lui ayant demandé ce qu’elle avait à ajouter pour sa défense, elle leva simplement les yeux sur lui, puis les promena sur toute la salle, comme une bête traquée; et puis elle les baissa de nouveau et se mit à pleurer avec de grands sanglots.
— Qu’avez-vous? — demanda le marchand à son voisin Nekhludov, qui venait de faire entendre brusquement un cri singulier. Ce cri était, en réalité, un sanglot. Mais Nekhludov ne se rendait toujours pas compte de sa situation nouvelle, et c’est à la tension de ses nerfs qu’il attribua ce sanglot imprévu, comme aussi les larmes dont ses yeux étaient inondés.
La crainte de l’opprobre dont il ne manquerait pas d’être couvert si tout le monde, là, dans la salle du tribunal, apprenait sa conduite à l’égard de la Maslova, cette crainte l’empêchait d’avoir conscience du travail intérieur qui, peu à peu, se faisait en lui.
IV
Quand les prévenus eurent achevé de dire «ce qu’ils avaient à dire pour leur défense», on s’occupa de rédiger les questions qui seraient posées aux jurés. Et, aussitôt après, le président commença son résumé des débats.
Avant d’aborder l’affaire elle-même, il expliqua très longuement aux jurés, avec des intonations protectrices, que le vol simple ne devait pas être confondu avec le vol par effraction, et que le fait de dérober quelque chose dans un endroit clos devait être soigneusement distingué du fait de dérober quelque chose dans un endroit ouvert. En expliquant tout cela, il arrêtait de préférence ses regards sur Nekhludov, comme si c’eût été tout particulièrement à lui que fussent destinées les explications, afin que lui-même à son tour, les ayant comprises, se chargeât de les confirmer à ses compagnons du jury. Puis, lorsqu’il eut jugé son auditoire suffisamment imprégné de ces importantes vérités, il passa à des vérités d’un autre ordre. Il exposa que le meurtre signifiait un acte d’où résultait la mort d’un homme, et que, par suite, l’empoisonnement constituait bien un meurtre. Et, quand cette vérité-là, elle aussi, lui parut suffisamment établie, il expliqua aux jurés que, dans le cas où le vol et le meurtre se trouvaient réunis, il y avait ce qu’on appelait un meurtre accompagné de vol.
Le président, cependant, n’oubliait pas qu’il avait hâte de terminer l’affaire au plus vite, afin de rejoindre sa Suissesse, qui l’attendait. Mais il était tellement accoutumé à son métier que, dès qu’il commençait à parler, il ne pouvait plus s’arrêter. Aussi expliqua-t-il longuement aux jurés que, si les prévenus leur paraissaient coupables, ils avaient le droit de les déclarer coupables, et que, s’ils leur paraissaient innocents, ils avaient le droit de les déclarer innocents; que, s’ils les reconnaissaient coupables sur l’un des chefs de l’accusation et innocents sur l’autre, ils avaient le droit de les déclarer coupables sur l’un, innocents sur l’autre. Il leur dit ensuite que, bien que ce droit leur fût départi en toute plénitude, ils avaient le devoir d’en faire un usage raisonnable. Mais, au moment où il allait leur expliquer encore que, s’ils faisaient une réponse affirmative aux questions posées, leur réponse s’appliquerait à l’ensemble de la question, et que, s’ils voulaient que leur réponse portât seulement sur une partie de telle ou telle question, ils devaient avoir soin de le spécifier; au moment où il allait se lancer dans cette nouvelle explication, qui lui aurait pris encore un bon quart d’heure, il eut l’idée de regarder sa montre et s’aperçut avec épouvante qu’il était déjà trois heures moins cinq minutes. Aussi se hâta-t-il d’aborder le fond de l’affaire.
— Voici quel est le fond de l’affaire qui vous est soumise, — commença-t-il, et il se mit à répéter tout ce qui avait été dit déjà un grand nombre de fois et par les avocats, et par le substitut du procureur, et par les témoins.
Le président parlait, et, à ses deux côtés, les deux assesseurs écoutaient d’un air pénétré, en regardant à la dérobée leur montre, et en trouvant que le discours était un peu long, mais d’ailleurs excellent, c’est-à-dire tel qu’il devait être. C’était aussi le sentiment du substitut du procureur, et de tout le personnel du tribunal, et de la salle entière.
Le résumé fini, tout ce qu’il y avait à dire semblait dit. Mais le président ne pouvait se décider à cesser de parler, tant il avait de plaisir à écouter les intonations caressantes de sa voix: de sorte qu’il jugea à propos de dire encore aux jurés quelques mots sur l’importance du droit que la loi leur conférait, et sur la sagesse et sur la circonspection avec lesquelles ils devaient user de ce droit, — en user, non en abuser, — et sur ce que leur serment les liait. Il leur dit qu’ils étaient la conscience de la société, et que le secret de leurs délibérations devait être sacré, etc., etc.
Dès l’instant où le président avait commencé à parler, la Maslova avait fixé les yeux sur lui, comme si elle eût craint de perdre un seul mot de ce qu’il disait. Aussi Nekhludov put-il la considérer longuement, sans avoir à redouter de rencontrer son regard. Et il sentit se passer en lui ce qui se passe d’ordinaire СКАЧАТЬ