Résurrection (Roman). León Tolstoi
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Читать онлайн книгу Résurrection (Roman) - León Tolstoi страница 23

Название: Résurrection (Roman)

Автор: León Tolstoi

Издательство: Bookwire

Жанр: Философия

Серия:

isbn: 4064066373573

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      CHAPITRE VI

      I

      C’est dans cette disposition d’esprit, que se trouvait Nekhludov pendant que, dans la salle du jury, il attendait la reprise de la séance. Assis près de la fenêtre, il entendait bruire autour de lui les conversations de ses collègues, et, sans arrêt, il fumait des cigarettes.

      Le marchand jovial, évidemment, sympathisait de toute son âme avec son confrère, le défunt Smielkov, et goûtait fort sa manière de se divertir.

      — Hé! Il s’amusait solidement, à la sibérienne! Et pas bête, le gaillard! Il avait, ma foi, choisi un beau brin de fille!

      Le président du jury exposait des considérations d’où l’on pouvait conclure que tout le nœud de l’affaire allait consister dans les expertises. Pierre Gérassimovitch plaisantait avec le commis juif, et tous deux riaient aux éclats.

      Quand l’huissier du tribunal, avec sa démarche sautillante, entra dans la salle pour rappeler les jurés, Nekhludov éprouva un sentiment de terreur, comme si ce n’était pas lui qui allait juger, mais qu’on l’emmenât pour être jugé. Dans le fond de son cœur, il se rendait compte, dès lors, qu’il était un misérable, indigne de regarder les autres hommes en face; et cependant telle était en lui la force de l’habitude que c’est du pas le plus assuré qu’il remonta sur l’estrade et regagna son siège, au premier rang, tout près de celui du président; après quoi il croisa tranquillement ses jambes et se mit à jouer avec son pince-nez. Les prévenus, eux aussi, avaient été emmenés hors de la salle: on les y ramenait dans ce même moment.

      De nouvelles figures avaient été introduites sur l’estrade. C’étaient les témoins. Nekhludov observa que Katucha jetait de fréquents coups d’œil sur une grosse dame très somptueusement vêtue de soie et de velours, coiffée d’un immense chapeau aux rubans démesurés, et ayant les bras nus jusqu’au coude. Assise au premier rang des témoins, cette dame tenait en main un ridicule des plus élégants. C’était — Nekhludov ne tarda pas à l’apprendre — la maîtresse de la maison où avait, en dernier lieu, «travaillé» la Maslova.

      On procéda aussitôt à l’audition des témoins. On leur demanda leurs noms, prénoms, leur religion, etc. Et quand ensuite on leur eut demandé s’ils voulaient être interrogés sous la foi du serment ou non, de nouveau apparut sur l’estrade, traînant péniblement ses pieds, le vieux pope; et de nouveau le vieillard, taquinant la croix d’or qui pendait sur sa poitrine, se dirigea vers le crucifix, où il fit prêter serment aux témoins et à l’expert, toujours avec la même sérénité, avec la même conscience de remplir une fonction éminemment grave et utile.

      Cette cérémonie achevée, le président fit sortir tous les témoins, à l’exception d’un seul, qui se trouva être la grosse dame, Mme Kitaiev, directrice de la maison de tolérance. Mme Kitaiev fut invitée à dire ce qu’elle savait concernant l’affaire de l’empoisonnement. Avec un sourire affecté, plongeant sa tête dans son chapeau à chacune de ses phrases et parlant avec un accent allemand très marqué, la dame exposa, minutieusement et méthodiquement, tout ce qu’elle savait. Elle raconta comment le riche marchand sibérien Smielkov était venu une première fois dans sa maison, comment il y était revenu une seconde fois, — «en extase», ajouta-t-elle avec un léger sourire, — comment il avait continué à boire et à régaler toutes les femmes, et comment enfin, n’ayant pas assez d’argent sur lui, il avait envoyé à l’hôtel où il demeurait cette même Lubka, «pour qui il s’était pris d’une vraie prédilection», dit-elle en souriant de nouveau et en tournant ses regards vers la prévenue.

      Nekhludov crut voir que la Maslova, en entendant ces paroles, avait souri aussi; et ce sourire fit naître en lui une impression de dégoût. Un mélange singulier de répulsion et de souffrance s’empara de lui.

      — Le témoin voudrait-il nous dire son opinion sur la Maslova? — demanda à Mme Kitaiev l’avocat de la Maslova, un jeune homme qui se préparait à entrer dans la magistrature, et que le tribunal avait désigné d’office pour défendre la prévenue.

      — Mon opinion sur elle est aussi bonne que possible! — répondit Mme Kitaiev. — C’est une jeune personne d’excellentes manières, et pleine de chic. Elle a été élevée dans une famille noble: elle sait même le français! Peut-être lui est-il arrivé autrefois de boire un peu trop: mais jamais je ne l’ai vue s’oublier une seule minute. Une jeune personne tout à fait gentille!

      Katucha avait tenu les yeux fixés sur Mme Kitaiev; elle les transporta ensuite sur les jurés, et notamment sur Nekhludov, qui observa qu’au même instant son visage prenait une expression grave et presque sévère. Longtemps ces deux yeux, avec leur étrange regard, restèrent fixés sur Nekhludov; et lui, malgré son épouvante, il ne pouvait détacher ses yeux de ces prunelles noires qui pesaient sur lui. Il se rappelait la nuit décisive, le craquement de la glace sur la rivière, le brouillard, et cette lune échancrée, renversée, qui s’était levée, vers le matin, éclairant quelque chose de sombre et de terrible. Ces deux yeux noirs, fixés sur lui, lui rappelaient, malgré lui, quelque chose de sombre et de terrible. «Elle m’a reconnu!» songeait-il. Et, machinalement, il se soulevait sur son siège, attendant l’arrêt.

      Mais la vérité est que, cette fois encore, elle ne l’avait nullement reconnu. Elle poussa un petit soupir, et de nouveau tourna ses yeux vers le président. Et Nekhludov soupira aussi: «Ah! — songea-t-il — mieux eut valu qu’elle m’eût reconnu tout de suite!»

      Il éprouvait une impression pareille à celle qu’il avait maintes fois éprouvée à la chasse, lorsqu’il avait à achever un oiseau blessé: une impression mêlée de pitié et de chagrin. L’oiseau blessé se débat dans la carnassière; et on le plaint, et on hésite, et en même temps on souhaite de l’achever au plus tôt.

      C’était un mélange de sentiments du même genre qui remplissait à cette heure l’âme de Nekhludov, pendant qu’il écoutait les dépositions des témoins.

      II

      Or l’affaire, comme par un fait exprès, traînait en longueur. Après qu’on eut interrogé un à un les témoins et l’expert, après que, suivant l’habitude, le substitut du procureur et les avocats eurent posé, de l’air le plus important, une foule de questions inutiles, le président invita les jurés à prendre connaissance des pièces à conviction, qui consistaient en une dizaine de bocaux, en un filtre qui avait servi à l’analyse du poison, et en une énorme bague avec une rose de brillants, une bague si énorme qu’elle avait dû orner un index d’une grosseur inaccoutumée. Tous ces objets étaient revêtus d’un sceau et accompagnés d’une étiquette.

      Les jurés s’apprêtaient à se lever de leurs sièges pour aller examiner ces objets, lorsque le substitut du procureur, se redressant, demanda qu’avant de montrer les pièces à conviction on donnât lecture des résultats de l’enquête médicale pratiquée sur le cadavre du défunt Smielkov.

      Le président, qui pressait l’affaire autant qu’il pouvait afin de rejoindre au plus vite sa Suissesse, savait en outre fort bien que la lecture de ces documents ne pourrait avoir d’autre effet que d’ennuyer tout le monde. Il savait que le substitut du procureur en exigeait la lecture uniquement parce qu’il avait le droit de l’exiger. Mais le président savait aussi qu’il ne pouvait pas s’y opposer, et force lui fut d’ordonner la lecture. Le greffier prit des papiers, et, de sa voix grasseyante, lugubrement, il se mit à lire.

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