Chacune son Rêve. Daniel Lesueur
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Название: Chacune son Rêve

Автор: Daniel Lesueur

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066079901

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       La nourrice s'appelle Mme Favier. Elle est femme du garde-barrière, à la halte de Champagne. Je vais faire un testament en sa faveur, du peu que je possède, et que j'augmenterai en exerçant la médecine, à la condition qu'elle continue à servir de mère à l'enfant, au cas où je viendrais à mourir. Je connais assez cette excellente créature pour souhaiter cela au petit abandonné, s'il me perd.

       Je me rends bien compte que, par une telle mesure, je confirmerai le soupçon qui, déjà, doit naître autour de moi, que je suis la mère. Qu'importe!

       J'ai dit à tous que j'avais trouvé ce pauvre ange sur le chemin, contre notre grille, et je l'ai fait inscrire à la mairie de Champagne sous le nom de Serge. Comme il lui fallait un nom de famille, j'ai cherché sur le calendrier, où, juste à côté de Serge, on voit saint Bruno. Mon filleul sera donc Serge Bruno.

       Je l'ai tenu sur les fonts baptismaux avec l'honnête Favier, son parrain. Par délicatesse, le brave homme m'a dit:

       —«Puisqu'il vous appellera «marraine», docteur Francine, je ne lui permettrai pas de m'appeler «parrain». Ça serait trop familier avec vous, pas convenable. Il trouvera bien lui-même...»

       Sur quoi, sa femme l'interrompit en souriant:

       —«Bah! c'est pas demain qu'il va parler, ce pauvre petit cœur.»

       Me voilà donc en possession d'un enfant, dont j'accepte la charge, et dont on m'attribuera plus tard,—sinon tout de suite,—la maternité. Je ne m'en trouble pas autrement. J'en éprouve une espèce de joie, peut-être même un peu de fierté. Nul n'a le droit de me demander compte de mes actes. Ma bonne tante Stéphanie, elle, sait à quoi s'en tenir. Elle m'a vue dans ma chambre la veille et le lendemain de l'aventure,—de cette aventure qui a duré une trentaine d'heures.—Tout ignorante de la vie qu'elle soit, et bien qu'ayant coiffé sainte Catherine depuis longtemps, elle sait qu'on ne recueille pas les bébés dans les choux, et que je ne puis avoir mis celui-là au monde. Sa certitude me suffit. Quant à mon futur époux,—si jamais je me marie, ce dont je n'ai aucune hâte...

      Les yeux de Raymond se voilèrent. Il repassa les dates... fit un bref calcul... Quatre ans!... Il y avait de cela quatre ans,—moins un mois, puisqu'on était en octobre. Non, elle ne le connaissait pas encore. Mais lui... Il l'avait déjà vue. Déjà il rêvait d'elle. Doucement... sans espoir défini, sans résolution prise. Il l'avait rencontrée à des cours, dans les hôpitaux, parmi la suite attentive de quelque maître fameux. De quelle séduction grave, profonde, elle lui avait ravi le cœur! Il ne s'en douta pas tout d'abord. Quatre ans... C'est l'année suivante qu'ils se connurent davantage, et que naquit leur grand amour.

      Le jeune homme reprit sa lecture.

      Quant à mon futur époux, écrivait alors Francine, du moment que je serai sa femme, c'est qu'il aura foi en moi, c'est que nous aurons réciproquement éprouvé notre loyauté. Que je lui révèle l'histoire de Serge, ou qu'il la découvre lorsque je ne serai plus, par ce document que j'établis aujourd'hui, il me croira. J'agirai avec lui suivant ma conscience, et suivant les événements.

       Avant que j'aie à m'expliquer auprès d'un mari, Serge aura peut-être retrouvé sa mère. Un remords peut venir au criminel. Il sait où me trouver. Peut-être fera-t-il rechercher son fils. Peut-être un de ces hasards qui rendent l'existence plus romanesque que le plus romanesque feuilleton, me mettra-t-il sur la trace de sa victime, de cette jeune créature que j'ai vue tant souffrir, et qui souffrira plus encore si elle vit... si elle sait...

       Je crois avoir tout enregistré ici,—tout, jusqu'au moindre détail. Ces feuillets sont le seul patrimoine de mon pauvre petit Serge. Réussiront-ils à lui restituer un nom, une famille, une mère?... C'est le secret de l'avenir et du destin.

      «Si jamais tu les lis, petit Serge, et que je ne sois plus là, pense tendrement à celle qui t'a pris dans ses bras, au milieu de la campagne désolée, par la dure nuit de novembre,—ta première nuit en ce monde,—et qui a juré de t'aimer, de réparer pour toi, en la faible mesure de sa tendresse, la fatalité de ta naissance.

      Delchaume eut un sanglot en achevant cette page.—«O Serge...» murmura-t-il... «Je le lui rendrai, à mon petit François, ce nom qui est si bien le sien, ce nom que sa mère a balbutié, que mon admirable Francine lui a donné. C'est ma jalousie qui souffrait de ce nom. Je me figurais...»

      Il frissonna, se frappa la poitrine. Pourtant, il n'avait à s'accuser que de sa propre torture. Pas un sentiment vil ne souilla en lui la mémoire de Francine, même quand il subissait la douleur de croire qu'un autre l'avait rendue mère.

      Le manuscrit de la morte ne se terminait pas avec cette sorte d'acte de naissance, rédigé sur-le-champ, dans la netteté, la vivacité du souvenir. Des notes suivaient, rapides, décousues, jetées au fur et à mesure des puériles péripéties qui marquent la première croissance. Une sorte de très bref journal, tenu par scrupule vis-à-vis de l'inconnu qui pourrait un jour se targuer d'un droit à savoir: la mère de l'enfant... le mari de Francine... l'enfant lui-même...

      Avant d'en prendre connaissance, Delchaume se reporta aux premières lignes, à cette espèce d'épigraphe où figurait son nom, et que sa femme ajouta peu de jours après leur mariage. La date l'indiquait.

      Maintenant il en comprendrait sans doute la portée.

       Raymond adoré, ce livre contient mon secret. S'il tombe entre tes mains de mon vivant, ou après ma mort, sans que j'aie pu t'en parler, ne me blâme pas.

       Je suis ta femme, ta femme si heureuse!... Une telle douceur m'alanguit l'âme, que je n'ai pas la force, en ce moment, d'interroger ma conscience, de me demander si mon devoir est de te faire cette révélation ou d'attendre encore.

       Ah! laisse... Je veux goûter pleinement la sérénité divine de ces jours, qui seront tout mon paradis. Il me semble que l'ombre du drame traversé, cette ombre qui, par instant, repasse sur mon chemin et me fait frissonner, glacerait l'insouciance de notre joie. N'ayant rien commis de mal, j'ai tout le temps de t'appeler au partage d'une responsabilité, peut-être d'un péril. J'entends encore une voix cruelle qui me dit:—«Si vous aimez quelqu'un au monde, ne lui parlez jamais de ce que vous avez vu ici.»

       Raymond tant aimé, quand cette voix retentit dans mon souvenir, et que je pense à toi, je deviens lâche.

       Hélas!... je l'entends gronder autour de moi, l'affreuse menace. Quelque chose plane sur ma tête... Un œil méchant me suit... Je désarmerai peut-être cette puissance invisible en me cachant encore de toi. Il m'en coûte. Mais si, dans ta téméraire fierté masculine, tu allais braver le mystère, montrer que tu sais, me suggérer une autre attitude... Qu'en résulterait-il pour toi?... Et n'exposerions-nous pas un petit être sans défense?

       Ah! pardon, mon Raymond, pardon... Laisse-moi épuiser ma part de bonheur. Je ne sais pourquoi... J'ai peur d'en laisser échapper une parcelle. Un pressentiment m'avertit que je n'en jouirai pas longtemps!...

      Un pressentiment!... C'était autre chose encore. C'était pire. Les dernières pages du manuscrit expliquèrent mieux au jeune veuf pourquoi Francine ne rompit point le silence. Dans quelle angoisse la chère créature de bonté, de douceur, qu'il adorait avec tant de passion, vécut les derniers jours СКАЧАТЬ