Chacune son Rêve. Daniel Lesueur
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Название: Chacune son Rêve

Автор: Daniel Lesueur

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066079901

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СКАЧАТЬ côté, puis reprit, non sans hésitation, et tellement bas que je l'entendis à peine:

       —«Cet enfant... Il doit disparaître.»

       Comme pour arrêter mon mouvement de révolte, il me saisit le poignet.

       —«On ne lui fera aucun mal. Je ne pourrais en souffrir la pensée. Mais on l'abandonnera. Voulez-vous le remettre à l'Assistance?

       —Moi!

       —Je vous connais, mademoiselle. C'est à bon escient que je vous ai choisie. Si vous l'emportez, je serai tranquille pour son existence. Autrement, ce sera le hasard du grand chemin, le seuil d'une église... la borne. Il m'en coûterait.

       —Quelle infamie!

       —Ne jugez donc pas ce que vous ignorez.

       —Je n'ignore pas que vous êtes un père infâme.

       —C'est là que vous jugez à faux, précisément.»

       Un éclair me traversa l'esprit. Cet homme pouvait être le mari sans être le père. Il se vengeait. Atroce vengeance!

       —«Vous volez un enfant à sa mère. Peut-on commettre un crime plus abominable!

       —J'ai fait venir un médecin, non un confesseur,» ricana-t-il. «Oui ou non, emportez-vous ce petit? ou bien l'exposera-t-on?...»

       Je regardai le feu de bois, qui n'avait cessé de brûler dans la cheminée. Au dehors, c'était novembre... Un frisson courut dans mes veines.

       —«J'emporte l'enfant,» déclarai-je.

       —«Pour le remettre à l'Assistance?

       —Qu'en puis-je faire d'autre, hélas? Je suis une jeune fille... et sans fortune.

       —C'est bien sur cela que j'ai compté. Cependant, voulez-vous me jurer?...

       —Je le jure.

       —Sur toutes vos chances de bonheur en ce monde.

       —Sur toutes mes chances de bonheur! Ce n'est pas un fameux serment.

       —Alors... sur votre vie.

       —Oh! sur ma vie aussi... tant que vous voudrez. Donnez-moi ce pauvre être, et que je parte d'ici! Grands dieux!... que je parte d'ici!...»

       Une lassitude, un dégoût, une horreur sans nom. J'avais le sentiment d'être, non la victime, mais la complice, d'une machination odieuse. Et pourtant... Que pouvais-je?

       Avant de s'éloigner, l'inconnu essaya encore de me faire accepter les billets de banque. Je les repoussai avec plus d'écœurement que la première fois.

       A peine avait-il quitté la chambre, que des gens s'y précipitèrent. Je fus saisie. Un voile m'enveloppa la tête. Mais je me débattis si violemment, et avec un tel cri, qu'une espèce de désarroi rompit l'effort de mes agresseurs. J'en profitai pour m'élancer vers l'infirmière et pour lui enlever l'enfant.

       —«Qu'on le laisse, au moins,» criai-je, «recevoir un baiser de sa mère!»

       Ceux qui étaient là comprirent-ils? Eurent-ils pitié? Je ne sais. Mais ils m'accordèrent le temps de porter le petit être contre les lèvres de celle qui l'avait si tragiquement mis au monde.

      La malheureuse eut alors,—chose extraordinaire,—comme un éclair de conscience. Peut-être le cri que j'avais jeté,—sans en modérer l'accent, cette fois,—venait-il de l'arracher à l'anéantissement de sa faiblesse et à la torpeur du stupéfiant, dont l'action n'était pas encore dissipée. Je rencontrai ses yeux ouverts,—un lucide, un poignant regard. Deux larges prunelles d'ombre. L'absence de sourcils, et presque de cils, les rendaient effarées, hagardes. Elle les fixa d'abord sur moi, puis sur son fils. Que discerna-t-elle? Quelle suprême anxiété réveilla sa pauvre âme? Un balbutiement s'échappa de sa bouche, lorsque j'en détachai la petite tête de son enfant. Penchée sur elle, j'entendis très distinctement ce nom répété à deux ou trois reprises:

       —«Serge... Serge...»

       Puis, plus clairement encore:

       —«Mon Serge adoré!...»

       Ce fut tout. Car les assistants, s'apercevant qu'elle parlait, se doutant, à mon attitude, que j'épiais avec ardeur les paroles qui lui échappaient, mirent à cette scène la fin la plus brutale. Étouffée, aveuglée, entraînée, je ne pressentis même pas ce qu'était devenu l'enfant. Mon impression fut qu'on me l'enlevait pour tout de bon. La crainte que j'eusse recueilli la clef de cette énigme changeait sans doute à mon égard les dispositions prises.

      Un regret m'effleura le cœur. Et tandis qu'on m'installait,—sous bonne garde et solidement tenue,—dans une voiture (sans doute l'auto du premier voyage), je n'avais qu'une sensation: le froid soudain sur ma poitrine à la place vide du petit corps tiède que j'y avais pressé.

       —«Oh!» me disais-je, avec un chagrin qui me surprenait moi-même, «que va-t-on faire de cet innocent, puisqu'on renonce à me le confier?»

       Le retour fut pareil à la dernière partie de l'aller. Je ne pus ni bouger, ni rien voir. Toutefois, je perçus, sous mon bandeau, qu'il faisait jour.

       «La nuit a été longue. C'est le matin,» pensais-je.

       Cette clarté—très vague pour moi—au lieu de s'aviver, diminua. L'entrée de la forêt, sans doute, ou la gêne de ces étoffes enroulées, dont ma vision s'offusquait. Aucune lueur ne revint. Au contraire, les ténèbres s'épaissirent. J'en fus troublée. Je ne concevais pas ce que je devais constater tout à l'heure: le jour avait passé. Le crépuscule, puis la nuit, lui succédaient.

       Encore une fois, il me fut impossible, même approximativement, d'évaluer la distance parcourue.

       Le moment vint où l'auto s'arrêta.

       On m'en sortit, paralysée, engourdie d'avoir été maintenue longtemps immobile. On me fit asseoir. Et j'attendais qu'enfin on dégageât ma tête, lorsque j'entendis le roulement de l'auto qui repartait à toute vitesse. Aussi rapidement qu'il me fut possible j'arrachai l'étoffe qui m'aveuglait. J'y parvins, non sans peine. Il me fallut plus de temps encore pour me reconnaître, pour identifier le lieu où l'on m'avait amenée.

      La nuit était profonde, l'heure devait être avancée. Un grand silence régnait sur la campagne. Le bruit même de l'auto ne me parvenait plus. Personne autour de moi.

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