Chacune son Rêve. Daniel Lesueur
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Название: Chacune son Rêve

Автор: Daniel Lesueur

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066079901

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СКАЧАТЬ Les portes étaient closes aussi solidement que les volets.

       L'inquiétante impression ramena ma main, meurtrie par la lutte, vers une petite sacoche suspendue à ma ceinture, où j'avais eu soin de placer, ce soir-là, comme toujours pour mes sorties nocturnes, un revolver,—d'ailleurs minuscule et peu redoutable, un revolver-bijou. Je possédais toujours la sacoche, mais on en avait enlevé le revolver,—fort adroitement, je dois le dire, je ne m'en étais pas aperçue. Une exclamation indignée m'échappa.

       —«Où suis-je?» m'écriai-je, presque avec fureur, en revenant vers la femme immobile. «Quel est ce guet-apens?

       —Chut!...» fit-elle, posant un doigt sur ses lèvres, et me désignant la forme torturée qui se convulsait sous les couvertures.

       Étrange chose... Extraordinaire instant.

       La femme... (une créature assez jeune, insignifiante, la silhouette enveloppée d'une blouse d'infirmière)... son expression soumise et irresponsable, son geste de compassion profonde, sa mimique instinctive, mais vraiment sublime, qui semblait dire: «Qu'importe!... Voici de la douleur, et le reste n'est rien...» Ceci me bouleversa, me transforma, me fit tout oublier. Une voix secrète me suggéra: «Tu es médecin... agis... soulage.» Le lieu où j'étais, ce que j'y pouvais craindre, la violence qui m'avait été faite,—tout disparut, la peur aussi bien que la colère, la curiosité comme la volonté d'observation. Il ne me resta que l'exaltation du devoir professionnel et la pitié.

       Je me penchai vers le lit—sans même arrêter longtemps mes regards sur cette femme, qui n'avait pas encore prononcé un mot, et dont la seule attitude venait de m'impressionner jusqu'à changer mon état d'âme. En écartant le drap, je compris pourquoi je n'avais pas encore pu distinguer qui s'y trouvait.

      La personne qui gisait là portait une sorte de serre-tête, comme ceux qui cachent le front et les cheveux des nonnes, sous la cornette. Ce linge blanc sur l'oreiller blanc, et qu'un système compliqué de rubans fixait à une robe de nuit à grande collerette pierrot où s'engloutissaient le menton et les oreilles, ne formait qu'une seule masse d'où émergeait bien peu de visage. Et ce peu de visage n'était guère moins blanc que le reste. La seule couleur différente—je ne le sus pas tout de suite—était celle des prunelles. Elles me parurent, quand je les vis, très sombres, d'un brun velouté, peut-être noires. Pour le moment, les paupières les recouvraient. Ces paupières abaissaient sur les joues une frange de cils tellement courte et régulière qu'elle devait avoir été rognée avec des ciseaux, pour que l'expression des yeux devînt ainsi méconnaissable. Dans le même but, assurément, les sourcils avaient été rasés. Bien que la complexion fût d'une brune, je ne pouvais préjuger de la nuance des cheveux,—du moins de la nuance qu'adoptait cette jeune femme pour sa chevelure, étant données les fantaisies de coloration et de décoloration que l'art capillaire facilite.

       Comment la reconnaître jamais?

       Ce masque blêmi, sans expression, sans parure, dénué de sourcils, presque de cils, étroitement encadré de ces blancheurs de linceul, qui sait?... Dans l'éclat de la santé, de la vie, de la joie, avec la grâce d'une coiffure seyante, c'était peut-être une image de séduction. Des cœurs passionnés l'évoquaient peut-être en se consumant de désir.

       Hélas!...

      Les traits me parurent délicats, réguliers. La distinction se marquait au galbe allongé de l'ovale, à je ne sais quoi de fin et de fier, qui subsistait malgré cet affreux appareil, et malgré les crispations de souffrance. Elle se décela également à l'élégance des attaches et des mains, lorsque je poursuivis l'examen de ce pauvre corps labouré par de terribles douleurs. Mais la disproportion des jambes et des pieds me frappa. Les muscles des jambes surtout, bien que d'un dessin remarquablement pur, ne se rapportaient pas, par leur développement et leur fermeté, à la gracilité fluette des bras. On aurait dit qu'une gymnastique spéciale avait exercé les unes sans jamais faire travailler les autres. Mais la nature offre souvent, sinon toujours, cette espèce d'inachèvement ou de désharmonie, qui force les sculpteurs à faire poser plusieurs modèles pour obtenir un type complet de perfection plastique.

       Un fait certain, c'est que j'avais sous les yeux une très jeune créature.

       L'état qu'elle présentait à un examen médical fût resté incompréhensible si l'odeur du chloroforme répandue dans la chambre ne l'eût expliqué. L'influence de cet anesthésique, administré à une dose déraisonnable, imprudente—sinon criminelle—suffisait à la rendre inconsciente et à paralyser presque entièrement le travail de la maternité,—du moins le travail volontaire, celui où l'organisme se détermine sous l'éperon de la douleur.

       Inconsciente, elle l'était. Mais non insensible. Sa chair torturée gémissait,—plaintif gémissement qui déchirait le cœur. Et, sans doute, à cette lamentation physique, se mêlait le cri d'une détresse obscure... Mais le cerveau ne discernait plus, ne répartissait plus la part cruelle des fibres saignantes, et l'autre part,—plus cruelle peut-être, de l'âme angoissée.

       —«Qu'a-t-on fait!...» murmurai-je. «Sans l'intervention du chloroforme, tout se fût passé normalement. Tandis qu'à présent le pire est à craindre. Qui a osé appliquer ce stupéfiant avec une prodigalité si coupable?»

       Je levai les yeux vers l'infirmière. Non pour une réponse positive à ma question, mais pour un éclaircissement quelconque, dont je pusse tirer parti.

       Elle me considérait avec anxiété, sans répondre. Et comme je lui dis encore quelques mots, renforcés par toute l'autorité dont j'étais capable, en appelant à sa conscience pour me venir en aide, elle finit par proférer des sons qui me furent totalement incompréhensibles. Elle parlait une langue sans aucun rapport avec celles que j'avais jamais entendues. Je ne rencontrai aucune syllabe familière dans ce que me dit cette femme. Pourtant elle parut ensuite comprendre certains ordres que je lui donnai, certains noms d'objets que je la priai de me passer, lorsqu'elle s'appliqua, sous ma direction, à joindre aux miens ses efforts pour sauver la malheureuse jeune mère et son enfant. Jouait-elle un rôle imposé? Était-ce réellement une étrangère assez fraîchement débarquée de son pays pour ne pas connaître un seul mot de français? Que sais-je? Pour moi, dans le drame, elle n'était qu'une comparse très inférieure. La chance voulut qu'elle eût une sensibilité compatissante, beaucoup de bonne volonté, des gestes précis et agiles. Grâce à cette triple disposition, elle coopéra très efficacement à l'œuvre de salut que je m'efforçai d'accomplir, et dont, à certaines minutes, j'eus lieu de désespérer.

      Combien dura cette œuvre? Pendant combien d'heures cette inconnue et moi disputâmes-nous à la mort l'autre inconnue,—presque cadavre par la rigidité effrayante,—et appelâmes-nous désespérément à la vie l'infortuné petit être, qui faillit avoir pour tombeau le sein glacé où toute palpitation s'éteignait? Je ne sus pas quand la nuit fit place au jour. Si l'aube grise de novembre filtra par quelque interstice des volets, je ne m'en aperçus pas. L'électricité nous éclairait abondamment.

       Par bonheur, rien ne me manqua de tout ce qui pouvait être nécessaire aux soins spéciaux que je prodiguai. Ma trousse était complète. Et, pour ce qu'elle ne fournissait pas, je le trouvai là, sur cette table, où s'étalait tout un appareil d'infirmerie. La garde me préparait tout, en personne d'expérience. C'était elle, probablement, qui s'était munie de si prévoyante façon.

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