La tombe de fer. Hendrik Conscience
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La tombe de fer - Hendrik Conscience страница 5

Название: La tombe de fer

Автор: Hendrik Conscience

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066087104

isbn:

СКАЧАТЬ de fixer sur le marbre le moment suprême où l'âme quitte le corps et le force cependant encore à manifester la joie que lui fait éprouver la certitude d'une vie meilleure. Cette œuvre, que j'avais nommée le Pressentiment de l'éternité, souleva une sorte d'émeute parmi les artistes. La plupart se déchaînèrent contre moi avec une espèce de fureur et critiquèrent ma statue comme le fruit d'un esprit malade, et comme une hérésie contre les préceptes alors en honneur. En effet, les formes de ma statue étaient maigres, délicates, fines et rêveuses: la forme matérielle était sacrifiée à l'expression morale d'une idée ou d'un sentiment. Il y eut aussi beaucoup de personnes qui parurent admirer mon œuvre, et qui m'encouragèrent en me disant que j'étais prédestiné à faire une révolution dans l'école, et à élever l'art chrétien au-dessus de l'art païen; mais plus je trouvai de défenseurs, plus je vis s'élever contre moi d'ennemis acharnés. Si la lutte s'était bornée à la discussion des défauts et des mérites de ma statue, je n'y eusse point succombé; mais mes adversaires, aveuglés par la passion, se mirent à chercher dans mon passé des prétextes pour me livrer à la risée du public. Ils firent, sans le vouloir, saigner mon cœur par de profondes blessures, et profanèrent des souvenirs qui m'étaient plus chers que la vie. Depuis ce moment, j'ai eu peur de la publicité, et je n'ai plus jamais rien exposé.

      Il y avait dans les paroles du vieillard, un calme touchant et une émouvante sérénité. En ce moment, sa figure me parut si noble et si majestueuse, que j'en fus profondément ému, et ce ne fut qu'après un moment de réflexion que je lui demandai:

      —Et ne travaillez-vous plus du tout, maintenant?

      —Je travaille encore de temps en temps, dit-il. Il me serait impossible de m'en abstenir, lors même que je le voudrais. L'art est devenu pour mon cœur un besoin impérieux, parce qu'il est la baguette magique avec laquelle j'évoque les plus douces pensées de mon passé, et me transporte dans le printemps de ma vie.

      Le chemin était devenu très-sablonneux, et nous avancions à grand'peine. Cela interrompit notre conversation pendant quelques minutes. Lorsque je pus reprendre ma place à côté du vieillard, je lui demandai:

      —Si je ne me trompe, vous avez lu quelques-uns de mes ouvrages. Vous aimez donc la littérature?

      —Je ne lis pas beaucoup, répondit-il; cependant Je possède la plupart de vos œuvres.

      —Et ont-elles su vous plaire?

      —Vos récits de la Campine, et vos esquisses morales surtout; oui, plus que vous ne sauriez vous l'imaginer. Il en est que j'ai relus plus de dix fois. Ce ne sont pas les histoires mêmes qui me font encore plaisir après plusieurs lectures; c'est le ton, une sorte d'harmonie secrète qui s'accorde avec mon humeur et qui me ravit.

      Je regardai le vieillard d'un oeil interrogateur pour obtenir de plus amples explications.

      —Dans les récits dont je veux parler, dit-il, régnent une sorte de simplicité naïve, de douce sensibilité et d'inébranlable espérance: un sentiment sincère d'admiration de la nature, de reconnaissance envers Dieu, et d'amour de l'humanité. Ces lectures m'ont souvent touché vivement, mais elles ne me fatiguent pas; et quand j'ai fini un de ces ouvrage, je me sens consolé, je suis plus croyant, plus aimant, et je me réjouis au fond du coeur en découvrant que des cordes si tendres et si pures, qu'on croirait propres aux seuls enfants, vibrent et résonnent encore dans mon âme. Je bégayai quelques excuses et m'efforçai de faire avouer au vieillard qu'il louait mes ouvrages plus qu'ils ne le méritaient, probablement par un sentiment de bienveillance ou de sympathie. Mais il repoussa cette excuse et reprit en forme de conclusion:

      —C'est vrai, chaque homme sent d'une manière qui lui est propre, qui peut être innée en lui, mais qui provient cependant des sensations de sa jeunesse et des événements qui ont dominé sa vie. Je ne puis donc pas prétendre que chacun doit nécessairement sentir comme moi. Quoi qu'il en soit, n'eussé-je trouvé dans vos ouvrages que la religion du souvenir et la loi dans un avenir meilleur, cela aurait suffi pour me les faire aimer. Il y a, en outre, des raisons que je ne puis vous dire.

      Nous nous trouvions en ce moment près de deux ou trois paysans qui venaient à notre rencontre sur la route. Nous gardâmes le silence jusqu'à ce qu'ils nous eussent croisés. Alors le vieillard me demanda:

      —Vous ne ferez que traverser Bodeghem, pour aller ce soir loger à Benkelhout? Ce n'est donc pas un dessein particulier qui vous amène dans notre petit village?

      —Si fait. J'avais l'intention de prendre, en passant, quelques renseignements sur une chose qui m'a été racontée; mais, puisque vous êtes si bon et si serviable, pourquoi ne vous demanderais-je pas ce que je désire savoir? Il y a dans le cimetière de Bodeghem une tombe de fer, n'est-ce pas?

      —Il y a, en effet, une tombe que les villageois naïfs appellent la tombe de fer, parce qu'elle est entourée d'un grillage; mais cette tombe n'offre rien de remarquable.

      La voix du vieillard me parut avoir tout à fait changé de ton; elle était retenue et sèche comme s'il avait voulu éloigner ou abréger la conversation.

      —Il pousse toujours des fleurs nouvelles sur cette tombe? demandai-je.

      —Il y pousse toujours des fleurs, répéta-t-il.

      —Il y a un banc de bois près de la tombe, et ce banc est usé, parce qu'un esprit, la dame blanche, vient s'y asseoir toutes les nuits depuis des années?

      —Un conte d'enfant, dit le vieillard avec un sourire sur les lèvres.

      —Je sais bien, monsieur, que ce ne peut être qu'un conte; mais, du moins, il y a quelqu'un qui soigne les fleurs sur la tombe; car c'est sans doute aussi une fable que ces fleurs sortant d'elles-mêmes de terre?

      Comme mon compagnon ne répondait pas immédiatement à ma question, je lui dis:

      —Il y a quelques jours, une paysanne de ces environs vint me demander conseil pour obtenir la grâce de son fils, qui avait été condamné à une forte amende pour un délit de chasse. Je la fis causer.—C'est ainsi que j'ai surpris toutes les particularités de la vie simple des paysans.—Elle m'a parlé de la tombe de fer, des fleurs qui se renouvellent toujours, de la dame blanche, et d'un ermite qui reste à prier des journées entières près de la tombe. Soyez assez bon pour me dire ce qu'il y a de vrai dans le récit de la paysanne.

      —La chose est toute simple, répondit mon compagnon. L'homme que l'on appelle l'ermite, parce qu'il vit solitaire, soigne et orne la tombe d'une personne qui lui fut plus chère que la lumière de ses yeux. En vivant ainsi, depuis la séparation fatale, près d'un tombeau, et en concentrant toute son affection sur ce tombeau, il triomphe de la mort même; car qui peut dire que l'épouse que la tombe croyait lui ravir l'ait quitté réellement, quand il la voit à chaque instant, quand elle renaît cent fois par jour dans sa pensée?

      Je regardai le vieillard avec étonnement: ses yeux brillaient d'un éclat étrange et soc visage rayonnait d'enthousiasme.

      Il remarqua l'impression que ses paroles avaient faite sur moi et surmonta son émotion. Il montra du doigt le chemin et me dit d'un ton plus calme:

      —Voilà notre petite église. Si nous avions suivi la traverse, nous pourrions déjà apercevoir de loin la tombe de fer.

      Je ne fis presque pas attention à ce qu'il me montrait, et je demandai d'un air rêveur:

      —Une épouse, dites-vous, monsieur? C'est donc une femme mariée qui repose sous la tombe de fer?

СКАЧАТЬ