L'Immortel. Alphonse Daudet
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Читать онлайн книгу L'Immortel - Alphonse Daudet страница 4

Название: L'Immortel

Автор: Alphonse Daudet

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066089313

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СКАЧАТЬ étroitesse d'intelligence cachaient la solennité du lauréat académique fabricant d'in-octavos, sa parole à son d'ophicléide faite pour les hauteurs de la chaire. Pourtant, après qu'à force d'intrigues, de démarches, de quémandes, elle fut parvenue à l'installer académicien, elle se sentit prise d'une certaine vénération, oubliant qu'elle-même l'avait revêtu de cet habit à palmes vertes où sa nullité disparaissait.

      En cette parfaite association, sans joie, ni intimité ni communication d'aucune sorte, une seule note humaine et naturelle, l'enfant; et cette note troubla l'harmonie. Tout d'abord rien ne se réalisa de ce que le père voulait pour son fils, lauriers universitaires, nominations au grand concours, puis l'École Normale et le professorat. Paul, au lycée, n'eut que des prix de gymnastique et d'escrime, se distingua surtout par une cancrerie volontaire, entêtée, cachant un esprit pratique et le sens précoce de la vie. Soigneux de sa tenue, de sa figure, il n'allait jamais en promenade sans l'espoir hautement déclaré entre gamins, de «lever une femme riche.» Deux ou trois fois, devant le parti-pris de paresse, le père avait voulu sévir brutalement, à l'auvergnate; mais la mère était là pour excuser et protéger. Astier-Réhu grondait, faisait claquer sa mâchoire, cette mâchoire en avant qui lui avait valu le surnom de Crocodilus aux années de professorat; en dernière menace il parlait de faire sa malle et de s'en retourner planter ses vignes à Sauvagnat.

      «Oh! Léonard, Léonard...» disait Mme Astier doucement narquoise; et il n'en était pas autre chose. Un jour, pourtant, il faillit la boucler pour de bon, sa malle, quand après trois ans d'architecture à l'école des Beaux-Arts, Paul Astier refusa de concourir pour le prix de Rome. Le père bégayait d'indignation: «Malheureux, mais Rome ... tu ne sais donc pas... Rome, c'est l'Institut!» Le garçon se moquait bien de cela. Ce qu'il voulait, c'était la fortune, et l'Institut ne la donnait guère, à preuve son père, son grand-père et son aïeul le vieux Réhu. Se lancer, brasser des affaires, beaucoup d'affaires, gagner de l'argent tout de suite, voilà ce qu'il ambitionnait, lui, et pas de palmes sur habit vert!

      Léonard Astier suffoquait. Entendre son fils proférer de tels blasphèmes, et sa femme, la fille des Réhu, les approuver! Pour le coup, la malle fut descendue du grenier, son ancienne malle de professeur de province, ferrée de clous, de gonds, comme un portail de temple, et haute et profonde assez pour avoir tenu l'énorme manuscrit de «Marc-Aurèle,» et tous les rêves glorieux, les ambitions de l'historien en marche sur l'Académie. Mme Astier eut beau dire, en pinçant sa bouche: «Oh! Léonard... Léonard...» rien ne l'empêcha de la faire sa malle. Pendant deux jours elle encombra le milieu du cabinet, puis elle passa dans l'antichambre d'où elle ne bougea plus, changée définitivement en coffre à bois.

      De fait, pour commencer, Paul Astier triompha; par sa mère et ses hautes relations mondaines, aussi son habileté et sa grâce personnelles, il eut vite des travaux qui le mirent en vue. La duchesse Padovani, femme de l'ancien ambassadeur et ministre, lui confiait la restauration de ce merveilleux château de Mousseaux-sur-la-Loire, vieille demeure royale restée longtemps à l'abandon et à laquelle il sut restituer son caractère avec une adresse, une ingéniosité vraiment bien surprenantes chez ce médiocre écolier des Beaux-Arts. Mousseaux lui valut le nouvel hôtel de l'ambassade Ottomane; enfin la princesse de Rosen lui confiait le mausolée du prince Herbert mort tragiquement dans l'expédition de Christian d'Illyrie. Dès lors, le jeune homme se crut maître de la fortune; le père Astier entraîné par sa femme donna quatre-vingt mille francs de ses économies, pour l'achat d'un terrain, rue Fortuny, où Paul se fit construire un hôtel, plutôt une aile d'hôtel taillée dans une élégante maison de rapport, car c'était un garçon pratique, et s'il voulait un hôtel comme tous les artistes chics, il fallait que cet hôtel lui servit des rentes.

      Par malheur les maisons de rapport ne se louent pas toujours commodément, et le train de vie du jeune architecte, deux chevaux à l'écurie, l'un de trait, l'autre pour la selle, le cercle, le monde, les rentrées difficilement faites, tout cela lui ôtait le moyen d'attendre. De plus, le père Astier déclara subitement qu'il ne donnerait rien désormais, et tout ce que la mère put tenter ou dire pour son fils chéri se heurta contre cette décision irrévocable, cette résistance à sa volonté personnelle, jusque-là prépondérante dans le ménage. Ce fut dès lors une lutte continuelle, la mère rusant, trafiquant sur la dépense comme un intendant infidèle, pour ne jamais dire non aux demandes d'argent de son fils, Léonard se méfiant et se défendant, vérifiant les notes. En cet humiliant débat, la femme, plus distinguée, se lassait la première; et vraiment il fallait que son Paul fût aux abois pour qu'elle se hasardât à une nouvelle tentative.

      En entrant dans la salle à manger, longue et triste, à peine éclairée de hautes fenêtres étroites où l'on atteignait par deux marches—avant eux c'était une table d'hôte pour ecclésiastiques,—Mme Astier trouva son mari déjà à table, l'air préoccupé, presque grognon. D'ordinaire, pourtant, le maître apportait aux repas une sérénité souriante, égale, comme son appétit aux intactes dents de chien de montagne auxquelles rien ne résistait, ni le pain rassis, ni la viande coriace et les noirs contretemps divers dont l'assaisonne chaque journée de la vie.

      «Le jour de Teyssèdre, sans doute...» pensa Mme Astier, et elle s'assit dans le frou de sa robe de réception, un peu surprise de ne pas recevoir le compliment dont il ne manquait jamais d'accueillir, le mercredi, sa toilette pourtant bien minable. Comptant que cette mauvaise disposition se dissiperait aux premières bouchée, elle attendit pour commencer l'attaque. Mais le maître, qui dévorait quand même, montrait une humeur croissante: le vin sentait le bouchon... les boulettes de boeuf bouilli étaient brûlées.

      «Tout ça parce que votre M. Fage vous a fait poser ce matin,» cria de la cuisine à côté Corentine furieuse, dont la face luisante et couturée apparut au guichet percé dans la muraille par où l'on passait les plats du temps de la table d'hôte. Quand elle l'eut refermé violemment, Léonard Astier murmura: «Cette fille est d'une impudence!...» au fond, très gêné que ce nom de Fage eut été prononcé devant sa femme. Et bien sûr qu'en tout autre moment Mme Astier n'aurait pas manqué de dire: «Ah! Ah!... encore ce Fage... encore votre relieur...» et qu'une scène de ménage eût suivi, sur laquelle Corentine comptait bien en jetant sa phrase perfide. Mais aujourd'hui il s'agissait de ne pas irriter le maître, de l'amener, au contraire, par d'habiles préparations à ce qu'on voulait de lui; en l'entretenant, par exemple, de la santé de Loisillon, le secrétaire perpétuel de l'Académie, qu'on disait de plus en plus bas. Le poste de Loisillon, son appartement à l'Institut, devaient revenir à Léonard Astier comme une compensation à l'emploi qu'il avait perdu, et quoique lié de coeur avec ce collègue mourant, l'espoir d'un bon traitement, d'un logis aéré, commode, et quelques autres avantages, enveloppaient cette fin prochaine de perspectives agréables dont Léonard avait honte peut-être, mais qu'il envisageait naïvement dans l'intimité de son ménage. Eh bien! non, même cela ne le déridait pas aujourd'hui.

      «Pauvre M. Loisillon, sifflait Mme Astier, voilà que maintenant il ne trouve plus ses mots: Lavaux nous racontait, hier, chez la duchesse, il ne sait plus dire que «bi... bibelot... bi... bibelot!»—Elle ajouta, pinçant ses lèvres, son long cou dressé: «Et il est de la commission du dictionnaire.»

      Astier Réhu ne sourcilla pas.

      «Le trait a du bon... dit-il en faisant claquer sa mâchoire, l'air doctoral... Mais j'ai écrit quelque part dans mon histoire: En France il n'y a que le provisoire qui dure...» Il prononçait histoâre, provisoâre... «Voilà dix ans que Loisillon est à la mort... Il nous enterrera tous.» Il répéta furieux, tirant sur son pain dur: «tous... tous...»

      Décidément, Teyssèdre l'avait tout à fait mal tourné.

      Alors Mme Astier parla de la grande séance des cinq Académies, proche de quelques jours et à laquelle assisterait le grand-duc Léopold de Finlande. Justement Astier-Réhu, directeur pour ce trimestre, devait présider la séance et prononcer le discours d'ouverture avec un compliment СКАЧАТЬ