L'Immortel. Alphonse Daudet
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Читать онлайн книгу L'Immortel - Alphonse Daudet страница 5

Название: L'Immortel

Автор: Alphonse Daudet

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066089313

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СКАЧАТЬ données publiquement à ces bélitres, à ces babouins!...

      Ses larges prunelles de gros mangeur s'allumaient dans sa face carrée où le sang montait sous l'épaisse broussaille des sourcils restés d'un noir de houille, en contraste avec le collier de barbe blanche.

      «A propos, dit-il brusquement, et mon habit?... l'a-t-on visité?... Quand je le mis la dernière fois, pour enterrer Montribot...»

      Mais, est-ce que les femmes ne pensent pas à tout? Mme Astier l'avait soigneusement visité, le matin même, cet habit de cérémonie. La soie des palmes s'éraillait, la doublure ne tenait plus. Un vieil habit, dam!... qui datait de... Eh! mon Dieu, de sa réception... 12 octobre 1866... Le mieux serait de s'en commander un neuf pour la séance. Les cinq Académies, une Altesse, tout Paris qui viendrait... On leur devait bien cela.

      Léonard se défendait mollement, prétextant de la dépense trop forte. Avec l'habit, il faudrait renouveler le gilet, tout au moins le gilet, puisque le pantalon ne se porte plus.

      «C'est nécessaire, mon ami.»

      Elle insistait. Sans y prendre garde ils devenaient ridicules à force d'économie. Bien des choses autour d'eux vieillissaient; ainsi le meuble de sa chambre... elle en était honteuse, quand une amie entrait ... pour une somme relativement minime...

      «Ouais!... quelque sot!...» fit tout bas Astier-Réhu qui empruntait volontiers au répertoire classique. Le pli de son front se creusa, fermant comme d'une barre de volet sa face un moment large ouverte. Tant de fois il avait donné de quoi solder une facture de modiste, de couturière, renouveler des tentures, le linge des armoires, et puis rien n'était réglé ni acheté, l'argent filait rue Fortuny chez le mange-tout; maintenant, assez, on ne l'attrapait plus. Il arrondit son dos, baissa les yeux dans son assiette qu'emplissait une tranche énorme de fromage d'Auvergne, et ne parla plus.

      Mme Astier connaissait ce silence têtu, cette molle résistance de balle de coton sitôt qu'entre eux il était question d'argent; mais cette fois, elle s'était juré de le faire répondre.

      «Ah! vous vous mettez en boule... On sait ce que ça veut dire, quand vous faites le hérisson!... Pas d'argent, n'est-ce pas? du tout, du tout, du tout?»

      Le dos s'arrondissait de plus en plus.

      «Vous en trouvez cependant pour M. Fage...»

      Léonard Astier tressaillit, redressé, regardant sa femme avec inquiétude... De l'argent!... lui!... à M. Fage!...

      «Voyons, ça coûte, vos reliures... continua-t-elle enchantée de l'avoir forcé dans ses résistances silencieuses, et quel besoin, je vous demande un peu, pour toutes ces paperasses?»

      Il se rassura. Évidemment elle ne savait rien, tirait au hasard. Mais ce mot de paperasses lui restait sur le coeur; des pièces autographiques sans rivales, des lettres signées Richelieu, Colbert, Newton, Galilée, Pascal, des merveilles acquises pour un morceau de pain et qui représentaient une fortune. «Oui, madame, une fortune.» Il se montait, citait des chiffres, des offres qu'on lui avait faites, Bos, le fameux Bos de la rue de l'Abbaye, et il s'y connaissait, celui-là! prêt à donner vingt mille francs rien que pour trois pièces de la collection, trois lettres de Charles-Quint à François Rabelais.

      «Des paperasses, ah! oui-da!»

      Mme Astier l'écoutait stupéfaite. Elle savait bien que depuis deux ou trois ans il s'était mis à collectionner des vieux papiers, il lui parlait quelquefois de ses trouvailles, qu'elle écoutait de cette oreille distraite et vague d'une femme qui entend la même voix d'homme depuis trente ans; mais jamais elle n'aurait pu supposer... Vingt mille francs pour trois pièces!... et comment n'acceptait-il pas?

      Le bonhomme éclata comme un coup de mine:

      «Vendre mes Charles-Quint!... Jamais!... Je vous verrais tous manquer de pain, aller aux portes, je n'y toucherais pas, entendez-vous!» Il frappait sur la table, très pâle, la bouche en avant, maniaque et féroce; un Astier-Réhu extraordinaire que sa femme ne connaissait pas. Les êtres ont ainsi dans le rayonnement subit d'une passion des aspects ignorés de leurs plus intimes. Presque aussitôt, redevenu très calme, l'académicien s'expliqua, un peu honteux; ces documents lui étaient indispensables pour la confection de ses livres, maintenant surtout qu'il n'avait plus les archives des Affaires étrangères. Vendre ces matériaux, ce serait renoncer à écrire! Aussi songeait-il plutôt à les accroître. Et finissant sur une note ambre et tendre où l'on sentait tous les regrets, toutes les déceptions de sa paternité: «Après moi, monsieur mon fils vendra, s'il lui convient, et puisqu'il ne veut qu'être riche, je vous garantis qu'il le sera.

      —Oui, mais en attendant...»

      Ce fut dit, cet «en attendant,» d'un petit ton flûté si monstrueusement naturel et tranquille, que Léonard, outré de jalousie contre ce fils qui lui tenait tout le coeur de sa femme, riposta dans un solennel coup de mâchoire:

      «En attendant, madame, que les autres fassent comme moi... Je n'ai pas d'hôtel, moi, ni de chevaux, ni de charrette anglaise. Le tramway me suffit pour mes courses et, comme appartement, un troisième sur entresol où je suis la proie de Teyssèdre; je travaille nuit et jour, j'entasse les volumes, deux, trois in-8o par an, je suis de deux commissions de l'Académie, je ne manque pas une séance, je figure à tous les enterrements, et même, l'été, je n'accepte aucune invitation de campagne pour ne pas perdre un seul jeton. Je souhaite à monsieur mon fils, quand il aura soixante-cinq ans, de montrer le même courage!»

      C'était la première fois depuis longtemps qu'il parlait de Paul, et avec cette âpreté. La mère en restait saisie, et dans le regard en dessous, presque cruel, qu'elle jetait à son mari, perçait comme un respect qui n'y était pas tout à l'heure.

      «On sonne... dit vivement Léonard, déjà levé, la serviette au dos de sa chaise... Ce doit être mon homme.

      —Quelqu'un pour madame... Ils commencent de bonne heure, aujourd'hui!...»

      Corentine posait une carte au bord de la table, de ses gros doigts de cuisine essuyés vivement à son tablier. Mme Astier regarda la carte. «Vicomte de Freydet;» un éclair traversa ses yeux... Et tout haut, d'un ton posé qui cachait sa joie: «M. de Freydet est donc à Paris?...

      —Oui, pour son livre...

      —Ah! mon Dieu! son livre... Et moi qui ne l'ai pas encore coupé... De quoi ça parle-t-il, ce livre-là?...»

      Elle précipitait ses dernières bouchées, lavait le bout de ses doigts blancs dans son verre pendant que son mari lui donnait distraitement quelques notions sur le nouveau volume de Freydet... Dieu dans la Nature, poème philosophique... En instance pour le prix Boisseau... «Oh! il l'aura, n'est-ce pas?... Il faut qu'il l'ait... Ils sont si gentils, lui et sa soeur... Il est si bon pour cette pauvre paralytique.»

      Astier eut un geste évasif. Il ne pouvait répondre de rien, mais il recommanderait certainement Freydet, qui lui semblait en progrès réel. «Mon appréciation personnelle, s'il vous la demande, est celle-ci: il y en a encore un peu trop pour mon goût, mais beaucoup moins que dans ses autres livres. Et dites-lui que son vieux maître est content.»

      De quoi y avait-il trop? de quoi y avait-il moins? Mme Astier le savait probablement, car sans demander d'explications, elle sortit de table et passa, toute légère, dans le cabinet transformé en salon pour ce jour-là.

      Derrière elle, Léonard Astier, СКАЧАТЬ