L'Immortel. Alphonse Daudet
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Название: L'Immortel

Автор: Alphonse Daudet

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

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isbn: 4064066089313

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СКАЧАТЬ sûr, ce n'est pas à toi que je songeais... Toi, parbleu! si tu les avais...» Puis avec son air de blague froide:

      «Mais, le maître, là-haut... Peut-être que tu obtiendrais... Tu sais si bien le prendre!

      —Plus maintenant, c'est fini.

      —Mais pourtant, il travaille, ses livres se vendent, vous ne dépensez rien...»

      Il inspectait, dans le demi-jour, la détresse de ce vieil ameublement, rideaux passés, tapis râpés, non renouvelés depuis trente ans, depuis leur mariage. Où passait donc tout son argent? «Ah ça!... est-ce que par hasard l'auteur de mes jours ferait la vie!...» C'était si énorme, si invraisemblable, Léonard Astier-Réhu faisant la vie, que sa femme ne put s'empêcher de rire à travers sa tristesse. Non, pour cela, elle pensait qu'on pouvait être tranquille: «Seulement, que veux-tu? il se cache, il se méfie... le paysan terre ses sous, nous lui en avons trop fait.» Ils parlaient tout bas, en complices, les yeux sur le tapis.

      «Et bon papa? fit Paul sans conviction, si tu essayais?...

      —Bon papa? tu es fou!...»

      Il le connaissait pourtant bien, le vieux Réhu et son égoïsme farouche de quasi-centenaire qui les eût tous regardés mourir plutôt que de se priver d'une prise de tabac, d'une seule des épingles dont les revers de sa redingote étaient toujours piqués. Ah! le pauvre enfant, fallait-il qu'il fût à bout pour qu'une idée pareille lui vînt!

      «Voyons!... veux-tu que je demande?...

      —A qui?

      —Rue de Courcelles... En avance sur le tombeau.

      —Je te le défends bien, par exemple!» Il lui parlait en maître, les lèvres pâles, l'oeil mauvais; puis de suite reprenant sa mine fermée, un peu railleuse:

      «Ne t'occupe plus de ça... ce n'est qu'une crise à passer... J'en ai vu bien d'autres.»

      Elle lui tendit son chapeau qu'il cherchait, prêt à partir puisqu'il ne pouvait rien tirer d'elle; et pour le retenir quelques instants de plus, elle lui parlait d'une grosse affaire en train, un mariage dont on l'avait chargée.

      A ce mot de mariage, il tressaillit, la regarda de côté: «Qui donc?» Elle avait juré de ne rien dire encore, mais à lui: «... le prince d'Athis.

      —Samy!... Et avec?»

      Elle aussi mit de profil son petit nez de ruse:

      «Tu ne la connais pas... Une étrangère... très riche... Si je réussis, je pourrai t'aider... conditions faites, engagement par lettres...»

      Il souriait, complétement rassuré:

      «Et la duchesse?

      —Elle ne sait rien, tu penses!

      —Son Samy, son prince, une liaison de quinze ans!»

      Madame Astier eut un geste atroce d'indifférence de femme pour une autre femme:

      «Ah! tant pis. Elle a l'âge...

      —Quel âge donc?

      —Elle est de 1827. Nous sommes en 80... Ainsi, compte. Juste un an de plus que moi.

      —La duchesse!» fit Paul stupéfait. Et la mère riant:

      «Eh oui! malhonnête... Qu'est-ce qui t'étonne? Tu la croyais, je suis sûre, vingt ans plus jeune... Mais c'est donc vrai que le plus roué de vous n'y connaît rien... Enfin, tu comprends, ce pauvre prince ne pouvait pas traîner ce licou toute sa vie, d'autant qu'un jour ou l'autre le vieux duc va mourir, il faudrait qu'il épouse. Et le vois-tu marié à cette vieille femme?...

      —Mazette! il fait bon être ton amie.»

      Elle s'emporta: La duchesse, une amie!... Oui, joliment!... Une femme qui, avec six cent mille francs de rente, intimes comme elles étaient, connaissant à fond leur détresse, n'avait jamais eu la pensée de leur venir en aide... de temps en temps une robe, un chapeau à prendre chez sa faiseuse... des cadeaux utiles... de ceux qui ne font pas plaisir...

      «Les jours de l'an de bon papa Réhu, fit Paul approuvant,... un atlas, une mappemonde...

      —Oh! je crois qu'Antonia est encore plus avare... Rappelle-toi, à Mousseaux, en pleine saison des fruits, quand Samy n'était pas là, les pruneaux qu'on nous donnait à dessert. Et pourtant, il y en a des vergers, des potagers; mais tout est vendu sur les marchés de Blois, de Vendôme... D'abord, c'est dans le sang. Son père, le maréchal, était renommé à la cour de Louis-Philippe... Et passer pour avare, à cette cour-là!... Toutes les mêmes, ces grandes familles corses: crasse et vanité. Ça mange dans de la vaisselle plate à leurs armes des châtaignes dont les porcs ne voudraient pas... La duchesse! mais c'est elle-même qui compte avec son maître d'hôtel... on lui monte la viande tous les matins... et le soir, dans les dentelles de son coucher,—je tiens ça du prince,—ainsi! prête pour l'amour, elle fait sa caisse.»

      Mme Astier se dégonflait, de sa petite voix aiguë et sifflante comme un cri d'oiseau de mer en haut d'un mât. Lui, l'écoutait, amusé d'abord, puis impatient, déjà dehors.

      «Je me sauve... fit-il brusquement, déjeuner d'affaires... très important...

      —Une commande?

      —Non... Cette fois, pas d'architéquerie...»

      Comme elle insistait curieusement pour savoir:

      «Plus tard... je te dirai... c'est en train...»

      Et avant de quitter sa mère, dans un baiser léger, il lui murmura près de l'oreille: «Tout de même, pense à mes dix mille...»

      Sans ce grand fils qui les divisait sourdement, les Astier-Réhu auraient fait un excellent ménage selon la convention mondaine et surtout académique. Après trente ans, leurs sentiments mutuels restaient les mêmes, gardés sous la neige à la température de «couche froide,» comme disent les jardiniers. Lorsque vers 1850 le professeur Astier, lauréat de l'Institut, demanda la main de Mlle Adélaïde Réhu, domiciliée alors au palais Mazarin, chez son grand-père, la beauté fine et longue de la fiancée, son teint d'aurore, n'étaient pas pour lui le véritable attrait; la fortune non plus, car les parents de Mlle Adélaïde, morts subitement du choléra, n'avaient laissé que peu de chose, et le grand-père, créole de la Martinique, un ancien beau du Directoire, joueur, viveur, mystificateur et duelliste, répétait bien haut qu'il n'ajouterait pas un sou à la maigre dot. Non, ce qui séduisit l'enfant de Sauvagnat, bien plus ambitieux que cupide, ce fut l'Académie. Les deux grandes cours à traverser pour apporter le bouquet journalier, ces longs corridors solennels, coupés de bouts d'escaliers poussiéreux, c'était pour lui le chemin de la gloire bien plus que celui de l'amour. Le Paulin Réhu des Inscriptions et Belles Lettres, le Jean Réhu des «Lettres à Uranie,» l'Institut tout entier, ses lions, sa coupole, ce dôme attirant comme une Mecque, c'est avec tout cela qu'il avait couché, sa première nuit de noces.

      Beauté qui ne s'éraille pas, celle-là, passion sur laquelle le temps n'avait pu mordre et qui le tenait si fort qu'il garda, vis-à-vis de sa femme, l'attitude d'un de ces mortels des temps mythologiques à qui les dieux accordaient parfois leurs filles. Devenu СКАЧАТЬ