Название: La Pire Espèce
Автор: Chiara Zaccardi
Издательство: Tektime S.r.l.s.
Жанр: Ужасы и Мистика
isbn: 9788873044697
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Elle regarde l’horloge : à peine cinq minutes de passer.
« Putain, quelle ennui mortel... Qui sait comment Picasso se débrouillait dans des moments pareils ? » pensa-t-elle, en se rongeant un ongle. « Probablement qu’il cherchait des idées pour ses futures chefs-d’oeuvres... » elle redresse la tête. « Peut-être que si je me mets à dessiner, j’attirerai plus l’attention » .
Elle prend au fond de la chemise son album à dessin et un crayon. Aucune banalité comme les portraits piteux de pauvres petits vieux avec en main les réductions pour l’eau minérale. Un artiste ne doit pas seulement regarder, il doit voir l’âme qui se cache derrière chacun, donc Polly se concentre sur les détails : le bord d’un t-shirt, un cou couvert d’un foulard, des yeux voilés par les verres des lunettes de soleil, des chaussures usées sur l’asphalte, des pièces de monnaie tombées à terre, une bouche rouge feu pliée vers le bas, des shorts étriqués, un piercing au nombril... Scrutant les clients du centre commercial, elle s’approprie, sans être remarquée, des parties de leur corps qu’elle immortalise sur le papier, les représentant tous ensemble, sans aucune logique, suivant un ordre en forme de spirale qui dépeint ces détails dérobés comme une empreinte enflammée dont les dimensions se réduisent au fur et à mesure que les cercles se resserrent vers le centre de la feuille.
« Excuse-moi, trésor ! »
Une exclamation fait sursauter Polly, lui faisant glisser des mains le crayon qui tombe à terre avec un bruit de tic tic tic. La fille lève la tête et voit une dame, portant un tailleur flashy de couleur saumon, lui sourire avec impatience, dévoilant des dents tachés de rouge à lèvres.
« Bonjour ! »
Polly pose l’album sur le muret et se met debout. Une cliente ! La première cliente !
« En quoi puis-je vous aider ? »
« J’ai vu qu’ici tu as de jolies choses, trésor » glousse la femme jetant un coup d’oeil global par terre. « Tu n’aurais pas quelques fruits, par hasard ? »
« Quelques...quoi ? »
« Mais si, un de ces tableaux avec des fruits dans la corbeille... Tu sais, ma soeur les aime beaucoup, mais, dans les magasins, ils coûtent les yeux de la tête ! »
« Vous voulez dire une nature morte ? »
« Oui, c’est ça trésor, surtout des poires et des cerises... Les poires, elle en est folle... »
« J’ai quelque chose dans ce genre-là... » Elle se déplace sur le côté et tire sous le drap un petit tableau représentant une coupe transparente sur une table, remplie de fruits pourris réduits en morceaux, qu’elle a ironiquement appelé Macédoine. Elle exprime assez clairement son mépris pour les natures mortes.
La dame s’approche de la toile jusqu’à l’effleurer avec son nez : « Ici, je ne vois pas de poires. Tu n’as pas quelque chose avec les poires ? »
« Eh bien, non, mais j’ai plein d’autres sujets intéress... »
« Oh non, non, je ne peux pas me permettre de dépenser pour d’autres bricoles... Merci quand même ! » la femme se retourne et s’en va sans attendre de réponse, chancelant sur les talons roses.
Polly reste un moment à fixer l’espace resté vide devant elle. Quelque chose avec les poires ?
QUELQUE CHOSE AVEC LES POIRES ? !
Elle doit penser à écrire au gourverneur pour lui demander de revoir ses standards pour l’asile.
« Eh, Patter ! » une voix aigüe la fait sortir de son blocage.
Elle reprend le contrôle de son indignation.
« Qu’est-ce que tu fais avec tout ça ? Tu as décidé d’émigrer ? » une grande nana, avec une énorme poitrine saillante écrasée dans un micro top et un short inexistant, s’arrête devant elle. Melissa Boots. La Pamela Anderson de l’école. Celle devant qui tous les mecs bavent. Celle dont le cerveau est inversement proportionnel au décolleté.
Polly se retient de crier après madame Saumon que si elle veut toujours deux grosses poires, maintenant, elle en a. Elle sent venir un petit rire et remarque que cette Boots est accompagnée de Barbara Leroy, mieux connue sous le nom de Large Bouche.
« Ciao... » fait-elle, espérant qu’elles retournent d’où elles viennent et lui foutent la paix.
« Tu veux venir faire des emplettes avec nous ? » lui demande alors Melissa, sur un ton étonnamment gentil.
« Non, je ne peux pas, merci, je suis occupée là... » répond Polly, surprise par la proposition. D’habitude, elles interdisent à quiconque de s’approcher de leur petit groupe exclusif. Mais, peut-être que c’est un petit groupe de lesbiennes.
« Ohhh, quel dommage ! » Melissa explose de rire. « Tu aurais vraiment besoin de quelques habits décents ! On t’avait prise pour une squatteuse ! »
Polly reste plantée là, sans prononcer un seul mot.
« Ehi poupée, console-toi ! » intervient Barbara. « Même si tu étais super sexy, tu ne vendrais jamais ces horreurs ! »
« Mais peut-être qu’elle pourrait vendre autre chose ! » Melissa prend sous le bras son amie et les deux entrent dans le centre commercial, tout en riant vulgairement.
Polly s’affale sur le muret de l’esplanade, manquant de s’asseoir sur l’album ouvert. Elle se demande pourquoi il existe tant de personnes odieuses sur cette terre. Elle se demande pourquoi les seins de cette Boots ne la font pas tomber en avant pour qu’elle se pète le nez.
Elle complète le dessin avec un nez cassé et l’appelle Chaos au centre commercial. Elle mettrait bien Chaos et connes au centre commercial, mais ce ne serait pas digne d’une professionnelle ayant un minimum d’éducation. Elle ne s’abaissera jamais à ce genre de niveau aussi grossier.
Elle se met à calculer le temps qu’il lui reste avant que Melissa et Barbara ne finissent leur tournée de vêtements pornographiques et retournent dehors.
Elle se sent sale et en sueur, et n’a pas gagné encore un centime.
« Au diable Picasso et toutes les biographies de peintres célèbres » pense-t-elle. « Pourquoi personne ne mentionne combien de temps dure la période d’incompréhension ? Combien d’humilations faut-il subir avant de devenir assez riche et célèbre à en faire crever d’envie les nanas qui t’ont fait sentir comme une merde ? »
Lui vient en mémoire Van Gogh. Il est mort fou et pauvre. Merde.
« C’est cette fin-là qui m’attend ? Une vie déprimante et une mort certaine ? » se demande-t-elle.
Puis, elle se reprend : « Non. Sûrement qu’avant je tuerai cette Boots » .
Elle ferme les yeux et bâille, un peu hébétée par la chaleur étouffante anomale СКАЧАТЬ