Название: La Terre
Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
Lorsque Hourdequin rentra à la Borderie, il aperçut Jacqueline dans la cour qui disait adieu aux chats de la ferme. Il y en avait toujours une bande, douze, quinze, vingt, on ne savait pas au juste; car les chattes faisaient leur portée dans des trous de paille inconnus, et reparaissaient avec des queues de cinq ou six petits. Ensuite, elle s'approcha des niches d'Empereur et de Massacre, les deux chiens du berger; mais ils grognèrent, ils l'exécraient.
Le dîner, malgré les adieux aux bêtes, se passa comme tous les jours. Le maître mangeait, causait, de son air habituel. Puis, la journée terminée, il ne fut question du départ de personne. Tous allèrent dormir, l'ombre enveloppa la ferme silencieuse.
Et, cette nuit même, Jacqueline coucha dans la chambre de feu Mme Hourdequin. C'était la belle chambre, avec son grand lit, au fond de l'alcôve tendue de rouge. Il y avait là une armoire, un guéridon, un fauteuil Voltaire; et, dominant un petit bureau d'acajou, les médailles obtenues par le fermier aux comices agricoles, luisaient, encadrées et sous verre. Lorsque la Cognette, en chemise, monta dans le lit conjugal, elle s'y étala, y écarta les bras et les cuisses, pour le tenir tout entier, riant de son rire de tourterelle.
Jean, le lendemain, comme elle lui sautait aux épaules, la repoussa. Du moment que ça devenait sérieux, ça n'était pas propre, décidément, et il ne voulait plus.
II
A quelques jours de là, un soir, Jean revenait à pied de Cloyes, lorsque, deux kilomètres avant Rognes, l'allure d'une carriole de paysan qui rentrait devant lui, l'étonna. Elle semblait vide, personne n'était plus sur le banc, et le cheval, abandonné, retournait à son écurie d'une allure flâneuse, en bête qui connaissait son chemin. Aussi le jeune homme l'eut-il vite rattrapé. Il l'arrêta, se haussa pour regarder dans la voiture: un homme était au fond, un vieillard de soixante ans, gros, court, tombé à la renverse, et la face si rouge, qu'elle paraissait noire.
La surprise de Jean fut telle, qu'il se mit à parler tout haut.
– Eh! l'homme!.. Est-ce qu'il dort? est-ce qu'il a bu?.. Tiens! c'est le vieux Mouche, le père aux deux de là-bas!.. Je crois, nom de Dieu! qu'il est claqué! Ah! bien! en voilà, une affaire!
Mais, foudroyé par une attaque d'apoplexie, Mouche respirait encore, d'un petit souffle pénible. Jean, alors, après l'avoir allongé, la tête haute, s'assit sur le banc et fouetta le cheval, ramenant le moribond au grand trot, de peur qu'il ne lui passât entre les mains.
Quand il déboucha sur la place de l'Église, justement il aperçut Françoise, debout devant sa porte. La vue de ce garçon dans leur voiture, conduisant leur cheval, la stupéfiait.
– Quoi donc? demanda-t-elle.
– C'est ton père qui ne va pas bien.
– Où ça?
– Là, regarde?
Elle monta sur la roue, regarda. Un instant, elle resta stupide, sans avoir l'air de comprendre, devant ce masque violâtre dont une moitié s'était convulsée, comme tirée violemment de bas en haut. La nuit tombait, un grand nuage fauve qui jaunissait le ciel, éclairait le mourant d'un reflet d'incendie.
Puis, tout d'un coup, elle éclata en sanglots, elle se sauva, elle disparut, pour prévenir sa soeur.
– Lise! Lise!.. Ah! mon Dieu!
Resté seul, Jean hésita. On ne pouvait pourtant pas laisser le vieux au fond de la carriole. Le sol de la maison se creusait de trois marches, du côté de la place; et une descente dans ce trou sombre lui semblait mal commode. Ensuite, il s'avisa que, du côté de la route, à gauche, une autre porte ouvrait sur la cour, de plain-pied. Cette cour, assez vaste, était close d'une haie vive; l'eau rousse d'une mare en occupait les deux tiers; et un demi-arpent de potager et de fruitier la terminait. Alors, il lâcha le cheval, qui, de lui-même, rentra et s'arrêta devant son écurie, près de l'étable, où étaient les deux vaches.
Mais, au milieu de cris et de larmes, Françoise et Lise accouraient. Cette dernière, accouchée depuis quatre mois, surprise pendant qu'elle faisait téter le petit, l'avait gardé au bras, dans son effarement; et il hurlait, lui aussi. Françoise remonta sur une roue, Lise grimpa sur l'autre, leurs lamentations devinrent déchirantes; tandis que le père Mouche, au fond, soufflait toujours de son sifflement pénible.
– Papa, réponds, dis?.. Qu'est-ce que t'as, dis donc? qu'est-ce que t'as, mon Dieu!.. C'est donc dans la tête, que tu ne peux seulement rien dire?.. Papa, papa, dis, réponds!
– Descendez, vaut mieux le tirer de là, fit remarquer Jean avec sagesse.
Elles ne l'aidaient point, elles s'exclamaient plus fort. Heureusement, une voisine, la Frimat, attirée par le bruit, se montra enfin. C'était une grande vieille sèche, osseuse, qui depuis deux ans soignait son mari paralytique, et qui le faisait vivre en cultivant elle-même, avec une obstination de bête de somme, l'unique arpent qu'ils possédaient. Elle ne se troubla pas, sembla juger l'aventure naturelle; et, comme un homme, elle donna un coup de main. Jean empoigna Mouche par les épaules, le tira, jusqu'à ce que la Frimat pût le saisir par les jambes. Puis, ils l'emportèrent, l'entrèrent dans la maison.
– Où est-ce qu'on le met? demanda la vieille.
Les deux filles, qui suivaient, la tête perdue, ne savaient pas. Leur père habitait, en haut, une petite chambre, prise sur le grenier; et il n'était guère possible de le monter. En bas, après la cuisine, il y avait la grande chambre à deux lits, qu'il leur avait cédée. Dans la cuisine, il faisait nuit noire, le jeune homme et la vieille femme attendaient, les bras cassés, n'osant avancer davantage, de peur de culbuter contre un meuble.
– Voyons, faudrait se décider, pourtant!
Françoise, enfin, alluma une chandelle. Et, à ce moment, entra la Bécu, la femme du garde champêtre, avertie par son flair sans doute, par cette force secrète, qui, en une minute, porte une nouvelle d'un bout à l'autre d'un village.
– Hein! qu'a-t-il, le pauvre cher homme?.. Ah! je vois, le sang lui a tourné dans le corps… Vite, asseyez-le sur une chaise.
Mais la Frimat fut d'un avis contraire. Est-ce qu'on asseyait un homme qui ne pouvait se tenir! Le mieux était de l'allonger sur le lit d'une de ses filles. Et la discussion s'aigrissait, lorsque parut Fanny avec Nénesse: elle avait appris la chose en achetant du vermicelle chez Macqueron, elle venait voir, remuée, à cause de ses cousines.
– Peut-être bien, déclara-t-elle, qu'il faut l'asseoir, pour que le sang coule.
Alors, Mouche fut tassé sur une chaise, près de la table, СКАЧАТЬ