La Terre. Emile Zola
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Название: La Terre

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ se mettre à la besogne.

      Le maître causa un instant, pour n'avoir pas l'air de l'interroger. Les moutons, qu'on nourrissait là, depuis les premières gelées de la Toussaint, allaient bientôt sortir, vers le milieu de mai, dès qu'on pourrait les conduire dans les trèfles. Les vaches, elles, n'étaient guère menées en pâture qu'après la moisson. Cette Beauce si sèche, dépourvue d'herbages naturels, donnait de bonne viande cependant; et c'était routine et paresse, si l'élevage du boeuf s'y trouvait inconnu. Même chaque ferme n'engraissait que cinq ou six porcs, pour sa consommation.

      De sa main brûlante, Hourdequin flattait les brebis qui étaient accourues, la tête levée, avec leurs yeux doux et clairs; tandis que le flot des agneaux, enfermés plus loin, se pressait en bêlant contre les claies.

      – Et alors, père Soûlas, vous n'avez rien vu ce matin? redemanda-t-il en le regardant droit dans les yeux.

      Le vieux avait vu, mais à quoi bon parler? Sa défunte, la garce et la soûlarde, lui avait appris le vice des femmes et la bêtise des hommes. Peut-être bien que la Cognette, même vendue, resterait la plus forte, et alors ce serait sur lui qu'on tomberait, pour se débarrasser d'un témoin gênant.

      – Rien vu, rien vu du tout! répéta-t-il les yeux ternes, la face immobile.

      Lorsque Hourdequin retraversa la cour, il remarqua que Jacqueline y était demeurée, nerveuse, l'oreille tendue, avec la crainte de ce qui se disait dans la bergerie. Elle affectait de s'occuper de ses volailles, les six cents bêtes, poules, canards, pigeons, qui voletaient, cancanaient, grattaient la fosse à fumier, au milieu d'un continuel vacarme; et même, le petit porcher ayant renversé un seau d'eau blanche qu'il portait aux cochons, elle se détendit un peu les nerfs en le giflant. Mais un coup d'oeil jeté sur le fermier la rassura: il ne savait rien, le vieux s'était mordu la langue. Son insolence en fut accrue.

      Aussi, au déjeuner de midi, se montra-t-elle d'une gaieté provocante. Les gros travaux n'étaient pas commencés, on ne faisait encore que quatre repas, l'émiettée de lait à sept heures, la rôtie à midi, le pain et le fromage à quatre heures, la soupe et le lard à huit. On mangeait dans la cuisine, une vaste pièce, où s'allongeait une table, flanquée de deux bancs. Le progrès n'y était représenté, que par un fourneau de fonte, qui occupait un coin de l'âtre immense. Au fond, s'ouvrait la bouche noire du four; et les casseroles luisaient, d'antiques ustensiles s'alignaient en bon ordre, le long des murs enfumés. Comme la servante, une grosse fille laide, avait cuit le matin, une bonne odeur de pain chaud montait de la huche, laissée ouverte.

      – Alors, vous avez l'estomac bouché, aujourd'hui? demanda hardiment Jacqueline à Hourdequin, qui rentrait le dernier.

      Depuis la mort de sa femme et de sa fille, pour ne pas manger tout seul, il s'asseyait à la table de ses serviteurs, ainsi qu'au vieux temps; et il se mettait à un bout, sur une chaise, tandis que la servante-maîtresse faisait de même, à l'autre bout. On était quatorze, la bonne servait.

      Quand le fermier se fut assis, sans répondre, la Cognette parla de soigner la rôtie. C'étaient des tranches de pain grillées, cassées ensuite dans une soupière, puis arrosées de vin, qu'on sucrait avec de la ripopée, l'ancien mot qui désigne la mélasse en Beauce. Et elle en redemanda une cuillerée, elle affectait de vouloir gâter les hommes, elle lâchait des plaisanteries qui les faisaient éclater de gros rires. Chacune de ses phrases était à double entente, rappelait qu'elle partait le soir: on se prenait, on se quittait, et qui n'en aurait jamais plus, regretterait de ne pas avoir trempé une dernière fois son doigt dans la sauce. Le berger mangeait de son air hébété, pendant que le maître, silencieux, semblait lui aussi ne pas comprendre. Jean, pour ne pas se trahir, était obligé de rire avec les autres, malgré son ennui; car il ne se trouvait guère honnête dans tout ça.

      Après le déjeuner, Hourdequin donna ses ordres pour l'après-midi. Il n'y avait, dehors, que quelques petits travaux à terminer: on roulait les avoines, on finissait le labour des jachères, en attendant de commencer la fauchaison des luzernes et des trèfles. Aussi garda-t-il deux hommes, Jean et un autre, qui nettoyèrent le fenil. Et lui-même, accablé maintenant, les oreilles bourdonnantes sous la réaction sanguine, très malheureux, se mit à tourner, sans savoir à quelle occupation tuer son chagrin. Les tondeurs s'étaient installés sous un des hangars, dans un angle de la cour. Il alla se planter devant eux, les regarda.

      Ils étaient cinq, des gaillards efflanqués et jaunes, accroupis, avec leurs grands ciseaux d'acier luisant. Le berger, qui apportait les brebis, les quatre pieds liés, pareilles à des outres, les rangeait sur la terre battue du hangar, où elles ne pouvaient plus que lever la tête, en bêlant. Et, lorsqu'un des tondeurs en saisissait une, elle se taisait, s'abandonnait, ballonnée par l'épaisseur de sa fourrure, que le suint et la poussière cuirassaient d'une croûte noire. Puis, sous la pointe rapide des ciseaux, la bête sortait de la toison comme une main nue d'un gant sombre, toute rose et fraîche, dans la neige dorée de la laine intérieure. Serrée entre les genoux d'un grand sec, une mère, posée sur le dos, les cuisses écartées, la tête relevée et droite, étalait son ventre, qui avait la blancheur cachée, la peau frissonnante d'une personne qu'on déshabille. Les tondeurs gagnaient trois sous par bête, et un bon ouvrier pouvait en tondre vingt à la journée.

      Hourdequin, absorbé, songeait que la laine était tombée à huit sous la livre; et il fallait se dépêcher de la vendre, pour qu'elle ne séchât pas trop, ce qui lui enlevait de son poids. L'année précédente, le sang de rate avait décimé les troupeaux de la Beauce. Tout marchait de mal en pis, c'était la ruine, la faillite de la terre, depuis que la baisse des grains s'accentuait de mois en mois. Et, ressaisi par ses préoccupations d'agriculteur, étouffant dans la cour, il quitta la ferme, il s'en alla donner un coup d'oeil à ses champs. Toujours, ses querelles avec la Cognette finissaient ainsi: après avoir tempêté et serré les poings, il cédait la place, oppressé d'une souffrance que soulageait seule la vue de son blé et de ses avoines, roulant leur verdure à l'infini.

      Ah! cette terre, comme il avait fini par l'aimer! et d'une passion où il n'entrait pas que l'âpre avarice du paysan, d'une passion sentimentale, intellectuelle presque, car il la sentait la mère commune, qui lui avait donné sa vie, sa substance, et où il retournerait. D'abord, tout jeune, élevé en elle, sa haine du collège, son désir de brûler ses livres n'étaient venus que de son habitude de la liberté, des belles galopades à travers les labours, des griseries de grand air, aux quatre vents de la plaine. Plus tard, quand il avait succédé à son père, il l'avait aimée en amoureux, son amour s'était mûri, comme s'il l'eût prise dès lors en légitime mariage, pour la féconder. Et cette tendresse ne faisait que grandir, à mesure qu'il lui donnait son temps, son argent, sa vie entière, ainsi qu'à une femme bonne et fertile, dont il excusait les caprices, même les trahisons. Il s'emportait bien des fois, lorsqu'elle se montrait mauvaise, lorsque, trop sèche ou trop humide, elle mangeait les semences, sans rendre des moissons; puis, il doutait, il en arrivait à s'accuser de mâle impuissant ou maladroit: la faute en devait être à lui, s'il ne lui avait pas fait un enfant. C'était depuis cette époque que les nouvelles méthodes le hantaient, le lançaient dans les innovations, avec le regret d'avoir été un cancre au collège, et de n'avoir pas suivi les cours d'une de ces écoles de culture, dont son père et lui se moquaient. Que de tentatives inutiles, d'expériences manquées, et les machines que ses serviteurs détraquaient, et les engrais chimiques que fraudait le commerce! Il y avait englouti sa fortune, la Borderie lui rapportait à peine de quoi manger du pain, en attendant que la crise agricole l'achevât! N'importe! il resterait le prisonnier de sa terre, il y enterrerait ses os, après l'avoir gardée pour femme, jusqu'au bout.

      Ce jour-là, dès qu'il fut dehors, il se rappela son fils, le capitaine. A eux deux, ils auraient fait de si bonne besogne? Mais il écarta le souvenir de cet imbécile qui préférait traîner un sabre. Il n'avait plus d'enfant, il finirait solitaire. Puis, l'idée lui vint de ses voisins, les Coquart surtout, des propriétaires qui cultivaient СКАЧАТЬ