La Terre. Emile Zola
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Название: La Terre

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ douce. Alors, commença, entre lui et ses deux cents hectares, une longue lutte, d'abord prudente, peu à peu enfiévrée par les mécomptes, lutte de chaque saison, de chaque jour, qui, sans l'enrichir, lui avait permis de mener une vie large de gros homme sanguin, décidé à ne jamais rester sur ses appétits. Depuis quelques années, les choses se gâtaient encore. Sa femme lui avait donné deux enfants: un garçon, qui s'était engagé par haine de la culture, et qui venait d'être fait capitaine, après Solférino; une fille délicate et charmante, sa grande tendresse, l'héritière de la Borderie, puisque son fils ingrat courait les aventures. D'abord, en pleine moisson, il perdit sa femme. L'automne suivant, sa fille mourait. Ce fut un coup terrible. Le capitaine ne se montrait même plus une fois par an, le père se trouva brusquement seul, l'avenir fermé, sans l'encouragement désormais de travailler pour sa race. Mais, si la blessure saignait au fond, il resta debout, violent et autoritaire. Devant les paysans qui ricanaient de ses machines, qui souhaitaient la ruine de ce bourgeois assez audacieux pour tâter de leur métier, il s'obstina. Et que faire, d'ailleurs? Il était de plus en plus étroitement le prisonnier de sa terre: le travail accumulé, le capital engagé l'enfermaient chaque jour davantage, sans autre issue possible désormais que d'en sortir par un désastre.

      Hourdequin, carré des épaules, avec sa large face haute en couleur, n'ayant gardé que des mains petites de son affinement bourgeois, avait toujours été un mâle despotique pour ses servantes. Même du temps de sa femme, toutes étaient prises; et cela naturellement, sans autre conséquence, comme une chose due. Si les filles de paysans pauvres qui vont en couture, se sauvent parfois, pas une de celles qui s'engagent dans les fermes, n'évite l'homme, les valets ou le maître. Mme Hourdequin vivait encore, lorsque Jacqueline entra à la Borderie, par charité: le père Cognet, un vieil ivrogne, la rouait de coups, et elle était si desséchée, si minable, qu'on lui voyait les os du corps, au travers de ses guenilles. Avec ça, d'une telle laideur, croyait-on, que les gamins la huaient. On ne lui aurait pas donné quinze ans, bien qu'elle en eût alors près de dix-huit. Elle aidait la servante, on l'employait à de basses besognes, à la vaisselle, au travail de la cour, au nettoyage des bêtes, ce qui achevait de la crotter, salie à plaisir. Pourtant, après la mort de la fermière, elle parut se décrasser un peu. Tous les valets la culbutaient dans la paille; pas un homme ne venait à la ferme, sans lui passer sur le ventre; et, un jour qu'elle l'accompagnait à la cave, le maître, dédaigneux jusque-là, voulut aussi goûter de ce laideron mal tenu; mais elle se défendit furieusement, l'égratigna, le mordit, si bien qu'il fut obligé de la lâcher. Dès lors, sa fortune était faite. Elle résista pendant six mois, se donna ensuite par petits coins de peau nue. De la cour, elle était sautée à la cuisine, servante en titre; puis, elle engagea une gamine pour l'aider; puis, tout à fait dame, elle eut une bonne qui la servit. Maintenant, de l'ancien petit torchon, s'était dégagée une fille très brune, l'air fin et joli, qui avait la gorge dure, les membres élastiques et forts des fausses maigres. Elle se montrait d'une coquetterie dépensière, se trempait de parfums, tout en gardant un fond de malpropreté. Les gens de Rognes, les cultivateurs des environs, n'en demeuraient pas moins étonnés de l'aventure: était-ce Dieu possible qu'un richard se fût entiché d'une mauviette pareille, pas belle, pas grasse, de la Cognette enfin, la fille à Cognet, à ce soûlard qu'on voyait depuis vingt ans casser les cailloux sur les routes! Ah! un fier beau-père! une fameuse catin! Et les paysans ne comprenaient même pas que cette catin était leur vengeance, la revanche du village contre la ferme, du misérable ouvrier de la glèbe contre le bourgeois enrichi, devenu gros propriétaire. Hourdequin, dans la crise de ses cinquante-cinq ans, s'acoquinait, la chair prise, ayant le besoin physique de Jacqueline, comme on a le besoin du pain et de l'eau. Quand elle voulait être bien gentille, elle l'enlaçait d'une caresse de chatte, elle le gorgeait d'un dévergondage sans scrupule, sans dégoût, tel que les filles ne l'osent pas; et, pour une de ces heures, il s'humiliait, il la suppliait de rester, après des querelles, des révoltes terribles de volonté, dans lesquelles il menaçait de la flanquer dehors, à grands coups de botte.

      La veille encore, il l'avait giflée, à la suite d'une scène qu'elle lui faisait, pour coucher dans le lit où était morte sa femme; et, toute la nuit, elle s'était refusée, lui allongeant des tapes, dès qu'il s'approchait; car, si elle continuait à se donner le régal des garçons de la ferme, elle le rationnait, lui, le fouettait d'abstinences, afin d'augmenter son pouvoir. Aussi, ce matin-là, dans cette chambre moite, dans ce lit défait où il la respirait encore, fut-il repris de colère et de désir. Depuis longtemps, il flairait ses continuelles trahisons. Il se leva d'un saut, il dit à voix haute:

      – Ah! bougresse, si je te pince!

      Vivement, il s'habilla et descendit.

      Jacqueline avait filé à travers la maison muette, éclairée à peine par la pointe de l'aube. Comme elle traversait la cour, elle eut un mouvement de recul, en apercevant le berger, le vieux Soulas, déjà debout. Mais son envie la tenait si fort, qu'elle passa outre. Tant pis! Elle évita l'écurie de quinze chevaux, où couchaient quatre des charretiers de la ferme, alla au fond, dans la soupente qui servait de lit à Jean: de la paille, une couverture, pas même de draps. Et, l'embrassant tout endormi, lui fermant la bouche d'un baiser, frissonnante, essoufflée, à voix très basse:

      – C'est moi, grosse bête. Aie pas peur… Vite, vite, dépêchons!

      Mais il s'effraya, il ne voulut jamais, à cette place, dans son lit, crainte d'une surprise. L'échelle du fenil était près de là, ils grimpèrent, laissèrent la trappe ouverte, se culbutèrent au milieu du foin.

      – Oh! grosse bête, grosse bête! répétait Jacqueline pâmée, avec son roucoulement de gorge, qui semblait lui monter des flancs.

      Il y avait près de deux ans que Jean Macquart se trouvait à la ferme. En sortant du service, il était tombé à Bazoches-le-Doyen, avec un camarade, menuisier comme lui, et il avait repris du travail chez le père de ce dernier, petit entrepreneur de village, qui occupait deux ou trois ouvriers; mais il ne se sentait plus le coeur à la besogne, les sept années de service l'avaient rouillé, dévoyé, dégoûté de la scie et du rabot, à ce point qu'il semblait un autre homme. Jadis, à Plassans, il tapait dur sur le bois, sans facilité pour apprendre, sachant tout juste lire, écrire et compter, très réfléchi pourtant, très laborieux, ayant la volonté de se créer une situation indépendante, en dehors de sa terrible famille. Le vieux Macquart le tenait dans une dépendance de fille, lui soufflait sous le nez ses maîtresses, allait chaque samedi, à la porte de son atelier, lui voler sa paie. Aussi, lorsque les coups et la fatigue eurent tué sa mère, suivit-il l'exemple de sa soeur Gervaise, qui venait de filer à Paris, avec un amant: il se sauva de son côté, pour ne pas nourrir son fainéant de père. Et, maintenant, il ne se reconnaissait plus, non qu'il fût devenu paresseux à son tour, mais le régiment lui avait élargi la tête: la politique, par exemple, qui l'ennuyait autrefois, le préoccupait aujourd'hui, le faisait raisonner sur l'égalité et la fraternité. Puis, c'étaient des habitudes de flâne, les factions rudes et oisives, la vie somnolente des casernes, la bousculade sauvage de la guerre. Alors, les outils tombaient de ses mains, il songeait à sa campagne d'Italie, et un grand besoin de repos l'engourdissait, l'envie de s'allonger et de s'oublier dans l'herbe.

      Un matin, son patron vint l'installer à la Borderie, pour des réparations. Il y avait un bon mois de travail, des chambres à parqueter, des portes, des fenêtres à consolider un peu partout. Lui, heureux, traîna la besogne six semaines. Sur ces entrefaites, son patron mourut, et le fils, qui s'était marié, alla s'établir dans le pays de sa femme. Demeuré à la Borderie, où l'on découvrait toujours des bois pourris à remplacer, le menuisier y fit des journées pour son compte; puis, comme la moisson commençait, il donna un coup de main, resta six semaines encore; de sorte que, le voyant si bien mordre à la culture, le fermier finit par le garder tout à fait. En moins d'un an, l'ancien ouvrier devint un bon valet de ferme, charriant, labourant, semant, fauchant, dans cette paix de la terre, où il espérait contenter enfin son besoin de calme. C'était donc fini de scier et de raboter! Et il paraissait né pour les champs, avec sa lenteur sage, son amour du travail réglé, ce tempérament СКАЧАТЬ