Название: Le Docteur Pascal
Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Clotilde, troublée, à cet ardent murmure de paroles, le regardait fixement. Jamais elle ne s'était permis de lui parler d'une autre histoire qui courait, l'unique et discret amour qu'il aurait eu pour une dame, morte elle aussi à cette heure. On racontait qu'il l'avait soignée, sans même oser lui baiser le bout des doigts. Jusqu'ici, jusqu'à près de soixante ans, l'étude et la timidité l'avaient détourné des femmes. Mais on le sentait réservé à la passion, le coeur tout neuf et débordant, sous sa chevelure blanche.
– Et celle qui est morte, celle qu'on pleure…
Elle se reprit, la voix tremblante, les joues empourprées, sans savoir pourquoi.
– Serge ne l'aimait donc pas, qu'il l'a laissée mourir?
Pascal sembla se réveiller, frémissant de la retrouver près de lui, si jeune, avec de si beaux yeux, brûlants et clairs, dans l'ombre du grand chapeau. Quelque chose avait passé, un même souffle venait de les traverser tous deux. Ils ne se reprirent pas le bras, ils marchèrent côte à côte.
– Ah! chérie, ce serait trop beau, si les hommes ne gâtaient pas tout! Albine est morte, et Serge est maintenant curé à Saint-Eutrope, où il vit avec sa soeur Désirée, une brave créature, celle-ci, qui a la chance d'être à moitié idiote. Lui est un saint homme, je n'ai jamais dit le contraire… On peut être un assassin et servir Dieu.
Et il continua, disant les choses crues de l'existence, l'humanité exécrable et noire, sans quitter son gai sourire. Il aimait la vie, il en montrait l'effort incessant avec une tranquille vaillance, malgré tout le mal, tout l'écoeurement qu'elle pouvait contenir. La vie avait beau paraître affreuse, elle devait être grande et bonne, puisqu'on mettait à la vivre une volonté si tenace, dans le but, sans doute, de cette volonté même et du grand travail ignoré qu'elle accomplissait. Certes, il était un savant, un clairvoyant, il ne croyait pas à une humanité d'idylle vivant dans une nature de lait, il voyait au contraire les maux et les tares, les étalait, les fouillait, les cataloguait depuis trente ans; et sa passion de la vie, son admiration des forces de la vie suffisaient à le jeter dans une perpétuelle joie, d'où semblait couler naturellement son amour des autres, un attendrissement fraternel, une sympathie, qu'on sentait sous sa rudesse d'anatomiste et sous l'impersonnalité affectée de ses études.
– Bah! conclut-il, en se retournant une dernière fois vers les vastes champs mornes, le Paradou n'est plus, ils l'ont saccagé, sali, détruit; mais, qu'importe! des vignes seront plantées, du blé grandira, toute une poussée de récoltes nouvelles; et l'on s'aimera encore, aux jours lointains de vendange et de moisson… La vie est éternelle, elle ne fait jamais que recommencer et s'accroître.
Il lui avait repris le bras, ils rentrèrent ainsi, serrés l'un contre l'autre, bons amis, par le lent crépuscule qui se mourait au ciel, en un lac tranquille de violettes et de roses. Et, à les revoir passer tous deux, l'ancien roi puissant et doux, appuyé à l'épaule d'une enfant charmante et soumise, dont la jeunesse le soutenait, les femmes du faubourg, assises sur leurs portes, les suivaient d'un sourire attendri.
A la Souleiade, Martine les guettait. De loin, elle leur fit un grand geste. Eh bien! quoi donc, on ne dînait pas ce jour-là? Puis, quand ils se furent approchés:
– Ah! vous attendrez un petit quart d'heure. Je n'ai pas osé mettre mon gigot.
Ils restèrent dehors, charmés, dans le jour finissant. La pinède, qui se noyait d'ombre, exhalait une odeur balsamique de résine; et de l'aire, brûlante encore, où se mourait un dernier reflet rose, montait un frisson. C'était comme un soulagement, un soupir d'aise, un repos de la propriété entière, des amandiers amaigris, des oliviers tordus, sous le grand ciel pâlissant, d'une sérénité pure; tandis que, derrière la maison, le bouquet des platanes n'était plus qu'une masse de ténèbres, noire et impénétrable, où l'on entendait la fontaine, à l'éternel chant de cristal.
– Tiens! dit le docteur, monsieur Bellombre a déjà dîné, et il prend le frais.
Il montrait, de la main, sur un banc de la propriété voisine, un grand et maigre vieillard de soixante-dix ans, à la figure longue, tailladée de rides, aux gros yeux fixes, très correctement serré dans sa cravate et dans sa redingote.
– C'est un sage, murmura Clotilde. Il est heureux.
Pascal se récria.
– Lui! j'espère bien que non!
Il ne haïssait personne, et seul, M. Bellombre, cet ancien professeur de septième, aujourd'hui retraité, vivant dans sa petite maison sans autre compagnie que celle d'un jardinier, muet et sourd, plus âgé que lui, avait le don de l'exaspérer.
– Un gaillard qui a eu peur de la vie, entends-tu? peur de la vie!.. Oui! égoïste, dur et avare! S'il a chassé la femme de son existence, ça n'a été que dans la terreur d'avoir à lui payer des bottines. Et il n'a connu que les enfants des autres, qui l'ont fait souffrir: de là, sa haine de l'enfant, cette chair à punitions… La peur de la vie, la peur des charges et des devoirs, des ennuis et des catastrophes! la peur de la vie qui fait, dans l'épouvante où l'on est de ses douleurs, que l'on refuse ses joies! Ah! vois-tu, cette lâcheté me soulève, je ne puis la pardonner… Il faut vivre, vivre tout entier, vivre toute la vie, et plutôt la souffrance, la souffrance seule, que ce renoncement, cette mort à ce qu'on a de vivant et d'humain en soi!
M. Bellombre s'était levé, et il suivait une allée de son jardin, à petits pas paisibles. Alors, Clotilde, qui le regardait toujours, silencieuse, dit enfin:
– Il y a pourtant la joie du renoncement. Renoncer, ne pas vivre, se garder pour le mystère, cela n'a-t-il pas été tout le grand bonheur des saints?
– S'ils n'ont pas vécu, cria Pascal, ils ne peuvent pas être des saints.
Mais il la sentit qui se révoltait, qui allait de nouveau lui échapper. Dans l'inquiétude de l'au delà, tout au fond, il y a la peur et la haine de la vie. Aussi retrouva-t-il son bon rire, si tendre et si conciliant.
– Non, non! en voilà assez pour aujourd'hui, ne nous disputons plus, aimons-nous bien fort… Et, tiens! Martine nous appelle, allons dîner.
III
Pendant un mois, le malaise empira, et Clotilde souffrait surtout de voir que Pascal fermait les tiroirs à clef, maintenant. Il n'avait plus en elle la tranquille confiance de jadis, elle en était blessée, à un tel point, que, si elle avait trouvé l'armoire ouverte, elle aurait jeté les dossiers au feu, comme sa grand'mère Félicité la poussait à le faire. Et les fâcheries recommençaient, souvent on ne se parlait pas de deux jours.
Un matin, à la suite d'une de ces bouderies qui durait depuis l'avant-veille, Martine dit, en servant le déjeuner:
– Tout à l'heure, comme je traversais la place de la Sous-Préfecture, j'ai vu entrer chez madame Félicité un étranger que j'ai bien cru reconnaître… Oui, ce serait votre frère, mademoiselle, que je n'en serais pas surprise.
Du coup, Pascal et Clotilde se parlèrent.
– Ton frère! СКАЧАТЬ