Le Docteur Pascal. Emile Zola
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Название: Le Docteur Pascal

Автор: Emile Zola

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ gaiement, ne boudant plus, se serrant contre lui, heureuse d'être à son bras. Il était cinq heures, le soleil oblique emplissait la campagne d'une grande nappe d'or. Mais, dès qu'ils furent sortis de Plassans, ils durent traverser un coin de la vaste plaine, desséchée et nue, à droite de la Viorne. Le canal récent, dont les eaux d'irrigation devaient transformer le pays mourant de soif, n'arrosait point encore ce quartier; et les terres rougeâtres, les terres jaunâtres s'étalaient à l'infini, dans le morne écrasement du soleil, plantées seulement d'amandiers grêles, d'oliviers nains, continuellement taillés et rabattus, dont les branches se contournent, se déjettent, en des attitudes de souffrance et de révolte. Au loin, sur les coteaux pelés, on ne voyait que les taches pâles des bastides, que barrait la ligne noire du cyprès réglementaire. Cependant, l'immense étendue sans arbres, aux larges plis de terrains désolés, de colorations dures et nettes, gardait de belles courbes classiques, d'une sévère grandeur. Et il y avait, sur la route, vingt centimètres de poussière, une poussière de neige que le moindre souffle enlevait en larges fumées volantes, et qui poudrait à blanc, aux deux bords, les figuiers et les ronces.

      Clotilde, qui s'amusait comme une enfant à entendre toute cette poussière craquer sous ses petits pieds, voulait abriter Pascal de son ombrelle.

      – Tu as le soleil dans les yeux. Tiens-toi donc à gauche.

      Mais il finit par s'emparer de l'ombrelle, pour la porter lui-même.

      – C'est toi qui ne la tiens pas bien, et puis ça te fatigue… D'ailleurs, nous arrivons.

      Dans la plaine brûlée, on apercevait déjà un îlot de feuillages, tout un énorme bouquet d'arbres. C'était la Séguiranne, la propriété où avait grandi Sophie, chez sa tante Dieudonné, la femme du méger. A la moindre source, au moindre ruisseau, cette terre de flammes éclatait en puissantes végétations, et d'épais ombrages s'élargissaient alors, des allées d'une profondeur, d'une fraîcheur délicieuse. Les platanes, les marronniers, les ormeaux poussaient vigoureusement. Ils s'engagèrent dans une avenue d'admirables chênes verts.

      Comme ils approchaient de la ferme, une faneuse, dans un pré, lâcha sa fourche, accourut. C'était Sophie, qui avait reconnu le docteur et la demoiselle, ainsi qu'elle nommait Clotilde. Elle les adorait, elle resta ensuite toute confuse, à les regarder, sans pouvoir dire les bonnes choses dont son coeur débordait. Elle ressemblait à son frère Valentin, elle avait sa petite taille, ses pommettes saillantes, ses cheveux pâles; mais, à la campagne, loin de la contagion du milieu paternel, il semblait qu'elle eût pris de la chair, d'aplomb sur ses fortes jambes, les joues remplies, les cheveux abondants. Et elle avait de très beaux yeux, qui luisaient de santé et de gratitude. La tante Dieudonné, qui fanait elle aussi, s'était avancée à son tour, criant de loin, plaisantant avec quelque rudesse provençale.

      – Ah! monsieur Pascal, nous n'avons pas besoin de vous, ici! Il n'y a personne de malade!

      Le docteur, qui était simplement venu chercher ce beau spectacle de santé, répondit sur le même ton:

      – Je l'espère bien. N'empêche que voilà une fillette qui nous doit un fameux cierge, à vous et à moi!

      – Ça, c'est la vérité pure! Et elle le sait, monsieur Pascal, elle dit tous les jours que, sans vous, elle serait à cette heure comme son pauvre frère Valentin.

      – Bah! nous le sauverons également. Il va mieux, Valentin. Je viens de le voir.

      Sophie saisit les mains du docteur, de grosses larmes parurent dans ses yeux. Elle ne put que balbutier:

      – Oh! monsieur Pascal!

      Comme on l'aimait! et Clotilde sentait sa tendresse pour lui s'augmenter de toutes ces affections éparses. Ils restèrent là un instant, à causer, dans l'ombre saine des chênes verts. Puis, ils revinrent vers Plassans, avant encore de faire une visite.

      C'était, à l'angle de deux routes, dans un cabaret borgne, blanc des poussières envolées. On venait d'installer, en face, un moulin à vapeur, en utilisant les anciens bâtiments du Paradou, une propriété datant du dernier siècle. Et Lafouasse, le cabaretier, faisait tout de même de petites affaires, grâce aux ouvriers du moulin et aux paysans qui apportaient leur blé. Il avait encore pour clients, le dimanche, les quelques habitants des Artaud, un hameau voisin. Mais la malechance le frappait, il se traînait depuis trois ans, en se plaignant de douleurs, dans lesquelles le docteur avait fini par reconnaître un commencement d'ataxie; et il s'entêtait pourtant à ne pas prendre de servante, il se tenait aux meubles, servait quand même ses pratiques. Aussi, remis debout après une dizaine de piqûres, criait-il déjà sa guérison partout.

      Il était justement sur sa porte, grand et fort, le visage enflammé, sous le flamboiement de ses cheveux rouges.

      – Je vous attendais, monsieur Pascal. Vous savez que j'ai pu hier mettre deux pièces de vin en bouteilles, et sans fatigue!

      Clotilde resta dehors, sur un banc de pierre, tandis que Pascal entrait dans la salle, afin de piquer Lafouasse. On entendait leurs voix; et ce dernier, très douillet malgré ses gros muscles, se plaignait que la piqûre fût douloureuse; mais, enfin, on pouvait bien souffrir un peu, pour acheter de la bonne santé. Ensuite, il se fâcha, força le docteur à accepter un verre de quelque chose. La demoiselle ne lui ferait pas l'affront de refuser du sirop. Il porta une table dehors, il fallut absolument trinquer avec lui.

      – A votre santé, monsieur Pascal, et à la santé de tous les pauvres bougres, à qui vous rendez le goût du pain!

      Souriante, Clotilde songeait aux commérages dont lui avait parlé Martine, à ce père Boutin qu'on accusait le docteur d'avoir tué. Il ne tuait donc pas tous ses malades, sa médication faisait donc de vrais miracles? Et elle retrouvait sa foi en son maître, dans cette chaleur d'amour qui lui remontait au coeur. Quand ils partirent, elle était revenue à lui tout entière, il pouvait la prendre, l'emporter, disposer d'elle, à son gré.

      Mais, quelques minutes auparavant, sur le banc de pierre, elle avait rêvé à une confuse histoire, en regardant le moulin à vapeur. N'était-ce point là, dans ces bâtiments noirs de charbon et blancs de farine aujourd'hui, que s'était passé autrefois un drame de passion? Et l'histoire lui revenait, des détails donnés par Martine, des allusions faites par le docteur lui-même, toute une aventure amoureuse et tragique de son cousin, l'abbé Serge Mouret, alors curé des Artaud, avec une adorable fille, sauvage et passionnée, qui habitait le Paradou.

      Ils suivaient de nouveau la route, et Clotilde s'arrêta, montrant de la main la vaste étendue morne, des chaumes, des cultures plates, des terrains encore en friche.

      – Maître, est-ce qu'il n'y avait pas là un grand jardin? ne m'as-tu pas conté cette histoire?

      Pascal, dans la joie de cette bonne journée, eut un tressaillement, un sourire d'une tendresse infiniment triste.

      – Oui, oui, le Paradou, un jardin immense, des bois, des prairies, des vergers, des parterres, et des fontaines, et des ruisseaux qui se jetaient dans la Viorne… Un jardin abandonné depuis un siècle, le jardin de la Belle au Bois dormant, où la nature était redevenue souveraine… Et, tu le vois, ils l'ont déboisé, défriché, nivelé, pour le diviser en lots et le vendre aux enchères. Les sources elles-mêmes se sont taries, il n'y a plus, là-bas, que ce marais empoisonné… Ah! quand je passe par ici, c'est un grand crève-coeur!

      Elle osa demander encore:

      – N'est-ce point dans le Paradou que mon cousin Serge et ta grande amie Albine se sont aimés?

      Mais il ne la savait plus là, il continua, les yeux au loin, perdus dans le passé.

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