Название: Le Docteur Pascal
Автор: Emile Zola
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
– Je les ouvre, et je ne vois pas tout… C'est toi, maître, qui es un entêté, quand tu ne veux pas admettre qu'il y a, là-bas, un inconnu où tu n'entreras jamais. Oh! je sais, tu es trop intelligent pour ignorer cela. Seulement, tu ne veux pas en tenir compte, tu mets l'inconnu à part, parce qu'il te gênerait dans tes recherches… Tu as beau me dire d'écarter le mystère, de partir du connu à la conquête de l'inconnu, je ne puis pas, moi! le mystère tout de suite me réclame et m'inquiète.
Il l'écoutait en souriant, heureux de la voir s'animer, et il caressa de la main les boucles de ses cheveux blonds.
– Oui, oui, je sais, tu es comme les autres, tu ne peux vivre sans illusion et sans mensonge… Enfin, va, nous nous entendrons quand même. Porte-toi bien, c'est la moitié de la sagesse et du bonheur.
Puis, changeant de conversation:
– Voyons, tu vas pourtant m'accompagner et m'aider dans ma tournée de miracles… C'est jeudi, mon jour de visites. Quand la chaleur sera un peu tombée, nous sortirons ensemble.
Elle refusa d'abord, pour paraître ne pas céder; et elle finit par consentir, en voyant la peine qu'elle lui faisait. D'habitude, elle l'accompagnait. Ils restèrent longtemps sous les platanes, jusqu'au moment où le docteur monta s'habiller. Lorsqu'il redescendit, correctement serré dans une redingote, coiffé d'un chapeau de soie à larges bords, il parla d'atteler Bonhomme, le cheval qui, pendant un quart de siècle, l'avait mené à ses visites. Mais la pauvre vieille bête devenait aveugle, et par reconnaissance pour ses services, par tendresse pour sa personne, on ne le dérangeait plus guère. Ce soir-là, il était tout endormi, l'oeil vague, les jambes perdues de rhumatismes. Aussi le docteur et la jeune fille, étant allés le voir dans l'écurie, lui mirent-ils un gros baiser à gauche et à droite des naseaux, en lui disant de se reposer sur une botte de bonne paille, que la servante apporta. Et ils décidèrent qu'ils iraient à pied.
Clotilde, gardant sa robe de toile blanche, à pois rouges, avait simplement noué sur ses cheveux un large chapeau de paille, couvert d'une touffe de lilas; et elle était charmante, avec ses grands yeux, son visage de lait et de rose, dans l'ombre des vastes bords. Quand elle sortait ainsi, au bras de Pascal, elle mince, élancée et si jeune, lui rayonnant, le visage éclairé par la blancheur de la barbe, d'une vigueur encore qui la lui faisait soulever pour franchir les ruisseaux, on souriait sur leur passage, on se retournait en les suivant du regard, tant ils étaient beaux et joyeux. Ce jour-là, comme ils débouchaient du chemin des Fenouillères, à la porte de Plassans, un groupe de commères s'arrêta net de causer. On aurait dit un de ces anciens rois qu'on voit dans les tableaux, un de ces rois puissants et doux qui ne vieillissent plus, la main posée sur l'épaule d'une enfant belle comme le jour, dont la jeunesse éclatante et soumise les soutient.
Ils tournaient sur le cours Sauvaire, pour gagner la rue de la Banne, lorsqu'un grand garçon brun, d'une trentaine d'années, les arrêta.
– Ah! maître, vous m'avez oublié. J'attends toujours votre note, sur la phtisie.
C'était le docteur Ramond, installé depuis deux années à Plassans, et qui s'y faisait une belle clientèle. De tête superbe, dans tout l'éclat d'une virilité souriante, il était adoré des femmes, et il avait heureusement beaucoup d'intelligence et beaucoup de sagesse.
– Tiens! Ramond, bonjour!.. Mais pas du tout, cher ami, je ne vous oublie pas. C'est cette petite fille à qui j'ai donné hier la note à copier et qui n'en a encore rien fait.
Les deux jeunes gens s'étaient serré la main, d'un air d'intimité cordiale.
– Bonjour, mademoiselle Clotilde.
– Bonjour, monsieur Ramond.
Pendant une fièvre muqueuse, heureusement bénigne, que la jeune fille avait eue l'année précédente, le docteur Pascal s'était affolé, au point de douter de lui; et il avait exigé que son jeune confrère l'aidât, le rassurât. C'était ainsi qu'une familiarité, une sorte de camaraderie s'était nouée entre les trois.
– Vous aurez votre note demain matin, je vous le promets, reprit-elle en riant.
Mais Ramond les accompagna quelques minutes, jusqu'au bout de la rue de la Banne, à l'entrée du vieux quartier, où ils allaient. Et il y avait, dans la façon dont il se penchait, en souriant à Clotilde, tout un amour discret, lentement grandi, attendant avec patience l'heure fixée pour le plus raisonnable des dénouements. D'ailleurs, il écoutait avec déférence le docteur Pascal, dont il admirait beaucoup les travaux.
– Tenez! justement, cher ami, je vais chez Guiraude, vous savez cette femme dont le mari, un tanneur, est mort phtisique, il y a cinq ans. Deux enfants lui sont restés: Sophie, une fille de seize ans bientôt, que j'ai pu heureusement, quatre ans avant la mort du père, faire envoyer à la campagne, près d'ici, chez une de ses tantes; et un fils, Valentin, qui vient d'avoir vingt et un ans, et que la mère a voulu garder près d'elle, par un entêtement de tendresse, malgré les affreux résultats dont je l'avais menacée. Eh bien! voyez si j'ai raison de prétendre que la phtisie n'est pas héréditaire, mais que les parents phtisiques lèguent seulement un terrain dégénéré, dans lequel la maladie se développe, à la moindre contagion. Aujourd'hui, Valentin, qui a vécu dans le contact quotidien du père, est phtisique, tandis que Sophie, poussée en plein soleil, a une santé superbe..
Il triomphait, il ajouta en riant:
– Ça n'empêche pas que je vais peut-être sauver Valentin, car il renaît à vue d'oeil, il engraisse, depuis que je le pique… Ah! Ramond, vous y viendrez, vous y viendrez, à mes piqûres!
Le jeune médecin leur serra la main à tous deux.
– Mais je ne dis pas non. Vous savez bien que je suis toujours avec vous.
Quand ils furent seuls, ils hâtèrent le pas, ils tombèrent tout de suite dans la rue Canquoin, une des plus étroites et des plus noires du vieux quartier. Par cet ardent soleil, il y régnait un jour livide, une fraîcheur de cave. C'était là, au rez-de-chaussée, que Guiraude demeurait, en compagnie de son fils Valentin. Elle vint ouvrir, mince, épuisée, frappée elle-même d'une lente décomposition du sang. Du matin au soir, elle cassait des amandes avec la tête d'un os de mouton, sur un gros pavé, serré entre ses genoux; et cet unique travail les faisait vivre, le fils ayant dû cesser toute besogne. Guiraude sourit pourtant, ce jour-là, en apercevant le docteur, car Valentin venait de manger une côtelette, de grand appétit, véritable débauche qu'il ne se permettait pas depuis des mois. Lui, chétif, les cheveux et la barbe rares, les pommettes saillantes et rosées dans un teint de cire, s'était également levé avec promptitude, pour montrer qu'il était gaillard. Aussi Clotilde fut-elle émue de l'accueil fait à Pascal, comme au sauveur, au messie attendu. Ces pauvres gens lui serraient les mains, lui auraient baisé les pieds, le regardaient avec des yeux luisants de gratitude. Il pouvait donc tout, il était donc le bon Dieu, qu'il ressuscitait les morts! Lui-même eut un rire encourageant, devant cette cure qui s'annonçait si bien. Sans doute le malade n'était pas guéri, peut-être n'y avait-il là qu'un coup de fouet, car il le sentait surtout excité et fiévreux. Mais n'était-ce donc rien que de gagner des jours? Il le piqua de nouveau, pendant que Clotilde, debout devant la fenêtre, tournait le dos; et, lorsqu'ils partirent, elle le vit qui laissait vingt francs sur la table. Souvent, cela lui arrivait, de payer ses malades, au lieu d'en être payé.
Ils firent trois autres visites dans le vieux quartier, puis allèrent chez une dame de la ville neuve; et, comme ils se retrouvaient dans la rue:
– Tu ne sais pas, dit-il, si tu étais une fille courageuse, avant de passer chez Lafouasse, nous irions jusqu'à la Séguiranne, СКАЧАТЬ