Je tendis la main à Gontran sans pouvoir retenir deux larmes; oh! deux bien douces larmes. – Si vous voulez la main de l'orpheline… elle est à vous… devant Dieu, je vous la donne, – lui dis-je.
– Devant Dieu aussi, je fais le serment de la mériter, – dit Gontran, – et il tomba à genoux d'une manière si charmante, si naturelle, je dirais presque si pieuse, en portant ma main à ses lèvres, que rien ne me parut exagéré dans ce mouvement.
De ma vie… je n'éprouvai une impression à la fois plus douce, plus sereine, plus triomphante.
Je joignis les mains avec force, et je dis d'une voix profondément émue:
– Mon Dieu! mon Dieu! que je vous remercie de me faire maintenant la vie si riante et si belle!..
Un roulement de voiture qui retentit dans la cour annonça le retour de mademoiselle de Maran.
– Mathilde, – me dit Gontran, – voulez-vous me permettre de faire tout à l'heure, là, devant vous, ma demande à votre tante?.. Alors je pourrais peut-être revenir passer cette soirée près de vous.
– Oh! oui, oui, – m'écriai-je avec joie, – vous avez raison… Ainsi vous reviendrez ce soir?
Mademoiselle de Maran entra dans le salon.
– Je gage, – me dit-elle dès la porte du salon, – que vous ne savez pas ce qu'Ursule est allée faire en Touraine?
– Non, madame.
– Et vous, Gontran?
– J'ignore complétement…
– Eh bien! moi, je le sais; je viens de chez le notaire de M. d'Orbeval, qui est aussi le mien; il paperassait, devinez quoi… Je vous le donne en cent… je vous le donne en mille.
– Mais, ma tante..
– Il paperassait des titres, des donations pour Ursule, – dit mademoiselle de Maran en riant aux éclats, – pour Ursule, qui se marie.
– Ursule se marie… sans me l'écrire!.. Dans sa dernière lettre elle ne m'en disait pas un mot! – m'écriai-je avec une douloureuse surprise.
– Attendez donc… attendez donc; tout à l'heure Pierron, après avoir ouvert la porte cochère, m'a remis quelques lettres que j'ai mises dans mon sac sans les regarder; il y en a peut-être une d'Ursule pour vous.
Mademoiselle de Maran fouilla dans son sac, en tira trois lettres, lut leurs adresses, et dit: – En effet… en voici une timbrée de Tours pour vous.
– Madame, – dit M. de Lancry à ma tante, – ce que je vais avoir l'honneur de vous dire est bien grave. Je choque sans doute les usages reçus en abordant un tel sujet sans préparation; mais je suis si heureux, et surtout si jaloux de jouir le plus tôt possible du privilége qui me sera peut-être accordé… que je viens, sûr de l'agrément de mademoiselle Mathilde, vous demander sa main.
– Ah! mon Dieu! – s'écria ma tante; – qu'est-ce que vous me dites donc là, Gontran? C'est comme un coup de tonnerre… je n'en reviens pas. Ça ne s'est jamais vu, un mariage arrangé de cette façon-là!
– Vous dites vrai, madame; si vous accordiez votre consentement, et si j'en crois mon cœur, ce mariage serait unique entre tous les mariages, – dit Gontran en me regardant.
– Mais c'est qu'en vérité j'en suis tout ébaubie. Ça ne se fait jamais comme ça, mon pauvre Gontran! Ce sont les grands parents qui se chargent de ces ouvertures-là, avec toutes sortes de préliminaires et de préambules. On en cause quelquefois huit jours, et, après d'autres préambules encore, on fait venir la petite fille, et on lui dit qu'il se pourrait bien qu'on songeât un jour à la marier; que dans ce cas là, un jeune homme qui réunirait tels, tels et tels avantages, semblerait un parti sortable.
– Eh bien! ma tante, – dis-je gaiement à mademoiselle de Maran; – figurez-vous que ces huit jours, que ces longs préambules ont duré, et que vous avez dit à la petite fille qu'un parti sortable se présentait…
– Eh bien? – dit ma tante.
– Eh bien! la petite fille accepte avec une profonde reconnaissance, – dis-je à mademoiselle de Maran en lui prenant tendrement la main pour la première fois de ma vie.
Je trouvai cette main glacée. Elle serra longtemps la mienne dans ses longs doigts décharnés, en attachant sur moi un regard perçant, puis elle sourit comme elle pouvait sourire.
Je ne pus vaincre un sentiment de vague frayeur qui se dissipa aussitôt.
– Vous voulez donc bien de cet abominable mauvais sujet-là pour mari, mon enfant?.. Allons, soit, je ne veux pas vous contrarier… J'y consens… sauf l'approbation de M. d'Orbeval, votre tuteur, et celle de votre oncle, Gontran.
– Il devait vous faire lui-même cette demande, madame, – dit M. de Lancry transporté de joie.
– Ah! ma tante! vous êtes pour moi une seconde mère!.. – m'écriai-je dans ma joie, en embrassant mademoiselle de Maran avec effusion.
– Ah! ah! entendez-vous cette folle? – dit ma tante en riant aux éclats, de son rire strident et moqueur; une seconde mère!..
– Hélas! j'avais blasphémé en donnant à mademoiselle de Maran le nom d'une mère… Dieu devait m'en punir cruellement…
Le soir, à neuf heures, Gontran revint avec son oncle, M. de Versac. Il annonça officiellement à ma tante que le roi avait eu la bonté de permettre de substituer son titre de duc et sa pairie à M. de Lancry lorsque ce dernier se marierait.
– Ce qui fait qu'un jour vous serez duchesse, ce qui est certes fort agréable, quand on joint à cela plus de cent mille livres de rentes, – dit mademoiselle de Maran. – Puis elle ajouta:
– A propos de rentes, j'ai fait fermer ma porte ce soir. Nous avons à causer contrat avec M. de Versac. Les amoureux n'ont rien à y entendre. Laissez-nous donc tranquilles, et allez-vous-en dans ma bibliothèque.
Que dirai-je de cette soirée si délicieusement employée à parler d'un avenir qui s'offrait si splendide? Était-il possible de réunir plus de chances certaines de bonheur? Esprit, beauté, charme, délicatesse, mérite, naissance, fortune, celui que je devais épouser ne possédait-il pas tous ces avantages?
CHAPITRE XII.
LA LETTRE
En remontant chez moi, quelle fut ma surprise? je trouvai dans mon cabinet d'études une énorme corbeille de jasmins et d'héliotropes, mes deux fleurs de prédilection.
Nous étions au mois de février. C'était depuis le matin seulement que Gontran avait pour ainsi dire le droit de m'offrir des fleurs; je ne pus concevoir comment en si peu de temps il avait pu réunir cette masse de fleurs, СКАЧАТЬ