– Et c'est mon consentement que vous venez me demander? – m'écriai-je, sans pouvoir cacher ma joie, sans penser à la cacher.
A un mouvement de surprise de M. de Lancry, je regrettai presque ma franchise; je craignis qu'il ne l'interprétât défavorablement; je rougis, je me troublai, et je ne pus ajouter un mot.
Après quelques moments de silence, Gontran reprit:
– Oui, mademoiselle, c'est votre consentement que je viens solliciter sans oser l'espérer. Vous êtes libre de votre choix, et j'aurais toujours regretté d'avoir été le sujet de quelque demande, de quelque insistance qui auraient pu vous être désagréables.
– Monsieur, je…
Gontran m'interrompit et me dit avec un accent de sérieuse tendresse: – Mademoiselle, un mot encore avant de vous voir par un refus peut-être renverser non de présomptueuses espérances, mais des vœux que j'ose à peine former; permettez-moi de vous exposer toute ma pensée. Vous êtes orpheline, vous êtes presque seule au monde. Je dois, en honnête homme, vous tenir le langage sérieux que je tiendrais à votre mère… Vous savez pourquoi… dans cette circonstance, je m'adresse à vous… et non pas à mademoiselle de Maran, – ajouta Gontran d'un air significatif qui me prouva qu'il avait pénétré quels étaient mes rapports avec ma tante, mais que, par délicatesse, il ne pouvait m'en parler.
Je fus vivement touchée de la manière à la fois grave et affectueuse dont s'exprimait Gontran.
– Je vous comprends, – lui dis-je… – et je vous remercie.
– Quand vous m'aurez entendu, – reprit-il, – vous pourrez, mademoiselle, préjuger de l'avenir avec autant de certitude que s'il était accompli. J'ai peu de qualités peut-être, mais j'ai toujours été loyal et sincère dans l'exécution de ma parole… J'ai toujours résolu de ne me marier qu'à une femme que j'aimerais de l'amour le plus respectueux et le plus vif… de cet amour fervent et saint qui ne ressemble pas plus aux goûts passagers de la première jeunesse, que la durée des liaisons éphémères qui en sont la suite ne ressemble à la durée du mariage; au contraire de tout le monde, rien ne m'a toujours semblé plus romanesque qu'une union tendrement assortie… telle que je la rêvais… Pour accomplir ces vœux, il s'agit seulement de savoir ménager le trésor de félicités qui peuvent durer autant que nous… Alors on traverse avec enchantement, dans une confiance mutuelle, une vie de tendresse et d'amour, que le génie du cœur peut délicieusement varier… car, encore une fois, il n'y a rien de plus romanesque que le mariage… quand on sait s'aimer.
Je ne sais pourquoi à ce moment le souvenir de madame de Richeville traversa ma pensée. Je ne pus m'empêcher de dire à M. de Lancry:
– Pourtant, monsieur, ces liaisons éphémères dont vous parlez semblent quelquefois…
– Ah! mademoiselle, – s'écria-t-il en m'interrompant, – peut-on jamais les comparer à un bonheur légitime et vrai? Ah! croyez-moi… quand on aime pour la vie, on reconnaît bien vite le néant de ces coupables affections. Quel est donc leur charme pour qu'on puisse les préférer à un amour béni par Dieu? Parce qu'une femme vous appartient devant le ciel et devant les hommes, appréciera-t-on moins tout ce qu'il y a de charme dans une longue soirée passée près d'elle? Jouira-t-on moins de ses préférences, parce que chaque jour on les aura méritées aux yeux de tous à force de soins et de tendresse? Son esprit, sa grâce, ses succès, vous seront-ils moins chers, parce que son regard pourra sans crainte chercher le vôtre, et vous dire: «Jouissez de ce que vous inspirez!» Si au milieu du monde elle accueille un signe de vous par un mystérieux et doux sourire, ce sourire sera-t-il moins doux, parce qu'il n'annoncera pas une coupable intelligence? Parce que ces fleurs dont elle est parée ont été choisies par une main amie et respectée, ont-elles moins d'éclat et de parfum! Si l'on veut voyager et se reposer du tumulte de Paris dans la contemplation des beautés de la nature, faudra-t-il enlever absolument une fille à son père, une femme à son mari, pour jouir de mille ravissements d'un voyage amoureux fait dans un pays enchanteur et poétique? Le beau ciel d'Espagne ou d'Italie sera-t-il donc voilé pour tous ceux qui peuvent s'aimer sans rougir? Oh! croyez-moi, je vous le répète, il y a des trésors inépuisables de bonheur pur, de plaisirs romanesques dans une union basée sur l'amour, telle que je la rêve… Car, je vous l'avoue, il me serait impossible de voir dans le mariage un isolement à deux, une vie indifférente, ou seulement convenable et polie!.. Oh! non… non… je voudrais concentrer dans cette vie toutes les joies, toutes les adorations, toute la puissance de mon cœur! Maintenant, voyez-vous… que je connais les faux plaisirs de la jeunesse, ils me semblent aussi loin du vrai bonheur que la superstition est loin de la religion… Je ne sais, mademoiselle, si vous m'avez bien compris, je ne sais si j'ai pu vous donner une faible idée de mes sentiments, de mes pensées. Si j'étais assez heureux pour cela, si, contre tout mon espoir, vous me permettiez d'autoriser la demande que M. de Versac désire faire pour moi à mademoiselle de Maran, croyez-en ma foi d'honnête homme… mademoiselle… aimé de vous… je serais en tout digne de vous…
En disant ces trois derniers mots, M. de Lancry, qui était assis dans un fauteuil près du mien, se leva par un mouvement d'une gravité touchante, presque solennelle.
Je ne puis dire toutes les émotions que ce langage si nouveau pour moi éveilla dans mon cœur; il me sembla qu'un nouvel et radieux horizon s'offrait à ma vue; je fus frappée d'un saisissement délicieux, car les paroles de Gontran sur le romanesque d'un bonheur légitime, traduisaient, résumaient complétement mille pensées jusque-là vagues et confuses dans mon esprit.
Ce tableau ravissant de l'amour dans le mariage, avec les délicatesses, les mystères et les entraînements de la passion, me transporta d'une espérance ineffable.
J'étais trop profondément heureuse pour cacher ma joie, pour mettre la moindre dissimulation dans ma réponse. Je sentis mes joues brûlantes, mon cœur battre, non de timidité, mais de résolution généreuse. Je voulus être à la hauteur de l'homme qui venait de me parler avec tant de sincérité, et dont les paroles m'inspiraient une invincible confiance.
– Je ne serai ni moins franche ni moins loyale que vous, – lui dis-je. – Je suis orpheline; je ne dois compte qu'à Dieu et à moi du choix que je puis, que je veux faire… J'ai foi dans l'amour que vous me peignez si doux et si beau, parce que moi-même bien souvent j'ai rêvé cet avenir.
– Mademoiselle, il serait vrai… je pourrais espérer?
– Je vous ai promis d'être franche… je le serai. Avant que de vous donner, non pas une espérance, mais une certitude… permettez-moi, à mon tour, quelques mots sur mes sentiments: ne prenez pas ce que je vais vous dire pour l'expression d'un doute, bien loin de ma pensée… J'aime ma cousine comme la plus tendre des sœurs. Elle est sans fortune, elle veut faire un mariage selon son cœur; pour la mettre à même de choisir sans se préoccuper des questions d'intérêt, je désire lui assurer la moitié de mes biens. Si elle ne se marie pas, je désire la garder toujours près de moi… Consentez-vous à ce qu'elle soit aussi votre sœur?
D'abord Gontran me contempla avec étonnement; puis, joignant les mains, il s'écria:
– Quel noble cœur! quelle âme! Comment ne pas approuver, que dis-je? ne pas admirer une affection si généreuse? Ne serait-elle pas une garantie de l'élévation de vos sentiments, s'il était possible d'en douter? Et puis ne connais-je pas mademoiselle Ursule? ne sais-je pas qu'elle mérite tant de dévouement?
– Oh! СКАЧАТЬ