Lettres d'un voyageur. Жорж Санд
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Название: Lettres d'un voyageur

Автор: Жорж Санд

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ partageait en deux les nobles aussi bien que la plèbe. Les Castellani habitaient l'île de Castello, c'est-à-dire l'extrémité orientale de Venise, jusqu'au pont de Rialto. Les Nicoloti occupaient l'île de San-Nicolo, l'extrémité orientale, où sont situées la place Saint-Marc, la rive des Esclavons, etc. Le Grand-Canal servait de confins aux deux camps. Les Castellani, plus riches et plus élégants que les autres, représentaient la faction aristocratique. Les nobles avaient les premiers emplois de la république, et le peuple castellan était employé aux travaux de l'arsenal. Il fournissait les pilotes pour les vaisseaux de guerre, et les rameurs du doge dans le Bucentaure. Les Nicoloti formaient le parti démocratique. Leurs gentilshommes étaient envoyés dans les petites villes de la terre ferme comme gouverneurs, ou occupaient dans les armées des emplois secondaires. Le peuple était pauvre, mais brave et indépendant. Il était spécialement occupé de la pêche, et avait son doge particulier, plébéien et soumis à l'autre doge, mais investi de droits magnifiques, entre autres celui de s'asseoir à la droite du grand doge dans les assemblées et fêtes solennelles. Ce doge était d'ordinaire un vieux marinier expérimenté et portait le titre de Gastaldo dei Nicoloti; son office était de présider à l'ordre des pêches et de veiller à la tranquillité de ses administrés, dont il était à la fois le supérieur et l'égal. C'est ce qui faisait dire aux Nicoloti, s'adressant à leurs rivaux: – Tu rames pour le doge, et nous ramons avec le doge. Ti, ti voghi el dose, et mi vogo col dose.– La république maintenait cette rivalité et protégeait scrupuleusement les priviléges des Nicoloti, sous le prétexte de tenir vivante l'énergie physique et morale de la population, mais plus certainement pour contre-balancer, par un habile équilibre, la puissance patricienne.

      Le gouvernement, continua le docteur, ne perdait aucune occasion de flatter l'amour-propre de ces braves plébéiens, et leur donnait des fêtes où ils étaient appelés à montrer la vigueur de leurs muscles et leur habileté à conduire la barque. Les tours de force des Nicoloti sont encore d'interminables sujets de vanterie et d'orgueil chez les enfants de cette race herculéenne, et tu as pu voir, dans les bouges où nous allons quelquefois panser des blessés ensemble, ces grossiers tableaux à l'huile qui représentent le grand jeu de la pyramide humaine, et les portraits des vainqueurs de la régate avec leur bannière brodée et frangée d'or fin, au milieu de laquelle était brodée l'image d'un porc; le don d'un porc véritable accompagnait ce prix, qui n'était que le troisième, mais qui n'était pas le moins envié. Les Nicoloti s'exerçaient à la lutte, et leurs femmes avaient leurs régates, où elles ramaient à l'envi avec une force et une dextérité incontestables. Jugez de ce qu'eût été cette population en colère, si par ces adroites flatteries à sa vanité, et par une administration scrupuleusement équitables, le gouvernement ne l'eût tenue en joie et en belle humeur! – Le gouvernement étranger, dis-je, se sert d'autres moyens; il jette en prison et punit sévèrement le moindre témoignage ostensible de courage et de force. – Il faut avouer, reprit-il, qu'il n'eut pas absolument tort de réprimer les excès de 1817; mais il aurait dû trouver en outre le moyen de prévenir le retour de ces fureurs. – Les croyez-vous bien éteintes? A la manière dont Catullo parlait de sa noblesse plébéienne tout à l'heure, je croirais assez que les Castellani ne sont pas encore très-liés avec les Nicoloti. – Si peu, me répondit le docteur, qu'une conspiration des Nicoloti vient d'être découverte, et qu'il est question de s'assurer de la personne de quarante ou cinquante d'entre eux.

      Quand nous eûmes pris le sorbet, nous retrouvâmes Catullo tellement endormi, que le docteur ne vit rien de mieux que de remplir d'eau le creux de sa main et de l'épancher doucement sur la barbe grise (le oneste piume, comme aurait dit Dante) du gondolier octogénaire. Il ne se fâcha nullement de cette plaisanterie et se mit courageusement à l'ouvrage. – N'étais-tu pas, lui dit, chemin faisant, le docteur, de ce fameux repas à Saint-Samuel, la semaine dernière? – Qui, moi, paron? répondit le vieillard hypocrite. Pourquoi cela? – Je te demande, reprit le docteur, si tu en étais ou si tu n'en étais pas. —Mi son Nicolo, paron.– Je ne parle pas de cela, dit le docteur en colère. Voyez s'il répondra droit à une question! Me prends-tu pour un mouchard, vieux sournois? – Non certainement, illustrissime, mais qu'est-ce que vous voulez demander à un pauvre homme, moitié sourd, moitié imbécile? – Dis donc, moitié ivrogne, moitié fourbe, lui dis-je. – Il n'y a pas de danger, reprit le docteur, que ces drôles-là répondent sans savoir pourquoi on les interroge. Eh bien! puisque tu ne veux pas parler, je parlerai, moi; je t'avertis, mon vieux renard, que tu vas aller en prison. —In preson! mi! parchè, lustrissimo?– Parce que tu as dîné à Saint-Samuel, dit le docteur. – Et quel mal y a-t-il à dîner à Saint-Samuel, paron? – Parce que tu as conspiré contre la sûreté de l'État, lui dis-je. —Mi Cristo! quel mal peut faire un pauvre homme comme moi à l'État? – N'es-tu pas Nicoloto? dit le docteur. —Mi, si! je suis né Nicoloto. – Eh bien! tous les Nicoloti sont accusés de conspiration, repris-je, et toi comme les autres. —Santo Dïo! je n'ai jamais fait de conspiration. – Ne connais-tu pas un certain Gambierazi? dit le docteur. – Gambierazi! dit le prudent vieillard d'un air émerveillé, quel Gambierazi? – Parbleu! Gambierazi ton compère. On dirait que tu ne l'as jamais vu. —Lustrissimo, je n'ai pas entendu le nom que vous disiez, Gamba… Gambierazi? Il y a beaucoup de Gambierazi! – Eh bien! tu répondras demain plus catégoriquement à la police, dit le docteur. Voyez-vous cet animal que j'ai sauvé vingt fois de la corde, et qui devrait croire en moi comme en Dieu; le voilà qui joue au plus fin avec moi et qui se méfie de moi comme d'un suppôt de police! Qu'il aille au diable! Si je m'intéresse à lui dans cette affaire, je consens à être pendu moi-même.

      Ce matin, comme nous prenions le café sur le balcon, nous vîmes passer dans une gondole Catulus pater et Catulus filius, accompagnés de deux sbires. – Fort bien, dit le docteur, je ne croyais pas deviner si juste. Mais qu'est-ce que veut ce vieux bavard avec sa voix de grenouille enrhumée et ses signes d'intelligence? —Catulus pater faisait en effet des efforts incroyables pour se faire entendre de nous; mais son enrouement chronique ne le lui permettant pas, il eut un colloque conciliatoire avec un sbire, qui consentit à faire arrêter la gondole et à accompagner son prisonnier jusqu'à nous. – Ah! ah! dit le docteur, que viens-tu faire ici? Ne sais-tu pas que c'est moi qui t'ai dénoncé!

      – Oh! je sais bien que non, lustrissime! Je viens me recommander à su protezion. – Mais qu'as-tu fait, malheureux scélérat? dit le docteur d'un air terrible. Quand je te disais que tu avais trempé dans quelque infâme conspiration! – L'infortuné prisonnier baissa la tête d'un air si piteux, et le sbire, posé sur le seuil de la porte dans une attitude tragique, prit une expression de visage si imposante, que Beppa et moi partîmes d'un éclat de rire sympathique. – Mais enfin quel crime as-tu commis, damné vieillard? dit Giulio. —Gnente, paron!– Toujours la même chose! dit Pierre. De quoi diable veux-tu que je te justifie si je ne sais pas de quoi tu es accusé? —Gnente, lustrissimo, altro che gavemo fato un Nicoloto.– Qu'est-ce que cela veut dire? demandai-je. – Ma foi! je n'en sais rien, répondit Giulio. Qu'est-ce que tu entends par là, vechio birbo? – Nous avons fait un Nicoloto, répéta Catullo. – Et comment s'y prend-on, demanda le docteur en fronçant le sourcil, pour faire un Nicoloto? – Avec le Christ, avec quatre torches et avec le bouillon de seppia. – Ma foi! c'est trop mystérieux pour moi, dit le docteur. Explique tes sorcelleries, réprouvé! car je suis chrétien, et n'entends rien au culte du diable. —E nù ancà! semo cristiani! s'écria le vieillard désolé. Mais il n'y a pas de mal à cela, paron; c'est une coutume de tous les temps; nos pères l'observaient, et nous l'avons pratiquée sans y rien ajouter de mal. Nous avons élu notre chef et nous l'avons baptisé. – Ah! je comprends. Vous avez voulu faire un doge? —Sior, si!– Et vous l'avez baptisé avec l'encre de seppia, parce que le noir est la couleur des Nicoloti! —Sior, si!– Et vous lui avez fait jurer sur le Christ de défendre les droits et priviléges des Nicoloti? —Sior, si!– Et d'égorger une vingtaine de Castellani tous les matins? —Sior, no!– Et ce doge, c'est l'illustrissime gondolier Gambierazi? —Sior, si, mi compare Gambierazi.– Que tu ne connaissais pas hier soir? —Sior, si.– Et ton fils СКАЧАТЬ