Название: Lettres d'un voyageur
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Grand merci, mon maître, répondis-je. Cependant une coltellata me paraît une chose si romantique et tellement adaptée à la mode nouvelle, que je voudrais en recevoir une, dût-elle me retenir trois jours au lit.
– Les Français se moquent de tout, reprit-il, et ils ne sont pas plus terribles que les autres en présence du danger. Pour nous, nous sommes heureusement très-dégénérés dans l'art du couteau; cependant il y a encore des amateurs qui le cultivent, et il n'y a pas de danger qu'il se perde comme les autres arts.
– Vous ne me ferez pas croire que cela entre dans l'éducation de vos dandies?
– Cela n'entre dans celle de personne, répondit-il d'un air un peu suffisant. Cependant, il y a dans la main d'un Vénitien une certaine adresse naturelle qui le rend capable de devenir habile en peu de temps. Tenez, essayons cela ensemble. – Il alla prendre sur son bureau un vieux petit couteau de mauvaise mine, et, ouvrant la porte de ma chambre, il se ménagea une distance de dix pas, et plaça les bougies de manière à éclairer un pain à cacheter collé au but pour point de mire. Il tenait le couteau d'un air négligé et sans paraître songer a mal. – Voyez-vous, dit-il, on fait comme cela; on a une main dans sa poche, on regarde le temps qu'il fait, on siffle un air d'opéra, on passe à distance de son homme, et, sans que personne s'en aperçoive, sans presque mouvoir le bras, on lance le harpon. Regardez! Avez-vous vu?
– Je vois, docteur, lui dis-je, que ta perruque est tombée sur les genoux de Beppa, et que le chat s'enfuit épouvanté. Quand tu voudras jouer au couteau tout de bon, il faudra tâcher de ne pas te trahir par des incidents aussi burlesques. – Mais le couteau, dit-il sans se déconcerter et sans songer à relever sa perruque, où est le couteau, je vous prie? – Je regardai le but: le couteau était certainement planté dans le pain à cacheter.
– Tudieu! lui dis-je, est-ce ainsi que tu saignes tes malades, cher docteur?
– Il est vrai que j'ai perdu ma perruque, dit-il d'un air triomphant; mais remarquez que j'avais affaire à une porte de plein chêne, incontestablement plus difficile à pénétrer que le sternum, l'épigastre ou le cœur d'un homme. Quant aux femmes, ajouta-t-il, méfiez-vous de celles qui sont blanches, courtes et blondes. Il y a un certain type qui n'a pas dégénéré. Quand le bleu de l'œil est foncé et le coloris du visage changeant, tâchez qu'elles n'aient pas de ressentiment contre vous, ou bien n'allez pas faire le gentil sous leurs balcons..
… Tu ne te doutes pas, mon ami, de ce que c'est que Venise. Elle n'avait pas quitté le deuil qu'elle endosse avec l'hiver, quand tu as vu ses vieux piliers de marbre grec, dont tu comparais la couleur et la forme à celles des ossements desséchés. A présent le printemps a soufflé sur tout cela comme une poussière d'émeraude. Le pied de ces palais, où les huîtres se collaient dans la mousse croupie, se couvre d'une mousse vert-tendre, et les gondoles coulent entre deux tapis de cette belle verdure veloutée, où le bruit de l'eau vient s'amortir languissamment avec l'écume du sillage. Tous les balcons se couvrent de vases de fleurs, et les fleurs de Venise, nées dans une glaise tiède, écloses dans un air humide, ont une fraîcheur, une richesse de tissu et une langueur d'attitudes qui les font ressembler aux femmes de ce climat, dont la beauté est éclatante et éphémère comme la leur. Les ronces doubles grimpent autour de tous les piliers, et suspendent leurs guirlandes de petites rosaces blanches aux noires arabesques des balcons. L'iris à odeur de vanille, la tulipe de Perse, si purement rayée de rouge et de blanc qu'elle semble faite de l'étoffe qui servait de costume aux anciens Vénitiens, les roses de Grèce, et des pyramides de campanules gigantesques s'entassent dans les vases dont la rampe est couverte; quelquefois un berceau de chèvrefeuille à fleurs de grenat couronne tout le balcon d'un bout à l'autre, et deux ou trois cages vertes cachées dans le feuillage renferment les rossignols qui chantent jour et nuit comme en pleine campagne. Cette quantité de rossignols apprivoisés est un luxe particulier à Venise. Les femmes ont un talent remarquable pour mener à bien la difficile éducation de ces pauvres chanteurs prisonniers, et savent, par toutes sortes de délicatesses et de recherches, adoucir l'ennui de leur captivité. La nuit, ils s'appellent et se répondent de chaque côté des canaux. Si une sérénade passe, ils se taisent tous pour écouter, et, quand elle est partie, ils recommencent leurs chants, et semblent jaloux de surpasser la mélodie qu'ils viennent d'entendre.
A tous les coins de rue, la madone abrite sa petite lampe mystérieuse sous un dais de jasmin, et les traghetti, ombragés de grandes treilles, répandent, le long du Grand-Canal, le parfum de la vigne en fleur, le plus suave peut-être parmi les plantes.
Ces traghetti sont des places de station pour les gondoles publiques. Ceux qui sont établis sur les rives du Canalazzo sont le rendez-vous des facchini qui viennent causer et fumer avec les gondoliers. Ces messieurs sont groupés là d'une manière souvent théâtrale. Tandis que l'un, couché sur sa gondole, bâille et sourit aux étoiles, un autre debout sur la rive, débraillé, l'air railleur, le chapeau retroussé sur une forêt de longs cheveux crépus, dessine sa grande silhouette sur la muraille. Celui-là est le matamore du traghetto. Il fait souvent des courses de nuit du côté de Canaregio, dans une barque où les passagers ne se hasardent guère, et il rentre quelquefois, le matin, avec la tête fendue d'un coup de rame qu'il prétend avoir reçu au cabaret. Il est l'espoir de sa famille, et sa poitrine est chargée d'images, de reliques et de chapelets que sa femme, sa mère et ses sœurs ont fait bénir pour le préserver des dangers de sa profession nocturne. Malgré ses exploits, il n'est ni vantard ni insolent. La prudence n'abandonne jamais un Vénitien. Jamais le plus hardi contrebandier ne laisse échapper un mot de trop, même devant son meilleur ami; et quand il rencontre le garde-finance dont il a supporté le feu la veille, il parle avec, lui des événements de la nuit avec autant de sang-froid et de présence d'esprit que s'il les avait appris par la voix publique. – Auprès de lui on peut voir un vieux sournois qui en sait plus long que les autres, mais dont la voix s'est enrouée à crier sur les canaux ces paroles d'une langue inconnue, dérivée peut-être du turc ou de l'arménien, qui servent de signaux aux rameurs de Venise pour s'avertir et s'éviter dans l'obscurité, ou au détour d'un angle du canal. Celui-ci, couché sur le pavé, dans l'attitude d'un chien rancuneux, a vu les fastes de la république; il a conduit la gondole du dernier doge; il a ramé sur le Bucentaure. Il raconte longuement, quand il trouve des auditeurs, des histoires de fêtes qui ressemblent à des contes de fées; mais quand il craint de ne pas être entendu avec recueillement, il s'enferme dans son mépris du temps présent, et contemple avec philosophie les trous nombreux de sa casaque, en se rappelant qu'il a porté la veste de soie bariolée, l'écharpe flottante et la barrette emplumée. Trois ou quatre autres se pressent face à face devant la madone. Ils semblent avoir un secret d'importance à se confier; on dirait presque d'un groupe de bandits méditant un assassinat sur la route de Terracine. Mais ils vont se livrer à la plus innocente de leurs passions, celle de chanter en chœur. Le tenore, qui est en général un gros réjoui, à voix grasse et grêle, commence en fausset du haut de sa tête et du fond de son nez. C'est lui qui, selon leur expression énergique, gante la note, et chante seul le premier vers. Peu à peu les autres le suivent, et la basse-taille, plus rauque qu'un bœuf enrhumé, s'empare des trois ou quatre notes dont se compose sa partie, mais qu'elle place toujours bien, et qui certainement sont d'un grand effet. La basse-taille est d'ordinaire un grand jeune homme sec, bronzé, à physionomie grave et dédaigneuse, un des quatre ou cinq types physiques dont à Venise, comme partout, la population se compose. Celui-là est peut-être le plus rare, le plus beau et le moins national. Le pur sang insulaire des lagunes produit le type que décrit ainsi Gozzi: Bianco, biondo e grassotto. – Robert va sans doute rassembler, dans le cadre qu'il remplit à présent à Venise, les plus beaux modèles de ces diverses variétés, et nous donner de cette race caractérisée une idée à la fois poétique et vraie2. Sa couleur, broyée aux ardents rayons du soleil de l'Italie méridionale, se modifiera sans doute à Venise, et se teindra d'une chaleur moins âpre et moins éblouissante. Heureux l'homme qui peut faire de ses impressions et de СКАЧАТЬ
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Robert n'a pas représenté, dans son beau tableau des