Название: Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4)
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Toute sa vie s'écoula dans cette contradiction touchante, et comme tout ce qui est bon produit quelque chose de bon, comme ce qui vient du cœur agit toujours sur le cœur, sa tendre faiblesse ne produisait pas sur ses enfans un effet contraire à celui où tendaient ses enseignemens. On puisait plus de courage dans la volonté de lui épargner de la douleur et de l'effroi en lui cachant de petites souffrances, qu'on en aurait peut-être eu si elle n'en eût pas manqué en les voyant. Ma mère était tout le contraire.
Rude à elle-même et aux autres, elle avait le précieux sang-froid, l'admirable présence d'esprit qui apportent le secours et inspirent la confiance. Ces deux façons d'agir sont bonnes apparemment, quoique diamétralement opposées; d'où l'on pourra conclure tout ce qu'on voudra. Quant à moi, je n'ai pas trouvé les théories applicables dans l'éducation des enfans. Ce sont des créatures si mobiles, que, si on ne se fait pas mobile comme elles (quand on le peut), elles vous échappent à chaque heure de leur développement.
Mon père avait été appelé à Paris dans les derniers jours de l'an VI pour régler quelques intérêts, et, dans les premiers jours de l'an VII, cette terrible loi de la conscription vint le frapper d'un choc électrique et décida de sa vie. J'ai assez indiqué les agitations de la mère et les secrets désirs de l'enfant. Je le laisserai maintenant parler lui-même.
«A la citoyenne Dupin, à Nohant.
«J'ai enfin reçu une lettre de toi, ma bonne mère. Elle a mis huit jours pour faire la route; ça ne laisse pas que d'être expéditif; que tu es bonne de me regretter. Ainsi, tu crains que je réussisse et que je ne réussisse pas. L'aventure est singulière. Quant à moi, je suis assez tranquille sur les affaires de famille que nous avons sur les bras. De cela, je m'occupe avec Beaumont, ne te tourmente pas, nous nous en tirerons.
Mais quant aux événemens, tes inquiétudes me chagrinent; ma pauvre maman, sois courageuse, je t'en prie. Il est impossible, sous aucun prétexte, de s'exempter de la dernière, et elle me concerne absolument. Les généraux ne peuvent prendre d'aides-de-camp que dans la classe des officiers. Les institutions publiques, telles que l'école Polytechnique, le Conservatoire de musique, etc., etc., ont reçu ordre de n'admettre aucun élève compris dans la première classe. Ainsi, tu le vois, il faut servir, et il n'y aura aucun moyen de n'être pas soldat. Beaumont a frappé à toutes les portes, et partout même réponse. On ne commence plus par être officier, on finit par là, si on peut. Beaumont connaît tout Paris; il est particulièrement lié avec Barras. Il m'a présenté au brave M. de Latour-d'Auvergne, qui par son intrépidité, ses talens, sa modestie, est digne d'être le Turenne de ce temps-ci. Après m'avoir examiné avec beaucoup d'attention, il m'a dit: Est-ce que le petit-fils du maréchal de Saxe aurait peur de faire une campagne? Ce mot-là ne m'a fait ni pâlir ni rougir, et je lui ai répondu: Certainement! en le regardant bien en face. Et puis j'ai ajouté: Mais j'ai fait quelques études, je puis acquérir quelques talens, et je croirais servir mieux mon pays dans un grade ou dans un état-major que dans les rangs aveugles du simple soldat. — Hé bien! a-t-il dit, c'est vrai, et il faut parvenir à un poste honorable. Cependant il faut commencer par être soldat, et voilà ce que j'imagine pour que vous le soyez le moins longtemps et le moins durement possible.
«J'ai un ami intime colonel du 10me régiment de chasseurs à cheval. Il faut entrer dans son régiment. Il sera enchanté de vous avoir. C'est un homme d'une naissance autrefois illustre. Il vous comblera d'amitié. Vous resterez simple chasseur le temps nécessaire pour vous perfectionner dans l'équitation. Ce colonel est sur la liste des généraux. S'il est nommé, à ma recommandation il vous rapprochera de sa personne. S'il ne l'est pas, je vous fais entrer dans le génie. Mais quoi qu'il puisse arriver, vous ne devez aspirer à aucun grade que vous n'ayez rempli les conditions prescrites. C'est dans l'ordre. Nous saurons allier la gloire et le devoir, le plaisir de servir la patrie avec éclat, et les lois de la justice et de la raison. Voilà à peu près, mot pour mot, son discours. Hé bien! maman? qu'en dis-tu? Il n'y a rien à répondre à cela? N'est-ce pas beau d'être un homme, un brave, comme Latour-d'Auvergne? Ne faut-il pas acheter cet honneur-là par quelques sacrifices, et voudrais-tu qu'on dît que ton fils, le petit-fils de ton père, Maurice de Saxe, a peur de faire une campagne? La carrière est ouverte. Faut-il préférer un éternel et honteux repos au sentier pénible du devoir? Et puis, il n'y a pas que cela; songe, maman, que j'ai vingt ans, que nous sommes ruinés, que j'ai une longue carrière à parcourir, toi aussi, Dieu merci! et que je puis en devenant quelque chose, te rendre un peu de l'aisance que tu as perdue: c'est mon devoir, c'est mon ambition. Beaumont est content de me voir dans ces idées-là. Il dit qu'il faut en prendre son parti. Il est bien évident qu'un homme qui n'attend pas qu'on l'inscrive sur un registre comme une marchandise livrée, mais qui, au contraire, se présente volontairement pour courir à la défense de son pays, a plus de droits à la bienveillance et à l'avancement que celui qui s'y fait traîner de force. Cette conduite ne sera pas approuvée par les personnes de notre classe? Elles auront grand tort, et moi je désapprouverai leur désapprobation. Laissons-les dire, elles feraient mieux de m'imiter. J'en vois d'autres qui font plus que moi les patriotes et les beaux Titus, et qui ne se sentent pas du tout pressés d'aller rejoindre le drapeau.
«On croit peu ici à la paix, et Beaumont ne me conseille pas du tout d'y compter. M. de Latour-d'Auvergne m'a déjà pris en amitié. Il a dit à Beaumont qu'il aimait mon air calme, et qu'à la manière dont je lui avais répondu, il avait senti en moi un homme. Tu diras à cela, bonne mère, qu'il m'a vu dans mon beau moment! mais, enfin, on peut avoir souvent de ces momens-là; il ne faut que l'occasion. Notre fortune est renversée: faut-il pour cela nous laisser abattre? N'est-il pas plus beau de s'élever sur ses propres revers, que de tomber, par sa faute, du faîte des hauteurs où le hasard vous avait placé? Les commencemens de cette carrière ne peuvent paraître repoussans qu'à un esprit vulgaire; mais toi, tu n'auras pas honte d'être la mère d'un brave soldat. Les armées sont très bien disciplinées maintenant. Les officiers sont tous gens de mérite, n'aie donc pas peur. Il ne s'agit pas d'aller se battre tout de suite, mais de passer quelque temps aux études du manége. Ce sera d'autant moins désagréable que tu m'en as fait apprendre plus, peut-être, qu'on n'en a à me montrer.
«Je n'ai pas besoin de me vanter de cela, mais je ne ferai point un apprentissage qui compromette mes os, ni qui apprête à rire aux assistans. Tu peux du moins être bien tranquille là-dessus. Adieu, maman, donne-moi ton avis sur toutes mes réflexions, et songe que du chagrin de notre séparation peut résulter un grand bien pour nous deux. Adieu encore, ma bonne mère, je t'embrasse de toute mon ame.
«J'embrasse Deschartres et je l'engage à mettre un peu plus de colophane à son archet pour éviter les couacs et les riquiquis. Allons, ris donc, ma bonne mère!»
La vie des grands hommes modestes est inédite en grande partie. Combien de mouvemens admirables n'ont eu pour témoins que Dieu et СКАЧАТЬ