Название: Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4)
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Mon père avait toujours rêvé la carrière des armes. On l'a vu, durant son exil, étudier la bataille de Malplaquet dans sa petite chambre de Passy, dans la solitude de ces journées si longues et si accablantes pour un enfant de seize ans: mais sa mère aurait voulu, pour seconder ses inclinations, le retour d'une monarchie ou l'apaisement d'une république modérée. Quand il la trouvait contraire à ses secrets désirs, comme il ne concevait pas alors la pensée d'agir sans son adhésion complète, il parlait d'être artiste, de composer de la musique, de faire représenter des opéras ou exécuter des symphonies. On retrouvera ce désir marchant de compagnie avec son ardeur militaire, de même que son violon fit souvent campagne avec son sabre.
En 1798, se présente dans l'histoire de mon père une circonstance futile en apparence, importante en réalité, comme toutes ces vives impressions de jeunesse qui réagissent sur notre vie entière, et qui même parfois disposent de nous à notre insu.
Il s'était lié avec la société de la ville voisine, et je dois dire que cette petite ville de La Châtre, malgré les travers et les défauts propres à la province, a toujours été remarquable pour la quantité de personnes très intelligentes et très instruites qui se sont produites dans sa population, tant bourgeoise que prolétaire. En masse on y est pourtant fort bête et fort méchant, parce qu'on y est soumis à ces préjugés, à ces intérêts et à ces vanités qui règnent partout, mais qui règnent plus naïvement et plus ouvertement dans les petites localités que dans les grandes. La bourgeoisie est aisée sans être opulente, elle n'a point de lutte à soutenir contre une noblesse arrogante, et rarement contre un prolétariat nécessiteux. Elle s'y développe donc dans un milieu fort favorable pour l'intelligence, quoique trop calme pour le cœur et trop froid pour l'imagination.
En 1798, mon père, lié avec une trentaine de jeunes gens des deux sexes, et lié intimement avec plusieurs, joua la comédie avec eux. C'est une excellente étude que ce passe-temps-là, et je dirai ailleurs tout ce que j'y vois d'utile et de sérieux pour le développement intellectuel de la jeunesse. Il est vrai que les sociétés d'amateurs sont, comme les troupes d'acteurs de profession, divisées la plupart du temps par des prétentions ridicules et des rivalités mesquines. C'est la faute des individus et non celle de l'art. Et comme, selon moi, le théâtre est l'art qui résume tous les autres, il n'est point de plus intéressante occupation que celle-là pour les loisirs d'une société d'amis. Il faudrait deux choses pour en faire un plaisir idéal: une bienveillance véritable qui imposerait silence à toute vanité jalouse, un véritable sentiment de l'art qui rendrait ces tentatives heureuses et instructives.
Il est à croire que ces deux conditions se trouvèrent réunies à La Châtre à l'époque que je raconte, car les essais réussirent fort bien, et les acteurs improvisés restèrent amis. La pièce qui eut le plus de succès, et qui fit briller chez mon père un talent de comédien spontané et irrésistible, fut un drame détestable, en grande vogue alors, mais dont la lecture m'a beaucoup frappée, comme un échantillon de couleur historique: Robert, chef de brigands.
Ce drame, imité de l'allemand, n'est qu'une misérable imitation des Brigands de Schiller, et pourtant cette imitation a de l'intérêt et de l'importance, car elle implique toute une doctrine. Elle fut représentée pour la première fois à Paris en 1792; c'est le système jacobin dans son essence, Robert est un idéal du chef de la montagne, et j'engage mon lecteur à le relire comme un monument très curieux de l'esprit du temps.
Les Brigands de Schiller sont et signifient toute autre chose. C'est un grand et noble ouvrage, rempli de défauts exubérans comme la jeunesse car c'est l'œuvre d'un enfant de vingt et un ans, comme chacun sait; mais si c'est un chaos et un délire, c'est aussi une fiction d'une haute portée et d'un sens profond.
Ces représentations théâtrales remplirent les loisirs de la société de La Châtre durant quelques mois, et échauffèrent l'imagination de mon père plus que sa mère ne pouvait le prévoir. Bientôt l'action scénique n'allait plus le satisfaire, et il allait échanger son sabre de bois doré pour un sabre à la hussarde.
Pour jouer Robert on enrégimenta des comparses, et les brigands furent des Hongrois-Croates, qui étaient en France comme prisonniers de guerre et avaient été cantonnés à La Châtre. On leur faisait simuler un combat, on leur fit comprendre qu'après la bataille, ils devaient paraître blessés; ils se concertèrent si bien et ils mirent tant de conscience, qu'à la représentation on les vit sortir de la mêlée boitant tous du même pied.
Ainsi mon père, chef de brigands sur les planches d'un théâtre, où les moines avaient fait chère lie, et où la Montagne avait tenu ses séances, commandait à des Hongrois et à des Croates prisonniers. Deux ans plus tard, il était fait prisonnier lui-même par des Croates et des Hongrois qui ne lui faisaient pas jouer la comédie et qui le traitaient plus rudement. La vie est un roman que chacun de nous porte en soi, passé et avenir.
Mais au milieu des irrésolutions de ma grand'mère pour la carrière de son fils, arriva cette fameuse loi du 2 vendémiaire an VII (23 septembre 1798), proposée par Jourdan, et qui déclarait tout Français soldat, par droit et par devoir, pendant une époque déterminée de sa vie.
La guerre, endormie un moment, menaçait d'éclater de nouveau sur tous les points. La Prusse hésitait dans sa neutralité, la Russie et l'Autriche armaient avec ardeur. Naples enrôlait toute sa population. L'armée française était décimée par les combats, les maladies et la désertion. La loi de la conscription, imaginée et adoptée, le Directoire la mit à exécution sur-le-champ en ordonnant une levée de 200,000 conscrits. Mon père avait vingt ans.
Depuis longtemps son cœur bondissait d'impatience, l'inaction lui pesait, le jeune homme s'agitait et faisait des vœux pour qu'un gouvernement stable, comme disait sa mère, lui permît de servir. Il faisait bon marché, lui, de la stabilité des choses. Quand les réquisitions forcées venaient lui enlever son unique cheval, il frappait du pied en disant: «Si j'étais militaire, j'aurais le droit d'être cavalier; je prendrais à l'ennemi des chevaux pour la France, au lieu de me voir mettre à pied comme un être inutile et faible.»
Soit instinct aventureux et chevaleresque, soit séduction des idées nouvelles, soit insouciance de tempérament, soit plutôt, comme ses lettres le prouvent en toute occasion, le bon sens d'un esprit clair et calme, jamais il ne regretta l'ancien régime et l'opulence de ses premières années. La gloire était pour lui un mot vague, mystérieux, qui l'empêchait de dormir, et quand sa mère s'attachait à lui prouver qu'il n'y a pas de gloire véritable à servir une mauvaise cause, il n'osait pas discuter, mais il soupirait СКАЧАТЬ