Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4). Жорж Санд
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Читать онлайн книгу Histoire de ma Vie, Livre 1 (Vol. 1 – 4) - Жорж Санд страница 22

СКАЧАТЬ présent la bonne compagnie. Vous y voyez des femmes charmantes, d'une élégance merveilleuse; mais si elles ouvrent la bouche, tout est perdu. Vous entendez: Sacresti! que c'est bien dansé! ou bien: Il fait un chaud du diable! Vous sortez, des voitures brillantes et bruyantes reçoivent tout ce beau monde, et les braves gens s'en retournent à pied, et se vengent par des sarcasmes des éclaboussures qu'ils reçoivent. On crie: Place à M. le fournisseur des prisons!Place à M. le brise-scellés!

      «Mais ils vont toujours et s'en moquent. Quoique tout soit renversé, on peut encore dire comme autrefois: L'honnête homme à pied et le faquin en litière. Ce sont d'autres faquins, voilà tout.

      «Adieu, ma bonne mère. J'irai encore ce soir à l'Opéra. Ce matin, M. Heckel me fait diner avec M. le duc. Je t'embrasse comme je t'aime.»

«Le 15.

      «Quoiqu'à pied, l'honnête homme se moque bien à Paris du mauvais temps! Il y a tant de choses à faire et à voir! Le matin je vais au Salon; de trois à six heures, je dîne longuement en bonne compagnie; le soir je vais au spectacle. J'ai dîné chez madame de Ferrières avec toutes tes amies; j'ai été reçu à bras ouverts! Ah! comme on a parlé de toi! Le diner était délicieux, servi en argenterie. La république n'a pas tout pris. Les vins parfaits. Il y avait des jeunes gens très gais, et nous avons fait rire aux éclats même M. de la Dominière. J'ai été le soir à la rue Feydeau, voir l'Ecole des Pères et les Fausses Confidences. Cette dernière pièce est absolument jouée comme avant 93: Fleuri avait le même habit; Dazincourt aussi.»........

«Le 17.

      «Que tu es bonne de vouloir t'ennuyer encore dans ta solitude pour me laisser quelques jours de plus à Paris! Quelle trop bonne mère! Si tu y étais avec moi, je m'y amuserais bien davantage. Aujourd'hui, j'ai joint l'utile à l'agréable, et il me semble que je suis au-dessus de moi-même. Mon ami M. Heckel m'a lu deux ouvrages de morale, l'un sur l'immortalité de l'ame, l'autre sur le vrai bonheur. Tout est admirable, profond, rapide, clair, éloquent; c'est l'hiver dernier qu'il les a composés, et il m'assure qu'il n'a eu pour but que de me développer les principes de la vertu.

      «J'ai eu un succès extraordinaire en chantant Œdipe chez Mme de Chabert.

      «Mais ces succès, à qui les dois-je? A ma bonne mère, qui a bien voulu s'ennuyer à m'enseigner et qui en sait plus que tous les professeurs du monde! Après la musique, on a dansé; nous étions tous en bottes, n'en sois pas scandalisée, c'est l'usage à présent; mais comme on danse mal en bottes! Par là-dessus on s'est imaginé de prendre le thé, et c'est bien là le souper le plus fade et le plus économique qu'on puisse faire. Adieu, ma bonne mère, je t'embrasse de toute mon ame, et je fais à ma bonne trente-trois amitiés.»..........

«Le 19.

      «Ce matin, j'ai encore déjeuné avec M. le duc et mon ami M. Heckel. Nous avons mangé comme des ogres et ri comme des fous... Et figure-toi que, comme nous marchions tous trois sur le Pont-Neuf, les poissardes nous ont entourés et ont embrassé M. le duc comme le fils de leur bon roi! Tu vois si l'esprit du peuple a changé! Mais je t'en parlerai verbalement, comme dit Bridoison.

      «Je cours faire mes visites d'adieu. Va, je ne regretterai point Paris, puisque je vais te retrouver.

      «Je dis mille brutalités à ma bonne; qu'elle s'apprête à me raser, car ici on m'a fait les crocs, j'effrayais tout le monde, et les voilà qui repoussent de rage......

      «Deschartres a eu beau chercher un précepteur pour le fils de Mme de Chander, il regarde la chose comme impossible à trouver dans ce temps-ci. La race en est perdue. Tous les jeunes gens qui se destinaient à l'éducation cherchent à se faire médecins, chirurgiens, avocats. Les plus robustes ont été employés pour la République. Depuis six ans, personne n'a travaillé, il faut bien le dire, et les livres ont eu tort. On ne voit que des gens qui cherchent des instituteurs pour leurs enfans et qui n'en trouvent pas. Il y aura donc beaucoup d'ânes dans quelques années d'ici, et j'en serais un comme un autre sans Deschartres, que dis-je? sans ma bonne mère, qui aurait toujours suffi à former mon esprit et mon cœur.»

«Le 13.

      «Nous partons demain. Deschartres se décide enfin à mettre ses estimables jambes dans des bottes. Il n'y pas moyen de lutter contre le torrent! C'est commode à cheval, mais non au bal. On ne fait plus que marcher la contredanse. Dis à ma bonne que je vais m'en dédommager en la faisant sauter et pirouetter de gré ou de force. Adieu, Paris... et bonjour à toi bientôt, ma bonne mère! je pars d'ici plus fou que je n'y suis venu; c'est qu'aussi tout le monde l'est un peu; il suffit d'avoir la tête sur les épaules pour se croire heureux. Les parvenus s'en donnent à cœur joie, et le peuple a l'air d'être indifférent à tout; jamais le luxe n'a été si brillant... Bah! bah! adieu à toutes ces vanités, ma bonne mère s'ennuie et m'attend: tant pis pour ma jument. Je vais enfin t'embrasser! Peut-être arriverai-je avant cette lettre!

«MAURICE.»

      CHAPITRE SEPTIEME

      Suite de l'histoire de mon père. — Persistance des idées philosophiques. —Robert, chef de brigands.— Description de La Châtre. — Les brigands de Schiller.

AVERTISSEMENT

      Certaines réflexions viennent inévitablement au courant de la plume quand on parle du passé: on le compare avec le présent, et ce présent, le moment où l'on écrit, c'est déjà le passé pour ceux qui vous lisent au bout de quelques années. L'écrivain a quelquefois aussi envisagé l'avenir. Ses prédictions se trouvent déjà réalisées ou démenties quand son œuvre paraît. Je n'ai rien voulu changer aux réflexions et aux prévisions qui me vinrent durant ces derniers temps. Je crois qu'elles font déjà partie de mon histoire et de celle de tous. Je me bornerai à mettre leur date en note.

* * *

      Je continuerai l'histoire de mon père, puisqu'il est, sans jeu de mots, le véritable auteur de l'histoire de ma vie. Ce père que j'ai à peine connu, brillante apparition, ce jeune homme artiste et guerrier, est resté vivant dans les élans de mon ame, dans les fatalités de mon organisation, dans les traits de mon visage. Mon père est un reflet, affaibli sans doute mais assez complet, du sien. Le milieu dans lequel j'ai vécu a amené les modifications. Mes défauts ne sont donc pas son ouvrage absolument, et mes qualités sont un des instincts qu'il m'a transmis. Ma vie extérieure a autant différé de la sienne que l'époque où elle s'est développée, mais eussé-je été garçon et eussé-je vécu vingt-cinq ans plus tôt, je sais et je sens que j'eusse agi et senti en toutes choses comme mon père.

      Quels étaient, en 97 et en 98, les projets de ma grand'mère pour l'avenir de son fils? Je crois qu'elle n'en avait pas d'arrêtés et qu'il en était ainsi pour tous les jeunes gens d'une certaine classe. Toutes les carrières ouvertes à la faveur sous Louis XVI l'étaient sous Barras à l'intrigue. Il n'y avait rien de changé en cela que les personnes, et mon père n'avait réellement qu'à choisir sa place entre les camps et le coin du feu. Son choix, à lui, n'eût pas été douteux: mais depuis 93 il s'était fait chez ma grand'mère une réaction assez concevable contre les actes et les personnages de la Révolution. Chose très remarquable, pourtant, sa foi aux idées philosophiques qui avaient produit la Révolution n'avait pas été ébranlée, et en 97, elle écrivait à M. Heckel une lettre excellente que j'ai retrouvée. La voici:

DE MADAME DUPIN A M. HECKEL

      «Vous détestez Voltaire et СКАЧАТЬ