COSTARD. – La suite sera comme sera la correction qu'on me donnera, et Dieu veuille protéger la bonne cause!
LE ROI. – Voulez-vous écouter la lettre avec attention?
BIRON. – Comme nous écouterions un oracle.
COSTARD. – Telle est la simplicité de l'homme, d'écouter les penchants de la chair.
LE ROI, lit. – «Grand lieutenant, illustre vice-roi du firmament, et seul dominateur de la Navarre, Dieu terrestre de mon âme, et patron nourricier de mon corps.
COSTARD. – Il n'y a pas encore là un mot de Costard.
LE ROI, lisant. – «Il est de fait…
COSTARD. – Cela peut être ainsi; mais s'il dit que cela est ainsi, il n'est, lui, à dire vrai, qu'ainsi4…
LE ROI. – Paix5!
COSTARD. – Soit à moi et à tout homme qui n'ose pas se battre!
LE ROI. – Pas le mot.
COSTARD. – Pas le mot des secrets des autres, je vous en prie.
LE ROI, continuant de lire. – «Il est de fait qu'affligé d'une mélancolie de couleur noire, j'ai recommandé la sombre et accablante humeur qui m'enveloppait à la médecine salutaire de votre air qui donne la santé; et comme je suis un gentilhomme, je me suis mis à me promener. L'heure, laquelle? Vers la sixième heure, lorsque les animaux paissent du meilleur appétit, que les oiseaux becquettent le mieux le grain, et que les hommes sont assis pour prendre ce repas que l'on nomme le souper: voilà pour le temps. Maintenant le sol, je veux dire le sol sur lequel je me promenais, il est enclos de murs: c'était votre parc. A présent, venons à l'endroit; je veux dire l'endroit où j'ai rencontré cet événement obscène et des plus monstrueux, qui tire aujourd'hui de ma plume, blanche comme la neige, l'encre de couleur d'ébène, que vos yeux voient, contemplent, parcourent ou regardent ici. C'est là au nord-nord-ouest et au coin ouest de votre jardin aux curieux détours que j'ai vu ce berger à l'âme basse; ce misérable ver qui sert à votre divertissement.
COSTARD. – C'est moi.
LE ROI, continuant. – «Cette âme illettrée et bornée.
COSTARD. – C'est moi.
LE ROI, continuant. – «Cet insipide vassal.
COSTARD. – C'est encore moi.
LE ROI, continuant. – «Qui, autant que je m'en souviens, se nomme Costard.
COSTARD. – Oh! c'est bien moi.
LE ROI, continuant. – «En compagnie et en tête-à-tête, contre le statut formel de votre édit et de votre loi promulguée, avec… avec… Oh! avec… mais je souffre de dire avec qui.
COSTARD. – Avec une fille.
LE ROI, continuant. – «Avec un enfant de notre grand-mère Ève, une femelle, ou pour me faire comprendre de votre âme délicate, une femme. Mû par l'aiguillon de mon devoir toujours respecté, je vous l'ai envoyé, pour recevoir le lot de sa punition, sous la garde d'un officier de votre noble Altesse, Antoine Dull, homme de bonne renommée, de bonne conduite, de bonne réputation, et fort considéré.
DULL. – C'est moi, sous le bon plaisir de Votre Altesse; je suis Antoine Dull.
LE ROI, continuant. – «Quant à Jacquinette (c'est ainsi qu'on appelle le vase le plus faible, que j'ai surpris avec le berger susdit), je la garde comme un vase dévoué à la fureur de votre loi; et, au moindre signal de votre illustre volonté, je la mènerai subir son procès. Je suis à vous, dans toutes les formalités de l'ardeur brûlante d'un zèle dévoué,
«Don Adrien d'ARMADO.»
BIRON. – Cette lettre n'est pas en aussi bon style que je l'attendais, mais c'est le plus menteur que j'aie jamais entendu.
LE ROI. – Oui, le meilleur pour le pire. – Mais, toi, coquin, que réponds-tu à cela?
COSTARD. – Seigneur, je confesse la fille.
LE ROI. – As-tu entendu la proclamation de mon édit?
COSTARD. – Je confesse que je l'ai beaucoup entendue, mais aussi que j'y ai fait fort peu d'attention.
LE ROI. – On a publié la peine d'un an de prison pour quiconque serait surpris avec une fille.
COSTARD. – Je n'ai pas été pris avec une fille, seigneur, j'ai été pris avec une damoiselle.
LE ROI. – Eh bien! l'édit porte aussi une damoiselle.
COSTARD. – Ce n'était pas une damoiselle non plus, seigneur: c'était une vierge.
LE ROI. – Cela a été défendu aussi. L'édit porte aussi une vierge.
COSTARD. – Si cela est, je nie sa virginité: j'ai été pris avec une pucelle.
LE ROI. – Cette pucelle ne te servira pas, l'ami.
COSTARD. – Cette pucelle me servira, sire.
LE ROI. – Allons, je vais prononcer la sentence: tu jeûneras une semaine entière au pain bis et à l'eau.
COSTARD. – J'aimerais mieux prier un mois avec du mouton et du poireau.
LE ROI. – Et don Armado sera ton gardien. – Biron, ayez soin qu'il lui soit livré. – Et nous, chers seigneurs, allons mettre en pratique ce que nous avons réciproquement juré d'observer par un serment si solennel.
BIRON. – Je gagerais ma tête contre le chapeau du premier honnête homme, que ces serments et ces lois deviendront un objet de mépris. – (A Costard.) Allons, drôle, marchons.
COSTARD. – Je souffre pour la vérité, monsieur, car il est très-vrai que j'ai été pris avec Jacquinette, et que Jacquinette est une vraie fille; et ainsi donc, que la coupe amère de la prospérité6 soit la bienvenue! L'affliction pourra un jour me sourire encore, et jusqu'à ce moment reste avec moi, douleur.
SCÈNE II
ARMADO. – Page, quel signe est-ce, quand une grande âme devient mélancolique?
MOTH. – C'est un grand signe, monsieur, qu'elle deviendra triste.
ARMADO. – Quoi! la tristesse et la mélancolie sont la même chose, mon cher lutin?
MOTH. – Non, non, monsieur; oh! non.
ARMADO. – Comment peux-tu séparer la tristesse de la mélancolie, mon tendre jouvenceau?
MOTH. – Par une démonstration familière de leurs effets, mon rude seigneur.
ARMADO. СКАЧАТЬ
4
Le genre d'esprit de Costard est principalement de tirer des propositions précédentes des conséquences contradictoires et absurdes.
5
Paix, absence de bruit, ou absence de guerre. Costard s'attache au dernier sens.
6
Bévues mises exprès dans la bouche de Costard.