Название: A quoi tient l'amour?
Автор: Марк Твен
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
isbn:
– Rouillon, ami Rouillon, un peu de mansuétude, un peu de patience! N'allez pas plus vite que les violons. Ecoutez, je connais Lucile. Il ne faut pas l'effaroucher. Ce que j'en dis, c'est pour votre bien.
– Soit! fit Rouillon, réfléchissant que Fraisier avait grand intérêt au mariage, y aiderait de tout son pouvoir et serait pour lui un excellent avocat. Je me résigne. Quand reviendrai-je?
– Dimanche, après déjeuner, si vous êtes libre.
– C'est convenu.»
Rouillon se leva. Mais il semblait ne pouvoir s'en aller. Il parla d'une nouvelle entreprise qu'il avait en vue. Il se plaignit des bruits de guerre, si désastreux pour le commerce! Il n'en finissait plus, faisant un pas pour s'en aller, s'arrêtant et renouant la conversation.
VI
Lucile était remontée, toute tremblante, près de Linette, qui déjà dormait dans sa couchette blanche. Elle passa dans la chambre voisine et s'accouda, soucieuse, à la fenêtre ouverte sur la rue.
Bientôt elle tressaillit. Un pas ferme et sonore ébranlait le pavé. Dans la partie du chemin éclairée par la lune, un jeune homme s'avançait rapidement, le visage levé vers Lucile. Il l'avait aperçue de loin; et elle reconnut vite cette allure franche, cette figure énergique et cordiale, cette fine moustache brune. Un nom lui vint sur les lèvres: André! En même temps, une inspiration lui traversa l'esprit.
«Chut!» fit-elle, un doigt devant les lèvres, au moment où il arrivait sous la fenêtre et se disposait à lui adresser la parole.
Elle ajouta tout bas, penchée sur la barre d'appui:
«Attendez un peu, là, dans l'ombre!»
Elle s'assura que son père et Rouillon causaient encore dans la cour, chercha sur l'étagère, y trouva un bout de papier, un crayon, et hâtivement écrivit ces mots:
«Dans une heure, sans qu'on vous voie, venez au jardin; et attendez-nous près de la rivière, sous les charmilles. Ma mère et moi, nous vous y rejoindrons. C'est très grave.»
Elle plia le papier, souffla la lumière, revint à la fenêtre, puis, personne ne les observant, laissa tomber le petit billet dans la rue et fit signe au jeune homme, dès qu'il l'eut ramassé, de s'éloigner sans retard.
Il était temps. A peine avait-il disparu, qu'elle entendit le bruit des pas et des voix au rez-de-chaussée. Rouillon se décidait à prendre congé.
Elle le regarda s'éloigner à son tour. Quand elle l'eut vu, de loin, rentrer chez lui, elle ralluma son bougeoir et redescendit l'escalier.
VII
«Ah! te voilà maintenant, fit son père; je gage que tu sais pourquoi l'ami Rouillon est venu.
– C'est vrai. Je m'en doutais. J'ai écouté, j'ai entendu.
– Cela simplifie tout. Hein! quel brave garçon! Comme il t'aime! Sa voix tremblait. Il n'est pas commode avec tout le monde, ce gaillard-là; mais toi, tu feras de lui ce que tu voudras. Sais-tu qu'il a plus de deux cent mille francs, tandis que nous n'avons que des dettes? Heureusement notre plus gros créancier, c'est lui. Quand Linette m'a annoncé tout à l'heure qu'il avait à me parler, j'ai eu froid dans le dos. D'un trait de plume, il peut nous mettre sur le pavé.
– Vous me conseillez donc de l'épouser, et vous pensez que je n'y aurai aucune répugnance?
– Dame! c'est un parti superbe, inespéré; et que pourrais-tu lui reprocher, Lucile? répondit Fraisier avec volubilité, comme s'il éprouvait inconsciemment le besoin de pallier à ses propres yeux ce qu'il y avait d'égoïste et d'un peu vil dans sa pensée et dans sa conduite.
– Ce que je lui reproche, père, je vais vous le dire. C'est qu'il vous a prêté de l'argent pour vous tenir en son pouvoir, pour vous ôter la faculté de lui refuser ma main, pour me contraindre d'être à lui. Prétendrez-vous qu'il n'ait pas fait ce calcul? Je sens, je suis sûre qu'il l'a fait. Eh bien! c'est lâche. Je ne puis aimer un tel homme. Fût-il vingt fois plus riche, il ne me serait pas moins odieux.
– Comment? tu lui sais mauvais gré de m'avoir aidé, et tu lui fais un crime de t'adorer! Lucile, c'est de la folie. Tu ne le connais pas. On t'aura dit du mal de lui. On le jalouse, à cause de sa fortune rapide. Mais François Rouillon est un honnête homme, je te l'affirme; et il n'est point du tout un homme à mépriser. Tu reviendras à de meilleurs sentiments sur son compte. Il faut être juste, au moins.
– Père, j'ai toujours respecté vos volontés. Pardonnez-moi si je résiste aujourd'hui. Il y va de toute ma vie. Quel que puisse être le caractère de M. Rouillon, j'ai pour lui une antipathie insurmontable. Il me rendrait malheureuse, et je ne le rendrais pas heureux. Ce mariage ne doit pas se faire.»
Fraisier était anéanti. Qu'allaient-ils devenir tous? Que dirait, que ferait Rouillon?
«Malheureuse! s'écria le pauvre homme, tu veux donc notre ruine!»
Mme Fraisier intervint:
«Constant, laisse Lucile s'expliquer avec moi. Tu vois bien qu'elle est énervée ce soir. Demain, nous causerons tous les trois à tête reposée.»
Fraisier se leva sans répondre et se mit à marcher de long en large, désorienté, furieux, perplexe. Puis, machinalement, il alla fermer le magasin, sortit en ruminant des projets confus; et bientôt il se retrouvait au café, où on l'attendait pour finir et régler une partie interrompue. Le démon du jeu reprit possession de ce faible cerveau.
«Sa mère lui fera entendre raison,» se dit-il.
Et il remit au lendemain les affaires sérieuses.
VIII
«Ma pauvre Lucile!» fit douloureusement Mme Fraisier, en embrassant sa fille, quand il les eut laissées seules.
Sous ses bandeaux plats de cheveux grisonnants, Mme Fraisier était restée la femme tendre et un peu romanesque, qui naguère avait passionnément aimé son mari. N'ayant pu le tenir longtemps en haute estime, délaissée, ruinée par lui, elle ne vivait plus maintenant que pour ses deux enfants.
«Sois tranquille, mère! lui répondit Lucile; je saurai me défendre.»
Et l'entraînant doucement au jardin, baigné des calmes rayons blancs, la jeune fille s'achemina avec elle vers la rivière, par l'allée du milieu, entre les poiriers en quenouille, les ifs sombres et les hautes bordures de buis.
«Il ne faut pas désespérer, reprit-elle. Quelqu'un nous attend, là, sous les charmilles, qui nous donnera, j'en suis sûre, bon conseil et bon secours.
– Qui? André?
– Oui. J'ai pu le prévenir tout à l'heure, comme il passait devant la maison.
– Tu ne crains pas?..
– Avec toi et avec lui, mère, que puis-je craindre? Nous n'avons fait et ne ferons rien de mal. Tu sais comment, André et moi, nous nous aimons. En ta présence, avec ton assentiment, СКАЧАТЬ