Название: Les beaux messieurs de Bois-Doré
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Quant à Mario, il comprenait de quoi il s'agissait; mais, dominé et comme fasciné par le regard de Mercédès, il se renfermait dans un impassible silence.
– Vous le voyez, dit d'Alvimar au marquis, il baisse la tête et cache sa honte. Allons, j'en sais assez sur leur compte, et je vous laisse en cette honnête compagnie. Il n'y a point de danger qu'ils desserrent les dents devant un Espagnol, et ils savent apparemment que je le suis. Il y a, entre cette race abjecte et la nôtre, un instinct d'aversion qui fait qu'ils nous sentent comme le gibier sauvage sent l'approche du chasseur. Cette femme, je l'ai rencontré hier sur les chemins, et je suis sur qu'elle a essayé quelque pratique de sorcellerie sur mon cheval, car il est boiteux ce matin. Si j'étais le maître de cette maison, une pareille vermine n'y resterait pas un instant de plus!..
– Vous êtes mon hôte, répondit Bois-Doré mêlant à sa politesse un accent de dignité et de fermeté dont M. d'Alvimar ne l'eût pas cru capable, et, en cette qualité, vous avez droit à ne point rencontrer chez moi de discussion contre vos idées, qu'elles soient ou non les miennes. Si la vue de ces malheureux vous importune, comme je ne veux pas qu'il soit dit que vous avez été contrarié dans ma maison en chose que ce soit, on s'arrangera pour qu'ils ne blessent point vos regards; mais vous ne sauriez exiger que je chasse brutalement un enfant et une femme.
– Non, certes, monsieur, dit d'Alvimar reprenant possession de lui-même; ce serait méconnaître vos bontés, et je vous demande pardon de mon emportement. Vous savez l'horreur de ma nation pour ces infidèles, et je sais, moi, que j'aurais dû la contenir ici.
– Que voulez-vous dire? demanda Bois-Doré un peu impatienté; nous prenez-vous pour des musulmans?
– À Dieu ne plaise, monsieur le marquis! je voulais parler de la tolérance française en général, et, comme c'est une loi de civilité que de se conformer aux usages de la nation où l'on reçoit l'hospitalité, je vous promets de m'observer et de voir chez vous sans répugnance quiconque il vous plaira d'accueillir.
– À la bonne heure! répondit le bon marquis en lui tendant la main. Vous plaît-il que, dans un instant, quand j'aurai fini ici, je vous mène tuer un lièvre ou deux?
– C'est trop de bonté, dit d'Alvimar en sortant; mais ne vous dérangez pas pour moi: avec votre permission, et en attendant l'heure du dîner, j'irai écrire quelques lettres.
Le marquis, s'étant levé pour le saluer, se rassit avec sa grâce nonchalante, et, s'adressant à Lucilio:
– Notre hôte est un cavalier bien élevé, lui dit-il; mais il est vif, et, tout bien considéré, il a un grand malheur en la tête, qui est d'être trop Espagnol. Ces gens sublimes méprisent tout ce qui n'est pas eux; mais je crois qu'ils se sont rompu les reins en martyrisant et en exterminant ces pauvres Morisques. Ils s'en mangeront les mains, un jour ou l'autre. Les Morisques étaient courageux au travail et soigneux de la propreté, au pays de la paresse et de la vermine. Ils étaient doux et humains avant qu'on les eût provoqués si durement. Allons, allons, si nous tenons là un pauvre débris de cette race qui fut si grande au temps passé, ne marchons pas dessus. Ayons pitié! Dieu pour tous!
Lucilio avait écouté le marquis avec une religieuse attention, mais en écrivant, pendant qu'il disait ses dernières paroles.
– Que faites-vous là? lui dit Bois-Doré.
Lucilio lui passa son papier, qui parut un vrai grimoire au marquis.
– Ce sont, lui répondit le muet avec son crayon, les excellentes paroles que vous venez de dire, traduites en arabe. Voyez si l'enfant sait lire et s'il entend cette langue.
Mario regarda le papier qu'on lui présenta et courut le lire à la Morisque, qui l'écouta avec une grande émotion, baisa l'écriture et vint se mettre à genoux devant le marquis.
Puis elle se tourna vers Giovellino et lui dit en arabe:
– Homme de cœur et de vertu, dis à cet homme de bien ce que je vais te dire. Je n'ai pas voulu parler ma langue devant l'Espagnol. Je n'ai pas voulu que l'enfant dît un mot devant lui. L'Espagnol nous hait, et, en quelque lieu qu'il nous rencontre, il nous fait du mal. Pourtant l'enfant est chrétien, il n'est pas esclave. Tu peux voir sur mon front la marque de l'inquisition; elle y est encore, quoique je fusse bien petite quand on m'a brûlée.
Et, en parlant ainsi, elle défaisait le mouchoir de serpillière bariolée qui retenait ses longs cheveux noirs, et montrait son front, qui ne présentait aucune trace de feu.
Mais elle se le frappa du creux de la main, et aussitôt l'horrible rébus se dessina en blanc sur la peau rougie.
– Mais, reprit elle en relevant la chevelure abondante et douce de Mario, tu peux regarder ce jeune front. S'il eût été marqué comme le mien, la trace ne serait pas encore possible à méconnaître. C'est un front baptisé par un prêtre de ta religion; l'enfant est instruit dans la foi et dans la langue de ses pères.
Pendant que la Morisque parlait, Lucilio écrivait traduisant, et le marquis lisait à mesure.
– Demandez-lui son histoire, dit-il au muet; faites-lui savoir que nous portons intérêt à ses malheurs et que nous la prenons sous notre protection.
Il ne fut pas nécessaire que Lucilio écrivit les interruptions de Bois-Doré. Mario, qui parlait aussi facilement l'arabe que le français et le catalan, les traduisait, au fur et à mesure, à sa mère adoptive, avec une remarquable fidélité.
Nous continuerons donc l'entretien de ces quatre personnes, comme si toutes quatre avaient parlé la même langue et comme si Lucilio, prompt à transcrire, n'eût pas été empêché d'en parler une seule.
XVI
La Morisque parla ainsi:
– Mario, mon bien-aimé, dis à ce seigneur bienfaisant que je sais mal parler l'espagnol, et le français encore moins; je dirai mon histoire à son écrivain, et il la lira.
«Je suis fille d'un pauvre fermier de la Catalogne. C'est en Catalogne que le peu de Mores épargnés par l'inquisition vivaient encore tranquilles, espérant qu'on les y laisserait gagner leur vie en travaillant, puisque nous n'avions pris part à aucune des guerres de ces derniers temps, si malheureux pour nos frères des autres provinces d'Espagne.
»Mon père s'appelait Yésid en arabe, et Juan on espagnol; moi, baptisée par aspersion comme les autres, j'étais la chrétienne Mercédès, mais la morisque Ssobyha13.
»J'ai à présent trente ans. J'en avais treize quand on commença à nous avertir secrètement que nous allions être chassés et dépouillés à notre tour.
»Déjà, avant ma naissance, le terrible roi Philippe II avait ordonné que, dans le délai de trois ans, tous les Morisques devaient savoir la langue castillane et ne plus parler, lire ou écrire en arabe, publiquement ou secrètement; «que tous les contrats en cette langue seraient nuls; que tous nos livres seraient brûlés; «que nous quitterions nos costumes pour porter ceux des chrétiens;»que les femmes morisques sortiraient sans voile, le visage découvert;»que nous n'aurions ni fêtes ni danses, ni chants nationaux; «que nous perdrions nos noms de famille et d'individu pour prendre des noms chrétiens; СКАЧАТЬ
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Aurore.