Название: Les beaux messieurs de Bois-Doré
Автор: Жорж Санд
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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D'Alvimar trouva que M. Poulain avait du jugement; le sonneur de musette, surtout, lui sembla de nouveau mériter les soupçons.
Pourtant il ne s'intéressa pas longtemps à ces petites choses.
Dès qu'il se fut assuré qu'il ferait bien de ne témoigner aucune confiance au vieux marquis, il monta plus haut dans ses préoccupations et voulut savoir ce qu'il devait penser des gros bonnets de la province.
M. Poulain était au courant de tous les petits secrets du gouvernement de Bourges. Il entendait la politique comme d'Alvimar: s'emparer de la vie privée de chacun pour arriver à exercer son ascendant sur les affaires générales.
Ce mauvais prêtre vit qu'il pouvait parler; il avoua qu'il se déplaisait mortellement dans ce petit hameau, mais qu'il y prenait patience, vu que, un jour ou l'autre, M. de Bois-Doré ou son voisin M. de Beuvre pourrait bien lui fournir l'occasion d'une petite persécution qu'il désirait subir plutôt qu'exercer.
– Vous m'entendez bien; il vaut mieux être sur le terrain de la défensive que sur la brèche de l'agression. On n'est jamais solide sur une brèche; si ces parpaillots du Bas-Berry pouvaient me faire quelque menace ou même un peu de mal, j'en ferais, moi, assez de bruit pour sortir de ces fonctions infimes et de ce pays désert. N'allez pas me croire ambitieux; je ne le suis que de servir l'Église, et, pour être utile, il faut accepter la nécessité de se mettre en vue.
– Ce petit prestolet est plus fort que moi, se dit d'Alvimar; il sait attendre et se bien placer pour tirer sur l'ennemi; moi, j'ai toujours été agressif, c'est ce qui m'a perdu. Mais il est toujours temps de profiter des bons conseils; j'en viendrai demander souvent à cet homme-ci.
En effet, cet homme, qui avait l'air de s'occuper de commérages de clocher, et qui, au fond, ne s'en souciait que pour en tirer parti, était plus fort que d'Alvimar; à telles enseignes qu'en une heure, il le pénétra, lui si méfiant, et sut, sinon les secrets de sa vie, du moins ceux de son caractère, ses déceptions, ses revers, ses désirs et ses besoins.
Quant il l'eut bien confessé en ayant l'air de ne confesser que lui-même, il lui parla ainsi, allant droit au but:
– Vous avez plus de chances que moi pour parvenir, vu que la fortune est la grande condition du pouvoir. Un prêtre ne peut pas faire fortune comme un laïque. Il faut qu'il arrive lentement, par les seules forces de son esprit et de son zèle. Il ne doit pas oublier que la richesse n'est pas son but, et il ne peut la désirer que comme un moyen. Quant à vous, du jour au lendemain, vous êtes libre d'avoir de la fortune. Il ne s'agit que de vous marier.
– Je ne crois pas! dit d'Alvimar. Les femmes de ce temps corrompu font la fortune de leurs amants plus volontiers que de leurs maris.
– Je l'ai ouï dire, répondit M. Poulain; mais je sais le remède.
– Oui-da! Vous tenez là un grand secret!
– Très simple et très-facile. Il ne faut pas viser si haut que vous avez peut-être fait. Il ne faut pas épouser une femme du grand monde. Il faut chercher une bonne dot et une femme simple au fond d'une province. Vous m'entendez bien? Il faut dépenser l'argent à la cour, et n'y pas mener la femme.
– Quoi! épouser une bourgeoise?
– Il y a des demoiselles nobles qui sont plus riches et aussi modestes, que des bourgeoises.
– Je n'en connais pas.
– Il y en a, en ce pays, sans aller bien loin!.. La petite veuve de la Motte-Seuilly?
– Elle a tout au plus de l'aisance.
– Vous jugez sur les apparences. On n'a pas ici l'habitude du luxe. Excepté ce fou de marquis, toute la noblesse sédentaire vit sans éclat; mais il y a de l'argent. Le faux saulnage et la pillerie des couvents ont enrichi les gentilshommes. Quand vous voudrez, je vous prouverai qu'avec les revenus de madame de Beuvre, vous mèneriez un train des plus convenables à Paris. Elle est, d'ailleurs, apparentée aux premières familles de France, et toutes ne verraient pas avec déplaisir un Espagnol bien pensant dans leur alliance.
– Mais n'est-elle pas calviniste comme son père?
– Vous la convertirez!.. à moins que son calvinisme ne vous soit un prétexte tout trouvé pour la laisser vivre au fond de son petit manoir.
– Vous voyez loin, monsieur le recteur! Mais si, un jour ou l'autre, vous déclarez la guerre à cette famille…
– Pourvu que je ne la fasse pas dépouiller de ses biens, cette guerre peut vous être utile dans l'occasion. Faites attention que je ne vous conseille pas de malmener et de délaisser votre femme, mais d'avoir la liberté de vous absenter d'elle pour tes besoins de votre condition. Si elle devenait acariâtre ou récalcitrante, on pourrait la mater par son hérésie. La liberté de conscience accordée à ces gens-là est subordonnée à des restrictions qu'ils enfreignent souvent. Nous les tenons donc toujours, à preuve que cette petite veuve ne trouve pas à se remarier. Les jeunes gens du pays, qui sont las de la guerre de châteaux, craignent d'épouser la guerre. Vous n'auriez donc pour concurrent, en ce moment-ci, que, peut-être, M. Guillaume d'Ars, qui est un modéré et qui est assidu à la Motte; mais, à Bourges, on saura le retenir dans d'autres liens. C'est un jeune beau-fils facile à distraire. D'ailleurs, avec une veuve qui doit s'ennuyer de la solitude, il faudrait, fait comme vous l'êtes, n'avoir pas grande habileté pour échouer. Je vois, à votre sourire, que vous n'êtes pas inquiet du succès.
– Eh bien, j'avoue que vous dites la vérité, répondit d'Alvimar, qui se rappela vivement, tout à coup, l'émotion que la jeune dame n'avait pas réussi à lui cacher, et sur laquelle il avait bien pu se méprendre. Je crois que, si je le voulais…
– Il faut le vouloir… Pensez-y, répondit M. Poulain en se levant. Si vous êtes décidé, j'en écrirai confidentiellement à des gens qui peuvent beaucoup.
Il voulait parler des jésuites, qui avaient déjà ébranlé M. de Beuvre en le menaçant d'empêcher sa fille de se remarier. On pouvait rendre à ce gentilhomme sa propre tranquillité, au prix de ce mariage. D'Alvimar comprit à demi-mot, promit au recteur d'y penser sérieusement et de lui rendre réponse le surlendemain, puisque, précisément, il devait passer la journée du lendemain chez madame de Beuvre.
La cloche du château annonçait le repas du marquis. M. d'Alvimar prit congé du prestolet qui lui faisait augurer de meilleures destinées, et il reprit le chemin du manoir.
Il se sentait plus fort et plus gai qu'il lui l'avait été depuis bien des jours, parce qu'il se sentait en communication avec un esprit actif, capable de le soutenir au besoin. Le courage lui revenait. Cette fuite en Berry, cet asile inquiétant chez des ennemis de sa croyance et de ses opinions, et cette sorte d'isolement, qui, deux heures auparavant, se présentaient à sa pensée sous des couleurs sombres, lui souriaient maintenant comme une heureuse aventure.
– Oui, oui, cet homme a raison, pensait-il. Ce mariage me sauvera. Je n'ai qu'à vouloir. Que je tourne la tête à cette petite provinciale, et je pourrai lui avouer ma disgrâce à la cour. Elle se fera un point d'honneur de m'en dédommager. D'ailleurs, s'il faut faire le modéré pendant quelques jours… eh bien, j'essayerai! Allons, courage! mon horizon s'éclaircit, et peut-être que l'astre de ma fortune va enfin sortir de la nuée.
Il leva la tête en se parlant ainsi, et vit, devant lui, sur le pont du préau, l'enfant de la Morisque montant hardiment un des chevaux СКАЧАТЬ