Название: David Copperfield – Tome I
Автор: Чарльз Диккенс
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Peur! répétai-je avec un petit air fanfaron, tout en regardant en face le grand Océan. Moi je n'ai pas peur!
– Ah! la mer est si cruelle; dit Émilie. Je l'ai vue bien cruelle pour quelques-uns de nos hommes. Je l'ai vue mettre en pièces un bateau aussi grand que notre maison.
– J'espère que ce n'était pas la barque où…
– Où mon père a été noyé? dit Émilie. Non ce n'était pas celle- là: je ne l'ai jamais vue, celle-là.
– Et lui, l'avez-vous connu? demandai-je.»
La petite Émilie secoua la tête. «Pas que je me souvienne?»
Quelle coïncidence! Je lui expliquai immédiatement comment je n'avais jamais vu mon père; et comment ma mère et moi nous vivions toujours ensemble parfaitement heureux, ce que nous comptions faire éternellement; et comment le tombeau de mon père était dans le cimetière près de notre maison, à l'ombre d'un arbre sous lequel j'avais souvent été me promener le matin pour entendre chanter les petits oiseaux. Mais il y avait quelques différences entre Émilie et moi, bien que nous fussions tous deux orphelins. Elle avait perdu sa mère avant son père, et personne ne savait où était le tombeau de son père; on savait seulement qu'il reposait quelque part dans la mer profonde.
«Et puis, dit Émilie, tout en cherchant des coquillages et des cailloux, votre père était un monsieur, et votre mère est une dame; et moi, mon père était un pêcheur, ma mère était fille de pêcheur, et mon oncle Dan est un pêcheur.
– Dan est monsieur Peggotty, n'est-ce pas? dis-je.
– Mon oncle Dan là-bas, répondit Émilie, tout en m'indiquant le bateau.
– Oui c'est de lui que je parle. Il doit être très-bon, n'est-ce pas?
– Bon? dit Émilie. Si j'étais une dame, je lui donnerais un habit bleu de ciel avec des boutons de diamant, un pantalon de nankin, un gilet de velours rouge, un chapeau à trois cornes, une grosse montre d'or, une pipe en argent, et un coffre tout plein d'argent.»
Je dis que je ne doutais pas que M. Peggotty ne méritât tous ces trésors. Je dois avouer que j'avais quelque peine à me le représenter parfaitement à son aise dans l'accoutrement que rêvait pour lui sa petite nièce, exaltée par sa reconnaissance, et que j'avais en particulier des doutes sur l'utilité du chapeau à trois cornes; mais je gardai ces réflexions pour moi.
La petite Émilie levait les yeux tout en énumérant ces divers articles, comme si elle contemplait une glorieuse vision. Nous nous remîmes à chercher des pierres et des coquillages.
«Vous aimeriez à être une dame?» lui dis-je.
Émilie me regarda, et se mit à rire en me disant oui.
«Je l'aimerais beaucoup. Alors nous serions tous des messieurs et des dames. Moi, et mon oncle, et Ham, et mistress Gummidge. Alors nous ne nous inquiéterions pas du mauvais temps. Pas pour nous, du moins. Cela nous ferait seulement de la peine pour les pauvres pêcheurs, et nous leur donnerions de l'argent quand il leur arriverait quelque malheur.»
Cela me parut un tableau très-satisfaisant et par conséquent extrêmement naturel. J'exprimai le plaisir que j'avais à y songer, et la petite Émilie se sentit le courage de me dire, bien timidement:
«N'avez-vous pas peur de la mer, maintenant?»
La mer était assez calme pour me rassurer, mais je suis bien sûr que si une vague d'une dimension suffisante s'était avancée vers moi, j'aurais immédiatement pris la fuite, poursuivi par le souvenir de tous ses parents noyés. Cependant je répondis: «Non,» et j'ajoutai: «Mais ni vous non plus, bien que vous prétendiez avoir peur,» car elle marchait beaucoup trop près du bord d'une vieille jetée en bois sur laquelle nous nous étions aventurés, et j'avais vraiment peur qu'elle ne tombât.
«Oh! ce n'est pas de cela que j'ai peur, dit la petite Émilie, mais c'est quand la mer gronde, que ça me réveille, et que je tremble en pensant à l'oncle Dan et à Ham; il me semble que je les entends crier au secours. Voilà pourquoi j'aimerais tant à être une dame. Mais ici je n'ai pas peur. Pas du tout. Regardez-moi!»
Elle s'élança, et se mit à courir le long d'une grosse poutre qui partait de l'endroit où nous étions et dominait la mer d'assez haut, sans la moindre barrière. Cet incident se grava tellement dans ma mémoire, que, si j'étais peintre, je pourrais encore aujourd'hui le reproduire exactement: je pourrais montrer la petite Émilie s'avançant à la mort (je le croyais alors), les yeux fixés au loin sur la mer, avec une expression que je n'ai jamais oubliée.
Elle revint bientôt près de moi, agile, hardie et voltigeante, et je ris de mes craintes, aussi bien que du cri que j'avais poussé, cri inutile en tout cas, puisqu'il n'y avait personne près de là. Mais depuis, je me suis souvent demandé s'il n'était pas possible (il y a tant de choses que nous ne savons pas), que, dans cette témérité subite de l'enfant, et dans son regard de défi jeté aux vagues lointaines, il y eût comme un instinct de pitié filiale qui lui faisait trouver du plaisir à se sentir aussi en danger, à revendiquer sa part du trépas subi par son père, un souhait vague et rapide d'aller ce jour-là le rejoindre dans la mort. Depuis ce temps-là il m'est arrivé de me demander à moi-même: «Je suppose que ce fût là une révélation soudaine de la vie qu'elle allait avoir à traverser, et que, dans mon âme d'enfant, j'eusse été capable de la comprendre; je suppose que sa vie eût dépendu de moi, d'un mouvement de ma main, aurais-je bien fait de la lui tendre pour la sauver de sa chute? Il m'est arrivé, (je ne dis pas que cette réflexion ait duré longtemps), de me demander s'il n'aurait pas alors mieux valu pour la petite Émilie que les eaux se refermassent sur elle, ce matin-là, devant moi, et de me répondre oui, cela aurait mieux valu.» Mais n'anticipons pas: il sera toujours temps d'en parler. N'importe, puisque c'est dit, je le laisse.
Nous errâmes longtemps ensemble, tout en nous remplissant les poches d'un tas de choses que nous trouvions très-curieuses; ensuite nous remîmes soigneusement dans l'eau des étoiles de mer. Je ne connais pas assez les habitudes de cette race d'êtres pour être bien sûr qu'ils nous aient été reconnaissants de cette attention. Puis enfin nous reprîmes le chemin de la demeure de M. Peggotty. Nous nous arrêtâmes près du réservoir aux homards pour échanger un innocent baiser, et nous rentrâmes pour déjeuner, tout rouges de santé et de plaisir.
«Comme deux jeunes grives,» dit M. Peggotty. Ce que je pris pour un compliment.
Il va sans dire que j'étais amoureux de la petite Émilie. Certainement j'aimais cette enfant, avec toute la sincérité et toute la tendresse qu'on peut éprouver plus tard dans la vie; je l'aimais avec plus de pureté et de désintéressement qu'il n'y en a dans l'amour de la jeunesse, quelque grand et quelque élevé qu'il soit. Mon imagination créait autour de cette petite créature aux yeux bleus quelque chose d'idéal qui faisait d'elle un vrai petit ange. Si par une matinée au ciel d'azur, je l'avais vue déployer ses ailes et s'envoler en ma présence, je crois que j'aurais regardé cela comme un événement auquel je devais m'attendre.
Nous nous promenions pendant des heures entières en nous donnant la main près de cette plaine monotone de Yarmouth. Les jours s'écoulaient gaiement pour nous, comme si le temps n'avait pas lui-même grandi, et qu'il fût encore un enfant, toujours prêt à jouer comme nous. Je disais à Émilie que je l'adorais, et que si elle ne m'aimait pas, il ne me restait plus qu'à me passer une épée à travers le corps. Elle me répondait qu'elle m'adorait, elle aussi, et je suis sûr que c'était vrai.
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