Название: Les grandes espérances
Автор: Чарльз Диккенс
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Je ne sais pas, dis-je à voix basse.
Je ne sais pas! reprit ma sœur, je ne le ferai plus jamais! Je connais cela. Je t'abandonnerai un de ces jours, moi qui n'ai jamais quitté ce tablier depuis que tu es au monde. C'est déjà bien assez d'être la femme d'un forgeron, et d'un Gargery encore, sans être ta mère!»
Mes pensées s'écartèrent du sujet dont il était question, car en regardant le feu d'un air inconsolable, je vis paraître, dans les charbons vengeurs, le fugitif des marais, avec sa jambe ferrée, le mystérieux jeune homme, la lime, les vivres, et le terrible engagement que j'avais pris de commettre un larcin sous ce toit hospitalier.
«Ah! dit Mrs Joe en remettant Tickler à sa place. Au cimetière, c'est bien cela! C'est bien à vous qu'il appartient de parler de cimetière. Pas un de nous, entre parenthèses, n'avait soufflé un mot de cela. Vous pouvez vous en vanter tous les deux, vous m'y conduirez un de ces jours, au cimetière. Ah! quel j… o… l… i c… o… u… p… l… e vous ferez sans moi!»
Pendant qu'elle s'occupait à préparer le thé, Joe tournait sur moi des yeux interrogateurs, comme pour me demander si je prévoyais quelle sorte de couple nous pourrions bien faire à nous deux, si le malheur prédit arrivait. Puis il passa sa main gauche sur ses favoris, en suivant de ses gros yeux bleus les mouvements de Mrs Joe, comme il faisait toujours par les temps d'orage.
Ma sœur avait adopté un moyen de nous préparer nos tartines de beurre, qui ne variait jamais. Elle appuyait d'abord vigoureusement et longuement avec sa main gauche, le pain sur la poitrine, où il ne manquait pas de ramasser sur la bavette, tantôt une épingle, tantôt une aiguille, qui se retrouvait bientôt dans la bouche de l'un de nous. Elle prenait ensuite un peu (très peu de beurre) à la pointe d'un couteau, et l'étalait sur le pain de la même manière qu'un apothicaire prépare un emplâtre, se servant des deux côtés du couteau avec dextérité, et ayant soin de ramasser ce qui dépassait le bord de la croûte. Puis elle donnait le dernier coup de couteau sur le bord de l'emplâtre, et elle tranchait une épaisse tartine de pain que, finalement, elle séparait en deux moitiés, l'une pour Joe, l'autre pour moi.
Ce jour-là, j'avais faim, et malgré cela je n'osai pas manger ma tartine. Je sentais que j'avais à réserver quelque chose pour ma terrible connaissance et son allié, plus terrible encore, le jeune homme mystérieux. Je savais que Mrs Joe dirigeait sa maison avec la plus stricte économie, et que mes recherches dans le garde-manger pourraient bien être infructueuses. Je me décidai donc à cacher ma tartine dans l'une des jambes de mon pantalon.
L'effort de résolution nécessaire à l'accomplissement de ce projet me paraissait terrible. Il produisait sur mon imagination le même effet que si j'eusse dû me précipiter d'une haute maison, ou dans une eau très profonde, et il me devenait d'autant plus difficile de m'y résoudre finalement, que Joe ignorait tout. Dans l'espèce de franc-maçonnerie, déjà mentionnée par moi, qui nous unissait comme compagnons des mêmes souffrances, et dans la camaraderie bienveillante de Joe pour moi, nous avions coutume de comparer nos tartines, à mesure que nous y faisions des brèches, en les exposant à notre mutuelle admiration, comme pour stimuler notre ardeur. Ce soir-là, Joe m'invita plusieurs fois à notre lutte amicale en me montrant les progrès que faisait la brèche ouverte dans sa tartine; mais, chaque fois, il me trouva avec ma tasse de thé sur un genou et ma tartine intacte sur l'autre. Enfin, je considérai que le sacrifice était inévitable, je devais le faire de la manière la moins extraordinaire et la plus compatible avec les circonstances. Profitant donc d'un moment où Joe avait les yeux tournés, je fourrai ma tartine dans une des jambes de mon pantalon.
Joe paraissait évidemment mal à l'aise de ce qu'il supposait être un manque d'appétit, et il mordait tout pensif à même sa tartine des bouchées qu'il semblait avaler sans aucun plaisir. Il les tournait et retournait dans sa bouche plus longtemps que de coutume, et finissait par les avaler comme des pilules. Il allait saisir encore une fois, avec ses dents, le pain beurré et avait déjà ouvert une bouche d'une dimension fort raisonnable, lorsque, ses yeux tombant sur moi, il s'aperçut que ma tartine avait disparu.
L'étonnement et la consternation avec lesquels Joe avait arrêté le pain sur le seuil de sa bouche et me regardait, étaient trop évidents pour échapper à l'observation de ma sœur.
Qu'y a-t-il encore? dit-elle en posant sa tasse sur la table.
– Oh! oh! murmurait Joe, en secouant la tête d'un air de sérieuse remontrance, mon petit Pip, mon camarade, tu te feras du mal, ça ne passera pas, tu n'as pas pu la mâcher, mon petit Pip, mon ami!
– Qu'est-ce qu'il y a encore, voyons? répéta ma sœur avec plus d'aigreur que la première fois.
– Si tu peux en faire remonter quelque parcelle, en toussant, mon petit Pip, fais-le, mon ami! dit Joe. Certainement chacun mange comme il l'entend, mais encore, ta santé!.. ta santé!..»
À ce moment, ma sœur furieuse avait attrapé Joe par ses deux favoris et lui cognait la tête contre le mur, pendant qu'assis dans mon coin je les considérais d'un air vraiment piteux.
«Maintenant, peut-être vas-tu me dire ce qu'il y a, gros niais que tu es!» dit ma sœur hors d'haleine.
Joe promena sur elle un regard désespéré, prit une bouchée désespérée, puis il me regarda de nouveau:
«Tu sais, mon petit Pip, dit-il d'un ton solennel et confidentiel, comme si nous eussions été seuls, et en logeant sa dernière bouchée dans sa joue, tu sais que toi et moi sommes bons amis, et que je serais le dernier à faire aucun mauvais rapport contre toi; mais faire un pareil coup…»
Il éloigna sa chaise pour regarder le plancher entre lui et moi; puis il reprit:
«Avaler un pareil morceau d'un seul coup!
– Il a avalé tout son pain, n'est-ce pas? s'écria ma sœur.
– Tu sais, mon petit Pip, reprit Joe, en me regardant, sans faire la moindre attention à Mrs Joe, et ayant toujours sous la joue sa dernière bouchée, que j'ai avalé aussi, moi qui te parle… et souvent encore… quand j'avais ton âge, et j'ai vu bien des avaleurs, mais je n'ai jamais vu avaler comme toi, mon petit Pip, et je m'étonne que tu n'en sois pas mort; c'est par une permission du bon Dieu!»
Ma sœur s'élança sur moi, me prit par les cheveux et m'adressa ces paroles terribles:
«Arrive, mauvais garnement, qu'on te soigne!»
Quelque brute médicale avait, à cette époque, remis en vogue l'eau de goudron, comme un remède très efficace, et Mrs Joe en avait toujours dans son armoire une certaine provision, croyant qu'elle avait d'autant plus de vertu qu'elle était plus dégoûtante. Dans de meilleurs temps, un peu de cet élixir m'avait été administré comme un excellent fortifiant; je craignis donc ce qui allait arriver, pressentant une nouvelle entrave à mes projets de sortie. Ce soir-là, l'urgence du cas demandait au moins une pinte de cette drogue. Mrs Joe me l'introduisit dans la gorge, pour mon plus grand bien, en me tenant la tête sous son bras, comme un tire-bottes tient une chaussure. Joe en fut quitte pour une demi-pinte, qu'il dut avaler, bon gré, mal gré, pendant qu'il était assis, mâchant tranquillement et méditant devant le feu, parce qu'il avait peut-être eu mal au cœur. Jugeant d'après moi, je puis dire qu'il y aurait eu mal après, s'il n'y avait eu mal avant.
La conscience est une chose terrible, quand elle accuse, soit un homme, soit un enfant; mais quand ce secret fardeau se trouve lié à un autre fardeau, enfoui dans les jambes d'un pantalon, c'est (je puis l'avouer) une grande punition. СКАЧАТЬ