Название: Corneille expliqué aux enfants
Автор: Faguet Émile
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Resté seul contre trois, mais, en cette aventure,
Tous trois étant blessés, et lui seul sans blessure,
Trop faible pour eux tous, trop fort pour chacun d'eux,
Il sait bien se tirer d'un pas si dangereux;
Il fuit pour mieux combattre, et cette prompte ruse
Divise adroitement trois frères qu'elle abuse.
Chacun le suit d'un pas ou plus ou moins pressé,
Selon qu'il se rencontre ou plus ou moins blessé;
Leur ardeur est égale à poursuivre sa fuite;
Mais leurs coups inégaux séparent leur poursuite.
Horace, les voyant l'un de l'autre écartés,
Se retourne, et déjà les croit demi domptés:
Il attend le premier, et c'était votre gendre5.
L'autre, tout indigné qu'il ait osé l'attendre,
En vain en l'attaquant fait paraître un grand cœur;
Le sang qu'il a perdu ralentit sa vigueur.
Albe à son tour commence à craindre un sort contraire;
Elle crie au second qu'il secoure son frère:
Il se hâte et s'épuise en efforts superflus;
Il trouve en les joignant que son frère n'est plus.
Encor tout hors d'haleine, il prend pourtant sa place,
Et redouble bientôt la victoire d'Horace:
Son courage sans force est un débile appui;
Voulant venger son frère, il tombe auprès de lui.
L'air résonne des cris qu'au ciel chacun envoie;
Albe en jette d'angoisse, et les Romains de joie.
Comme notre héros se voit près d'achever,
C'est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver:
«J'en viens d'immoler deux aux mânes de mes frères;
Rome aura le dernier de mes trois adversaires:
C'est à ses intérêts que je vais l'immoler»,
Dit-il; et tout d'un temps on le voit y voler.
La victoire entre eux deux n'était pas incertaine;
L'Albain percé de coups ne se traînait qu'à peine,
Et, comme une victime aux marches de l'autel,
Il semblait présenter sa gorge au coup mortel:
Aussi le reçoit-il, peu s'en faut, sans défense,
Et son trépas de Rome établit la puissance.
Rome est victorieuse, Albe est sujette. Le vieil Horace éclate en transports de joie et d'orgueil.
O mon fils! ô ma joie! ô l'honneur de nos jours!
O d'un Etat penchant l'inespéré secours!
Vertu digne de Rome, et sang digne d'Horace!
Appui de ton pays, et gloire de ta race!
Quand pourrai-je étouffer dans tes embrassements
L'erreur dont j'ai formé de si faux sentiments?
Quand pourra mon amour baigner avec tendresse
Ton front victorieux de larmes d'allégresse?
Hélas! il n'est pas au bout de ses peines.
Camille, sa fille, a perdu son fiancé, tué par son frère. Quand celui-ci revient vainqueur, elle pleure devant lui cette victoire funeste, et peu à peu en vient à l'insulter. Le jeune Horace, tout chaud encore de la bataille et du triomphe, s'emporte, perd l'esprit, et frappe mortellement sa sœur.
Voilà le vieil Horace, en un seul jour, privé de trois de ses enfants par suite de la guerre qu'a faite sa patrie. Eh bien, il ne la maudit pas pour cela, il ne s'en plaint pas, il sait qu'on lui doit tout; il l'aime encore.
Son dernier fils passe en jugement pour avoir tué sa sœur; il le défend devant le roi et les Romains.
Savez-vous comme il le défend? Il ne supplie pas le roi de lui conserver ce dernier enfant, ce soutien de sa vieillesse. Il le conjure de le conserver à Rome, qui peut avoir encore besoin de ce bras et de ce sang. Il dit au roi:
Un premier mouvement ne fut jamais un crime;
Et la louange est due, au lieu du châtiment,
Quand la vertu produit ce premier mouvement.
Aimer nos ennemis avec idolâtrie,
De rage en leur trépas maudire la patrie,
Souhaiter à l'Etat un malheur infini,
C'est ce qu'on nomme crime, et ce qu'il a puni.
Le seul amour de Rome a sa main animée;
Il serait innocent s'il l'avait moins aimée.
Qu'ai-je dit, Sire? il l'est, et ce bras paternel
L'aurait déjà puni s'il était criminel;
J'aurais su mieux user de l'entière puissance
Que me donnent sur lui les droits de la naissance;
J'aime trop l'honneur, Sire, et ne suis point de rang
A souffrir ni d'affront ni de crime en mon sang.
C'est dont je ne veux point de témoin que Valère6;
Il a vu quel accueil lui gardait ma colère,
Lorsqu'ignorant encor la moitié du combat,
Je croyais que sa fuite avait trahi l'Etat.
Qui le fait se charger des soins de ma famille?
Qui le fait, malgré moi, vouloir venger ma fille?
Et par quelle raison, dans son juste trépas,
Prend-il un intérêt qu'un père ne prend pas?
On craint qu'après sa sœur il n'en maltraite d'autres!
Sire, nous n'avons part qu'à la honte des nôtres.
Et de quelque façon qu'un autre puisse agir,
Qui ne nous touche point ne nous fait point rougir.
Et puis le crime ne disparaît-il pas dans la grandeur du service rendu à la Patrie? La Patrie peut-elle permettre qu'on la prive ainsi de ses défenseurs?
Romains, souffrirez-vous qu'on vous immole un homme
Sans qui Rome aujourd'hui cesserait d'être Rome,
Et qu'un Romain s'efforce à tacher le renom
D'un guerrier à qui tous doivent un si beau nom?
Dis, Valère, dis-nous, si tu veux qu'il périsse,
Où tu penses choisir un lieu pour son supplice:
Sera-ce entre ces murs que mille et mille voix
Font résonner encor du bruit de ses exploits?
Sera-ce hors des murs, au milieu de ces places
Qu'on voit fumer encor du sang des Curiaces,
Entre leurs trois tombeaux, et dans ce champ d'honneur
Témoin de sa vaillance et de notre bonheur?
Tu ne saurais cacher sa peine à sa victoire;
Dans les murs, hors des murs, tout parle de sa gloire,
Tout s'oppose à l'effort de ton injuste amour,
Qui СКАЧАТЬ
5
Ce récit s'adresse au vieil Horace.
6
Celui qui accuse le jeune Horace, parce qu'il aimait Camille qu'Horace a tué.