Voyage musical en Allemagne et en Italie, I. Hector Berlioz
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СКАЧАТЬ la bonne heure, je respire ici! Je sens quelque chose dans l'air qui m'annonce une ville littéraire, une ville artiste! Son aspect répond parfaitement à l'idée que je m'en étais faite, elle est calme, lumineuse, aérée, pleine de paix et de rêverie; des alentours charmants, de belles eaux, des collines ombreuses, de riantes vallées. Comme le cœur me bat en la parcourant! Quoi! c'est là le pavillon de Goëthe! Voilà celui où feu le grand-duc aimait à venir prendre part aux doctes entretiens de Schiller, de Herder, de Wieland! Cette inscription latine fut tracée sur ce rocher par l'auteur de Faust! Est-il possible? ces deux petites fenêtres donnent de l'air à la pauvre mansarde qu'habita Schiller! C'est dans cet humble réduit que le grand poète de tous les nobles enthousiasmes écrivit Don Carlos, Marie-Stuart, les Brigands, Wallenstein! C'est là qu'il est mort comme un simple étudiant! Ah! je n'aime pas Goëthe d'avoir souffert cela! lui qui était riche, ministre d'Etat… ne pouvait-il changer le sort de son ami le poète?.. ou cette illustre amitié n'eut-elle rien de réel!.. Je crains qu'elle ait été vraie du côté de Schiller seulement! Goëthe s'aimait trop; il chérissait trop aussi son damné fils Méphisto; il a vécu trop vieux; il avait trop peur de la mort.

      Schiller! Schiller! tu méritais un ami moins humain! Mes yeux ne peuvent quitter ces étroites fenêtres, cette obscure maison, ce toit misérable et noir; il est une heure du matin, la lune brille, le froid est intense. Tout se tait, ils sont tous morts… Peu à peu ma poitrine se gonfle, mon corps entre en vibrations; je tremble; écrasé de respect, de regrets et de ces affections infinies que le génie à travers la tombe inflige quelquefois à d'obscurs survivants, je m'agenouille auprès de l'humble seuil, et souffrant, admirant, aimant, adorant, je répète: Schiller!.. Schiller!.. Schiller!..

      Que te dire maintenant, cher, du véritable sujet de ma lettre? j'en suis si loin. Attends, je vais pour rentrer dans la prose et me calmer un peu, penser à un autre habitant de Weimar, à un homme d'un grand talent, qui faisait des Messes, de beaux Septuors, et jouait sévèrement du piano, à Hummel… C'est fait, me voilà raisonnable!

      Chélard, en sa qualité d'artiste noble et digne d'abord, de Français et d'ancien ami ensuite, a tout fait pour m'aider à parvenir à mon but. L'intendant, M. le baron de Spiegel, entrant dans ses vues bienveillantes, a mis à ma disposition le théâtre et l'orchestre; je ne dis pas les chœurs, car il n'aurait probablement pas osé m'en parler. Je les avais entendus en arrivant, dans le Vampire de Marschner: on ne se figure pas une telle collection de malheureux, braillant hors du ton et de la mesure. Je ne connaissais rien de pareil. Et les cantatrices! oh! les pauvres femmes! Par galanterie, n'en parlons pas. Mais il y a là une basse qui remplissait le rôle du Vampire; tu devines que je veux parler de Genast! N'est-ce pas que c'est un artiste dans toute la force du terme?.. Il est surtout tragédien; et j'ai bien regretté de ne pouvoir rester plus longtemps à Weimar, pour lui voir jouer le rôle de Lear, dans la tragédie de Shakspeare, qu'on montait au moment de mon départ.

      La chapelle est bien composée; mais pour me faire fête, Chélard et Lobe se mirent en quête des instruments à cordes qu'on pouvait ajouter à ceux qu'elle possède, et ils me présentèrent un actif de 22 violons, 7 altos, 7 violoncelles et 7 contrebasses. Les instruments à vent étaient au grand complet; j'ai remarqué parmi eux une excellente première clarinette et une trompette à cylindres (Sakce) d'une force extraordinaire. Il n'y avait pas de cor anglais: – j'ai dû transposer sa partie pour une clarinette; pas de harpe: – un très-aimable jeune homme, M. Montag, pianiste de mérite et musicien parfait, a bien voulu arranger les deux parties de harpe pour un seul piano et les jouer lui-même; pas d'ophicléïde: – on l'a remplacé par un bombardon assez fort. Plus rien alors ne manquait, et nous avons commencé les répétitions. Il faut te dire que j'avais trouvé à Weimar, chez les musiciens, une passion très-développée pour mon ouverture des Francs-Juges qu'ils avaient déjà exécutée quelquefois. Ils étaient donc on ne peut mieux disposés; aussi, ai-je été réellement heureux, contre l'ordinaire, pendant les études de la Symphonie fantastique que j'avais encore choisie, d'après leur désir. C'est une joie extrême, mais bien rare, d'être ainsi compris tout de suite. Je me souviens de l'impression que produisirent sur la chapelle et sur quelques amateurs assistant à la répétition, le premier morceau (Rêveries-Passions), et le troisième (Scène aux Champs). Celui-ci surtout semblait, à sa péroraison, avoir oppressé toutes les poitrines, et, après le dernier roulement du tonnerre, à la fin du solo du pâtre abandonné, quand l'orchestre rentrant semble exhaler un profond soupir et s'éteindre, j'entendis mes voisins soupirer aussi sympathiquement, en se récriant, etc., etc. Chélard, lui, se déclara partisan de la Marche au supplice avant tout. Quant au public, il parut préférer le Bal et la Scène aux Champs. L'ouverture des Francs-Juges fut accueillie comme une ancienne connaissance qu'on est bien aise de revoir. Bon, me voilà encore sur le point de manquer de modestie; et, si je te parle de la salle pleine, des longs applaudissements, des rappels, des chambellans qui viennent complimenter le compositeur de la part de LL. AA., des nouveaux amis qui l'attendent à la sortie du théâtre pour l'embrasser et qui le gardent bon gré mal gré jusqu'à trois heures du matin; si je te décris enfin un succès, on me trouvera fort inconvenant, fort ridicule, fort… Tiens, malgré ma philosophie, cela m'épouvante, et je m'arrête là. Adieu.

      IV

      A M. STEPHEN HELLER

Leipzig

      Vous avez ri sans doute, mon cher Heller, de l'erreur commise dans ma dernière lettre, au sujet de la grande-duchesse Stéphanie que j'ai appelée Amélie? Eh bien! il faut vous l'avouer, je ne me désole pas trop des reproches d'ignorance et de légèreté qu'elle va m'attirer. Si j'avais appelé François ou Georges l'empereur Napoléon, à la bonne heure! mais il est bien permis, à la rigueur, de changer le nom, tout gracieux qu'il soit, de la souveraine de Manheim. D'ailleurs Shakspeare l'a dit:

      What's in a name? that wich we call a rose

      By any other name would smell as sweet!

      «Qu'y a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons une rose n'exhalerait pas, sous un autre nom, de moins doux parfums.»

      En tous cas, je demande humblement pardon à S. A., et, si elle me l'accorde, comme j'espère, je me moquerai bien de vos moqueries.

      En quittant Weimar, la ville musicale que je pouvais le plus aisément visiter était Leipzig. J'hésitais pourtant à m'y présenter, malgré la dictature dont y était investi Félix Mendelssohn, et les relations amicales qui nous lièrent ensemble, à Rome, en 1831. Nous avons suivi dans l'art, depuis cette époque, deux lignes si divergentes, que je craignais, j'en conviens, de ne pas trouver en lui de bien vives sympathies. Chélard, qui le connaît, me fit rougir de mon doute, et je lui écrivis. Sa réponse ne se fit pas attendre; la voici:

      «Mon cher Berlioz, je vous remercie bien de cœur de votre bonne lettre et de ce que vous avez encore conservé le souvenir de notre amitié romaine! Moi, je ne l'oublierai de ma vie, et je me réjouis de pouvoir vous le dire bientôt de vive voix. Tout ce que je puis faire pour rendre votre séjour à Leipzig heureux et agréable, je le ferai comme un plaisir et comme un devoir. Je crois pouvoir vous assurer que vous serez content de la ville, c'est-à-dire des musiciens et du public. Je n'ai pas voulu vous écrire sans avoir consulté plusieurs personnes qui connaissent Leipzig mieux que moi, et toutes m'ont confirmé dans l'opinion où je suis que vous y ferez un excellent concert. Les frais de l'orchestre, de la salle, des annonces, etc., sont de 110 écus: la recette peut s'élever de 6 à 800 écus. Vous devrez être ici et arrêter le programme et tout ce qui est nécessaire au moins dix jours d'avance. En outre, les directeurs de la Société des Concerts d'abonnement me chargent de vous demander si vous voulez faire exécuter un de vos ouvrages dans le concert qui sera donné le 22 février au bénéfice des pauvres de la ville. J'espère que vous accepterez leur proposition après le concert que vous aurez donné vous-même. Je vous engage donc à venir ici aussitôt que vous pourrez quitter Weimar. Je me réjouis de pouvoir vous serrer la main et vous dire: «Willkommen» СКАЧАТЬ