Название: Voyage musical en Allemagne et en Italie, I
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Ah! vous n'aimez pas Gluck! lui dis-je.
– Comment! Gluck!
– Hélas! oui, mon cher, ce morceau est de lui et non point de Bellini, ainsi que vous le pensiez. Vous voyez que je suis de votre opinion… plus que vous-même!
Il ne prononçait jamais le nom de Sébastien Bach sans y ajouter ironiquement «votre petit élève!» Enfin, c'était un vrai porc-épic, dès qu'on parlait de musique; on ne savait par quel bout le prendre pour ne pas se blesser. Doué d'un excellent caractère, d'une humeur douce et charmante, il supportait aisément la contradiction sur tout le reste, et j'abusais à mon tour de sa tolérance dans les discussions philosophiques et religieuses que nous élevions quelquefois.
Un soir, nous explorions ensemble les Thermes de Caracalla, en débattant la question du mérite ou du démérite des actions humaines et de leur rémunération pendant cette vie. Comme je répondais par je ne sais quelle énormité à l'énoncé de son opinion toute religieuse et orthodoxe, le pied vint à lui manquer, et le voilà roulant, avec force contusions et meurtrissures, dans les ruines d'un très-raide escalier. «Admirez la justice divine, lui dis-je en l'aidant à se relever, c'est moi qui blasphème, et c'est vous qui tombez!» Cette impiété, accompagnée de grands éclats de rire, lui parut trop forte apparemment, et depuis lors les discussions religieuses furent toujours écartées. C'est à Rome que j'appréciai pour la première fois ce délicat et fin tissu musical, diapré de si riches couleurs, qui a nom: Ouverture de la grotte de Fingal. Mendelssohn venait de le terminer, et il m'en donna une idée assez exacte; telle est sa prodigieuse habileté à rendre sur le piano les partitions les plus compliquées. Souvent, aux jours accablants de sirocco, j'allais l'interrompre dans ses travaux (car c'est un producteur infatigable); il quittait alors la plume de très-bonne grâce, et, me voyant tout gonflé de spleen, cherchait à l'adoucir en me jouant ce que je lui désignais parmi les œuvres des maîtres que nous aimions tous les deux. Combien de fois, hargneusement couché sur son canapé, j'ai chanté l'air d'Iphigénie en Tauride: D'une image, hélas! trop chérie, qu'il accompagnait, décemment assis devant son piano. Et il s'écriait: «C'est beau cela! c'est beau! je l'entendrais sans me lasser du matin au soir, toujours, toujours!» Et nous recommencions. Il aimait aussi beaucoup à me faire murmurer, avec ma voix ennuyée et dans cette position horizontale, deux ou trois mélodies que j'avais écrites sur des vers de Moore, et qui lui plaisaient. Mendelssohn a toujours eu une grande estime pour mes… chansonnettes. Après un mois de ces relations, qui avaient fini par devenir pour moi si pleines d'intérêt, Mendelssohn disparut sans me dire adieu, et je ne le revis plus. Sa lettre, que je viens de vous citer, dut en conséquence me causer et me causa réellement une très-agréable surprise. Elle semblait révéler en lui une bonté d'ame, une aménité de mœurs que je ne lui avais pas connues: je ne tardai pas à reconnaître, en arrivant à Leipzig, que ces qualités excellentes étaient les siennes en effet. Il n'a rien perdu toutefois de l'inflexible rigidité de ses principes d'art, mais il ne cherche point à les imposer violemment, et il se borne, dans l'exercice de ses fonctions de maître de chapelle, à mettre en évidence ce qu'il juge beau, et à laisser dans l'ombre ce qui lui paraît mauvais ou d'un pernicieux exemple. Seulement il aime toujours un peu trop les morts.
La société des concerts d'abonnement dont il m'avait parlé est fort nombreuse et on ne peut mieux composée; elle possède une magnifique académie de chant, un orchestre excellent et une salle, celle de Gewanthause, d'une sonorité parfaite. C'était dans ce vaste et beau local que je devais donner mon concert. J'allai le visiter en descendant de voiture; et je tombai précisément au milieu de la répétition générale de l'œuvre nouvelle de Mendelssohn (Valpurgis Nacht). Je fus réellement émerveillé de prime abord du beau timbre des voix, de l'intelligence des chanteurs, de la précision et de la verve de l'orchestre, et surtout de la splendeur de la composition. J'incline fort à regarder cette espèce d'oratorio (la Nuit du Sabbat) comme ce que Mendelssohn a produit de plus achevé jusqu'à ce jour. Le poème est de Goëthe, et n'a rien de commun avec la scène du sabbat de Faust. Il s'agit des assemblées nocturnes que tenait sur les montagnes, aux premiers temps du christianisme, une secte religieuse fidèle aux anciens usages, alors même que les sacrifices sur les haut-lieux eurent été interdits. Elle avait coutume, pendant les nuits destinées à l'œuvre sainte, de placer aux avenues de la montagne, et en grand nombre, des sentinelles armées, couvertes de déguisements étranges. A un signal convenu, et quand le prêtre montant à l'autel entonnait l'hymne sacré, cette troupe, d'aspect diabolique, agitant d'un air terrible ses fourches et ses flambeaux, faisait entendre toutes sortes de bruits et de cris épouvantables, pour couvrir la voix du chœur religieux et effrayer les profanes qui eussent été tentés d'interrompre la cérémonie. C'est de là sans doute qu'est venu l'usage dans la langue française d'employer le mot sabbat comme synonyme de grand bruit nocturne. Il faut entendre la musique de Mendelssohn pour avoir une idée des ressources variées que ce poème offrait à un habile compositeur. Il en a tiré un parti admirable. Sa partition est d'une clarté parfaite, malgré sa complexité; les effets de voix et d'instruments s'y croisent dans tous les sens, se contrarient, se heurtent, avec un désordre apparent qui est le comble de l'art. Je citerai surtout, comme des choses magnifiques en deux genres opposés, le morceau mystérieux du placement des sentinelles, et le chœur final, où la voix du prêtre s'élève par intervalles, calme et pieuse, au-dessus du fracas infernal de la troupe des faux démons et sorciers. On ne sait ce qu'il faut le plus louer dans ce final, ou de l'orchestre ou du chœur, ou du mouvement tourbillonnant de l'ensemble! C'est un chef-d'œuvre!
Au moment où Mendelssohn, plein de joie de l'avoir produit, descendait du pupitre, je m'avançai tout ravi de l'avoir entendu. Le moment ne pouvait être mieux choisi pour une pareille rencontre; et pourtant, après les premiers mots échangés, la même pensée triste nous frappa tous les deux simultanément:
– Comment! il y a douze ans! douze ans! que nous avons rêvé ensemble dans la plaine de Rome!
– Oui, et dans les thermes de Caracalla!
– Oh! toujours moqueur! toujours prêt à rire de moi!
– Non, non, je ne raille plus guère; c'était pour éprouver votre mémoire et voir si vous m'aviez pardonné mes impiétés. Je raille si peu, que, dès notre première entrevue, je vais vous prier très-sérieusement de me faire un cadeau auquel j'attache le plus grand prix.
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