Название: Voyage musical en Allemagne et en Italie, I
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Cependant après deux séances encore, les trois chœurs étaient appris, et le final, avec l'appui de l'orchestre, eût, sans aucun doute, parfaitement marché, si un chanteur du théâtre, qui depuis plusieurs jours se récriait sur les difficultés du rôle du père Laurence dont on l'avait chargé, ne fût venu démolir tout notre édifice harmonique élevé à si grand'peine.
J'avais déjà remarqué aux répétitions au piano, que ce Monsieur (j'ai oublié son nom), appartenait à la classe nombreuse des musiciens qui ne savent pas la musique; il comptait mal ses pauses, il n'entrait pas à temps, il se trompait d'intonations, etc.; mais je me disais: peut-être n'a-t-il pas eu le temps d'étudier sa partie, il apprend pour le théâtre des rôles fort difficiles, pourquoi ne viendrait-il pas à bout de celui-là? Je pensais pourtant bien souvent à Alizard, qui a toujours si bien dit cette scène, en regrettant fort qu'il fût à Bruxelles et ne sût pas l'allemand. Mais à la répétition générale, la veille du concert, comme ce Monsieur n'était pas plus avancé, et que, de plus, il grommelait entre ses dents je ne sais quelles imprécations tudesques, chaque fois qu'on était obligé d'arrêter l'orchestre à cause de lui, ou quand Mendelssohn ou moi nous lui chantions ses phrases, la patience m'échappa enfin, et je remerciai la chapelle, en la priant de ne plus s'occuper de mon ouvrage, dont ce rôle de basse rendait évidemment l'exécution impossible. En rentrant, je faisais cette triste réflexion: Deux compositeurs qui ont appliqué pendant de longues années ce que la nature leur a départi d'intelligence et d'imagination à l'étude de leur art, deux cents musiciens, chanteurs et instrumentistes attentifs et capables, se seront fatigués pendant huit jours inutilement et auront dû renoncer à la production de l'œuvre qu'ils avaient adoptée, à cause de l'insuffisance d'un seul homme!! O chanteurs qui ne chantez pas, vous donc aussi vous êtes des dieux!.. L'embarras de la société était grand pour remplacer sur le programme ce final dont la durée est d'une demi-heure; au moyen d'une répétition supplémentaire que l'orchestre et les chœurs voulurent bien faire le matin même du jour du concert, nous en vînmes à bout. L'ouverture du Roi Lear, que l'orchestre possédait bien, et l'offertoire de mon Requiem où le chœur n'a que quelques notes à chanter, furent substitués au fragment de Roméo, et exécutés le soir de la façon la plus satisfaisante. Je dois même ajouter que le morceau du Requiem produisit un effet auquel je ne m'attendais pas, et me valut un suffrage inestimable, celui de Robert Schuman, l'un des compositeurs critiques les plus justement renommés de l'Allemagne. Quelques jours après, ce même offertoire m'attira un éloge sur lequel je devais bien moins compter; voici comment. J'étais retombé malade à Leipzig, et quand, au moment de mon départ, j'en vins à demander ce que je lui devais au médecin qui m'avait soigné, il me répondit: «Ecrivez pour moi, sur ce carré de papier, le thême de votre offertoire, avec votre signature, et je vous serai redevable encore; jamais morceau de musique ne m'a autant frappé!» J'hésitais un peu à m'acquitter des soins du docteur d'une semblable façon, mais il insista, et le hasard m'ayant fourni l'occasion de répondre à son compliment par un autre mieux mérité, croiriez-vous que j'eus la simplicité de ne pas la saisir. J'écrivais en tête de la page: «A M. le docteur Clarus.»
– Carus, me dit-il, vous mettez à mon nom un l de trop.
Je pensai aussitôt: Patientibus carus, sed clarus inter doctos, et n'osai l'écrire…7 Il y a des instants où je suis d'une rare stupidité.
Un compositeur-virtuose tel que vous, mon cher Heller, s'intéresse vivement à tout ce qui se rattache à son art; je trouve donc fort naturel que vous m'ayez adressé tant de questions au sujet des richesses musicales de Leipzig; je répondrai laconiquement à quelques-unes. Vous me demandez si la grande pianiste Madame Clara Schuman a quelque rivale en Allemagne qu'on puisse décemment lui opposer.
– Je ne crois pas.
Vous me priez de vous dire si le sentiment musical des grosses têtes de Leipzig est bon, ou tout au moins porté vers ce que vous et moi nous appelons le beau?
– Je ne veux pas.
S'il est vrai que l'acte de foi de tout ce qui prétend aimer l'art élevé et sérieux soit celui-ci: «Il n'y a pas d'autre Dieu que Bach, et Mendelssohn est son prophète?»
– Je ne dois pas.
Si le théâtre est bien composé, et si le public a grand tort de s'amuser aux petits opéras de Lortzing qu'on y représente souvent?
– Je ne puis pas.
Si j'ai lu ou entendu quelques-unes de ces anciennes messes à cinq voix, avec basse continue, qu'on prise si fort à Leipzig?
– Je ne sais pas.
Adieu, continuez à écrire de beaux caprices comme vos deux derniers, et que Dieu vous garde des fugues à quatre sujets sur un choral.
V
A ERNST
Vous m'aviez bien recommandé, mon cher Ernst, de ne pas m'arrêter dans les petites villes en parcourant l'Allemagne, m'assurant que les capitales seulement m'offriraient les moyens d'exécution nécessaires à mes concerts. D'autres que vous encore, et quelques critiques allemands, m'avaient parlé dans le même sens, et m'ont reproché plus tard de n'avoir pas suivi leur avis, et de n'être pas allé d'abord à Berlin ou à Vienne. Mais vous savez qu'il est toujours plus aisé de donner de bons conseils que de les suivre; et, si je ne me suis pas conformé au plan de voyage qui paraissait à tout le monde le plus raisonnable, c'est que je n'ai pas pu. D'abord, je n'étais pas le maître de choisir le moment de mon voyage. Après avoir fait à Francfort une visite inutile, comme je l'ai dit, je ne pouvais pas revenir sottement à Paris. J'aurais voulu partir pour Munich, mais une lettre de Beerman, m'annonçait que mes concerts ne pouvaient avoir lieu dans cette capitale qu'un mois plus tard, et Meyerbeer, de son côté, m'écrivait que la reprise de plusieurs importants ouvrages allait occuper le théâtre de Berlin assez longtemps pour rendre ma présence en Prusse inutile à cette époque. Je ne devais pourtant pas rester oisif si longtemps; alors, plein du désir de connaître ce que possède d'institutions musicales votre harmonieuse patrie, je formai le projet de tout voir, de tout entendre et de réduire beaucoup mes prétentions chorales et orchestrales, afin de pouvoir aussi me faire entendre presque partout. Je savais bien que dans les villes de second ordre je ne pourrais trouver le luxe musical exigé par la forme et par le style de quelques-unes de mes partitions; mais je réservais celles-là pour la fin du voyage, elles devaient former le forte du crescendo; et je pensais qu'à tout prendre, cette marche lentement progressive ne manquait ni de prudence ni d'un certain intérêt. En tout cas, je n'ai pas eu à me repentir de l'avoir suivie.
Maintenant parlons de Dresde.
J'y étais engagé pour deux concerts, et j'allais trouver là orchestre, chœur, musique d'harmonie, et de plus un célèbre ténor; depuis mon entrée en Allemagne je n'avais point encore vu réunies des richesses pareilles. Je devais en outre rencontrer à Dresde un ami chaud, dévoué, énergique, enthousiaste, Charles Lipinski, que j'avais autrefois connu à Paris. Il m'est impossible de vous dire, mon cher Ernst, quelle ardeur cet admirable et excellent homme mit à me seconder. Sa position de premier maître de concert, et l'estime générale dont jouissent en outre sa personne et son talent, lui donnent une grande autorité sur les artistes de la chapelle, et certes il ne se fit pas faute d'en user. Comme j'avais une promesse de l'intendant, M. le baron de Lütichau, pour deux soirées, le théâtre tout entier était à ma disposition, et il ne s'agissait plus que de veiller à l'excellence de l'exécution. Celle que nous obtînmes fut splendide, et pourtant le programme était formidable; il contenait: l'ouverture du Roi Lear, la Symphonie fantastique, l'Offertoire, СКАЧАТЬ
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