Название: Mensonges
Автор: Paul Bourget
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– « J'entends Cendrette qui gratte, » dit-elle; « la mignonne veut sortir. »
Elle passa de nouveau dans la salle à manger, pour ouvrir la porte de la cour à sa chatte préférée, et ravie sans doute de laisser les deux jeunes gens ensemble; car, Cendrette une fois partie, elle s'attarda longuement à flatter Raton, un de ses autres pensionnaires, en lui disant à très haute voix: « Que tu as d'esprit, mon Raton! Que je t'aime, démonet!.. » C'était un des innombrables termes d'amitié qu'elle avait imaginés pour ses chats, et tandis qu'elle discourait ainsi, elle se disait à elle-même: « S'il est venu tout de suite, c'est qu'il lui reste fidèle; mais quand se déclarera-t-il? Pauvre fillette!.. Ce n'est pas dans ces salons dorés qu'il trouvera une perle comme celle-là. C'est doux, c'est honnête, et joli, et vrai!.. » Puis tout haut: « N'est-ce pas, mon Raton? Tu me comprends, mon fils?.. » Le matou faisait le gros dos, il frottait sa tête contre la jupe de sa maîtresse, il ronronnait voluptueusement, et le monologue intérieur de la mère continuait: « Avec cela qu'il est devenu un beau parti. On peut bien y penser puisqu'on voulait bien de lui avant. Elle n'aura pas à trimer, comme moi avec Offarel. Si ça ne fait pas pitié qu'elle use ses gentilles mirettes à ravauder ce linge… » et elle empilait, par une vieille habitude de ménagère active, les mouchoirs déjà passés en revue, et elle songeait encore: « Sa petite dot! Quelle surprise!.. » À force d'âpre économie, elle avait gratté, sur le traitement modeste de son mari, une quinzaine de mille francs qu'elle plaçait à l'insu du sous-chef de bureau. Elle se souriait à elle-même et tendait l'oreille avec une certaine inquiétude: « Que se disent-ils? » Elle savait que sa fille aimait René, mais elle ignorait les secrètes accordailles qui unissaient les deux jeunes gens. De quel étonnement n'eût-elle pas été remplie si elle s'était doutée que Rosalie avait échangé déjà souvent avec son ami de furtifs, de timides baisers, et qu'à peine sa mère passée dans l'autre chambre, elle venait de lui prendre la main et de lui dire, mettant tout son cœur dans ce gracieux reproche:
– « Et vous avez pu partir hier au soir sans me dire adieu?.. »
– « Mais j'ai été bousculé par Claude, » fit René en rougissant, et serrant les doigts de la jeune fille qui ne fut la dupe ni de cette excuse ni de cette feinte caresse, car elle se déroba à cette pression. Elle secoua la tête avec mélancolie, et, comme ouvrant la bouche avec effort:
– « Non, » dit-elle, « vous n'êtes plus gentil comme autrefois… Depuis combien de temps ne m'avez-vous plus fait de vers? »
– « Vous êtes donc comme les bourgeois qui pensent que les vers s'écrivent à volonté? » répliqua le jeune homme presque durement. Il éprouvait cette irritabilité qui est le signe le plus indiscutable d'un déclin d'amour. L'obligation sentimentale, la pire de toutes, lui apparaissait sous une de ses mille formes. Par un instinct qui les conduit, d'une part à regarder jusqu'au fond de leur malheur, de l'autre à poursuivre avec acharnement leur bonheur passé, les femmes qui se sentent moins aimées formulent ainsi de ces exigences toutes petites, tout humbles, qui produisent sur le cœur de l'homme l'effet que produit sur la bouche trop sensible d'un cheval un maladroit coup de caveçon. L'amant qui était venu avec la ferme volonté d'être doux et tendre se cabre soudain. Rosalie avait déplu; elle le sentait comme elle avait senti la sécheresse de René tout à l'heure, et une étrange détresse s'empara d'elle. Depuis le départ de son ami, la veille, elle était jalouse, à vide, et sans vouloir admettre ce mauvais sentiment, mais jalouse tout de même: « Qui rencontrera-t-il dans cette fête?.. » s'était-elle demandé avant et pendant, au lieu de dormir: « Avec qui cause-t-il?.. » et maintenant: « Ah! il m'est déjà infidèle, sans quoi il ne me parlerait pas sur ce ton… » Le silence qui suivit la dure réponse lui fut si pénible qu'elle dit timidement:
– « Est-ce que les acteurs ont bien joué hier?.. »
Pourquoi fut-elle froissée de voir avec quel plaisir René s'emparait de cette question, afin d'empêcher que la causerie ne continuât dans un autre chemin que celui des banalités? C'est que le cœur de la femme qui aime vraiment – et elle aimait – trouve des susceptibilités nouvelles au service des moindres impressions, et, toute navrée, elle écoutait René répondre: « Ils ont joué divinement. » Puis il s'engagea dans une dissertation sur la différence qu'il y a entre le jeu éloigné de la scène et le jeu tout rapproché d'un salon.
– « Pauvre petite! » se disait madame Offarel en rentrant, « elle est si naïve, elle n'a pas su le faire parler d'autre chose que de cette maudite pièce! » Et à voix haute, afin de se venger sur quelqu'un de ce qu'elle n'entrevoyait pas l'instant où René se déclarerait: – « Dites donc, » fit-elle, « est-ce que votre ami M. Larcher n'est pas un peu jaloux de votre succès?.. »
VI
LA LOGIQUE D'UN OBSERVATEUR
René Vincy était entré chez les Offarel sous une impression pénible, il en sortit sous une impression plus pénible encore. Tout à l'heure il était mécontent des choses, maintenant il était mécontent de lui-même. Il était venu chez Rosalie, dans le but de lui procurer une douceur et de lui épargner le petit ennui d'apprendre son succès de la veille par une bouche autre que la sienne; – et cette visite avait causé une souffrance nouvelle à la jeune fille. Quoique le poète n'eût jamais eu pour cette enfant aux beaux yeux noirs qu'un amour d'imagination, cet amour avait été trop sincère pour qu'il n'en conservât point ces deux sentiments, les derniers à mourir dans l'agonie d'une passion: un pouvoir extraordinaire de suivre les moindres mouvements de ce cœur de vierge, et une pitié, inefficace autant que douloureuse, pour toutes les souffrances qu'il infligeait à ce cœur. Une fois de plus il se posa cette question: « N'est-il pas de mon devoir de lui dire que je ne l'aime plus?.. » question insoluble, car elle ne comporte que deux réponses: la brutalité égoïste et cruelle, si l'on est simple; et, si l'on est compliqué, la lâcheté d'Adolphe, avec son affreux mélange de compassion et de trahison!.. Le jeune homme secoua la tête pour chasser l'importune pensée, il se dit l'éternel: « Nous verrons, plus tard… » avec lequel tant de bourreaux de cette espèce ont prolongé tant d'agonies, puis il se força de regarder autour de lui. Ses pas l'avaient porté, sans qu'il y prît garde, dans la portion du faubourg Saint-Germain où, plus jeune, il aimait à se promener, quand, enivré par la lecture des romans de Balzac, cette Iliade dangereuse des plébéiens pauvres, il évoquait derrière les hautes fenêtres le profil d'une duchesse de Langeais ou de Maufrigneuse. Il se trouvait dans cette large et taciturne rue Barbet-de-Jouy qui semble en effet un cadre tout préparé à quelque grande dame d'une aristocratie un peu artificielle, par l'absence totale de boutiques au rez-de-chaussée de ses maisons, par l'opulence de quelques-uns de ses hôtels et le caractère à demi provincial de ses jardins entourés de murs. Une inévitable association d'idées ramena le souvenir de René vers l'hôtel Komof, et, presque aussitôt, la pensée de la seigneuriale demeure de la comtesse réveilla en lui, pour la quatrième fois de la journée, l'image, de plus en plus nette, de madame Moraines. Cette fois son âme, fatiguée des émotions chagrinantes qu'elle venait de traverser, s'absorba tout entière dans cette image au lieu de la chasser. Songer à madame Moraines, c'était oublier Rosalie et c'était surtout se détendre dans une sensation uniquement douce. Après quelques minutes de cette contemplation intime, le dévidement naturel de sa rêverie conduisit le jeune homme СКАЧАТЬ