Mensonges. Paul Bourget
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Mensonges - Paul Bourget страница 13

Название: Mensonges

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ charmant, » fit-elle, « et qui n'a qu'un défaut, celui de penser beaucoup de mal des femmes. Ne le croyez pas trop, » ajouta-t-elle avec ce même sourire un peu timide, « vous vous gâteriez… Ce pauvre garçon a toujours eu la spécialité d'aimer des coquettes et des coquines, et la faiblesse de croire que toutes leur ressemblent. »

      En prononçant cette phrase, ses yeux exprimaient la plus délicate tristesse. Il y avait de tout sur son joli visage, depuis la fierté d'une personne qui a dû souffrir, comme femme, des cruautés d'un écrivain misogyne, jusqu'à de la pitié pour Claude, et aussi une espèce de crainte discrète que René ne fût induit à mal juger les choses du cœur, qui impliquait une muette estime de sa nature. Un silence suivit, pendant lequel le jeune homme se surprit à se réjouir que son ami fût absent. Il aurait souffert s'il lui avait fallu, après ce souper, entendre des paradoxes outrageants comme ceux que l'amant jaloux de Colette avait débités dans la voiture durant le trajet de la rue Coëtlogon à la rue du Bel-Respiro. Ah! qu'il avait eu raison de protester en lui-même contre les flétrissantes théories de Claude, même avant de connaître une seule de ces femmes de la haute société vers lesquelles l'attirait une invincible espérance de rencontrer celle qu'il aimerait sans retour! Et il écoutait madame Moraines parler des mélancolies que cache si souvent la vie mondaine, des vertus secrètes qui s'y dissimulent sous la frivolité apparente, des œuvres de charité, par exemple, auxquelles prenaient part telle et telle de ses amies… Elle disait cela, simplement, doucement, sans qu'une seule intonation trahît autre chose qu'un profond amour du Bien et du Beau, et puis, avec une espèce de divine pudeur d'avoir ainsi étalé ses sentiments, et comme on se préparait à se lever de table:

      – « Voilà une conversation bien étrange pour un souper, » fit-elle, « on a dû vous dire tant de cinq à sept que je n'ose pas vous prier de venir chez moi… Quand vous passerez par-là, les jours d'Opéra, avant le dîner, j'y suis toujours. Vous verrez mon mari qui n'était pas ici ce soir… Il était souffrant… Il a voulu que je vienne, à cause de la comtesse qui nous avait tant priés… Ce qui prouve, » ajouta-t-elle en serrant la main du jeune homme, « qu'on est quelquefois récompensée de remplir ses devoirs, même ceux du monde. »

      V

      L'AUBE DE L'AMOUR

      L'assaut des sensations nouvelles avait été si violent et si multiple pour René Vincy, durant toute cette soirée, qu'il lui fut impossible de discerner exactement leur détail, dans le temps qu'il mit à franchir de pied la distance entre la rue du Bel-Respiro et la rue Coëtlogon. Si Claude n'avait pas brusquement quitté l'hôtel Komof, en proie aux affres de l'amour trompé, les deux amis seraient revenus ensemble. Ils auraient eu, le long des avenues désertes et sous les froides étoiles, une de ces conversations de trois heures du matin où les jeunes gens qui sortent d'une fête se disent tout ce qu'ils en emportent dans le cœur. Peut-être alors, et rien qu'à prononcer le nom de madame Moraines, René aurait compris quelle place avait prise subitement dans sa pensée cette beauté fine et rare, en qui s'étaient comme incarnées et rendues palpables toutes ses chimères d'aristocratie. Peut-être aurait-il acquis par Claude quelques notions justes sur ce caractère et sur la différence qu'il y a entre une femme à la mode comme l'était madame Moraines et une vraie grande dame, et il se serait épargné la dangereuse fièvre d'imagination qui le fit se complaire, tout le long de sa route, dans le souvenir du visage et des moindres gestes de Suzanne. Il avait entendu la comtesse l'appeler de ce joli prénom, en l'embrassant à la minute de l'adieu, et il la revoyait dans son manteau doublé de fourrure blanche, si épais qu'il faisait paraître la gracieuse tête blonde presque trop petite. Il revoyait le mouvement que cette tête avait eu, la légère inclinaison de son côté avant de monter en voiture. Il la revoyait aussi à la table du souper, et le regard de ses beaux yeux attentifs, et la façon dont elle remuait ses lèvres pour lui dire de ces mots bien simples, mais dont chacun lui avait prouvé que celle-là du moins avait l'âme de sa beauté, de même qu'elle avait une beauté digne du cadre où elle lui était apparue. À peine s'il s'aperçut du long chemin qu'il avait à parcourir, le tiers de Paris. Il contemplait le ciel sur sa tête, l'eau de la Seine qui coulait, mouvante et sombre, les longues files des becs de gaz qui semblaient approfondir encore la profondeur indéterminée des rues. Cette nuit lui apparaissait si vaste, – vaste comme son impression présente de sa propre vie. La forme d'esprit, particulière aux poètes qui ne sont que poètes, fait d'eux les victimes d'une sorte d'état mal défini, que l'on pourrait nommer l'état lyrique: c'est comme l'enivrement anticipé de l'espérance ou du désespoir, suivant que cette qualité d'amplifier prodigieusement la sensation présente s'applique à la joie ou à la tristesse. Cette entrée dans le monde, qui, à cette minute, revêtait pour cette tête d'enfant un aspect de renouvellement de sa destinée, qu'était-ce en somme? À peine un coup d'œil jeté par l'entre-bâillement d'une porte, et qui supposait, pour devenir profitable, une série de menues actions auxquelles eût pensé un ambitieux. L'ambitieux se fut demandé quelle impression il avait produite, quels caractères il avait rencontrés, quels, parmi les salons où on l'avait prié, valaient une seule visite, et quels une fréquentation assidue. Au lieu de cela, le poète se sentait marcher dans une atmosphère de félicité. La douceur de la dernière portion de la soirée se reflétait pour lui sur tout le reste. Il oubliait même les quarts d'heure de détresse qu'il avait dû traverser. Ce fut dans ce sentiment qu'il se retrouva devant la grille de sa maison. L'antithèse entre le monde d'où il venait et le monde où il rentrait lui fut douce à constater, tandis qu'il poussait le lourd battant, puis qu'il se glissait à petits pas jusqu'à sa chambre. Cette antithèse ne donnait-elle pas à sa joie actuelle tout le piquant de la fantaisie?.. Puis, comme il était à cet âge où la réparation des fatigues nerveuses s'accomplit avec une régularité parfaite à travers les mouvements les plus désordonnés de la pensée et des sensations, il ne fut pas plutôt couché dans son lit qu'il dormait déjà d'un sommeil profond. S'il rêva des magnificences entrevues, des applaudissements dans le vaste salon, du profil un peu mignard de madame Moraines, si délicat sous ses cheveux blonds, il n'aurait pu le dire, quand il se réveilla au lendemain matin, vers les dix heures.

      Un rais de soleil entrait par la fente des volets clos et des rideaux baissés. Aucun bruit n'arrivait de la petite rue, et aucun bruit de l'intérieur de l'appartement, qui trahît le branle-bas d'un petit ménage le matin, les allées et les venues de la servante, le rangement hâtif des meubles, la préparation du déjeuner. Le jeune homme fut surpris de ce silence. Il consulta sa montre pour savoir combien de temps il avait dormi; et il éprouva de nouveau cette sensation, sur laquelle il ne s'était jamais blasé: celle d'être aimé par sa sœur avec cette espèce d'idolâtrie minutieuse qui va des grands événements de l'existence aux plus petits. En même temps le souvenir le ressaisit de sa soirée de la veille. Vingt images affluèrent dans son cerveau, qui se confondirent toutes dans les traits fins, la bouche spirituelle et les yeux bleus de madame Moraines. Il la revit d'une manière plus distincte que la veille, à l'instant même où il venait de la quitter; mais la netteté de cette vision et l'infinie complaisance avec laquelle il s'y attarda ne l'éclairèrent pas encore sur le sentiment qui naissait en lui. C'était une impression d'artiste, et rien de plus, – comme si les plus gracieux des fantômes de femmes adorées durant sa jeunesse, à travers les phrases des romanciers et des poètes, avaient pris corps sous ses yeux. Couché dans la tiède paresse de son lit, il jouissait du charme de ce souvenir, comme il jouissait de l'intime aspect de sa chambre, de son familier, de son calme asile. Ses regards erraient voluptueusement sur tous les objets visibles dans le demi-jour, sur sa table dont les mains d'Émilie avaient réparé le désordre, sur ses gravures que faisait mieux ressortir la sombre tonalité du papier rouge, sur les reliures de ses chers livres, sur la cheminée dont le marbre supportait quelques photographies dans des cadres de cuir. Le portrait de sa mère était là, – pauvre mère, morte avant d'avoir assisté à la réalisation de sa plus ardente espérance, elle, autrefois si orgueilleuse des morceaux, plus ou moins bien venus, qu'elle rencontrait parmi les papiers de son fils, en rangeant la chambre! La photographie du père était là aussi, mélancolique visage rongé par l'alcool. Bien souvent René avait songé qu'une espèce d'impuissance secrète de sa propre volonté lui avait été transmise par cet homme СКАЧАТЬ