Название: Mensonges
Автор: Paul Bourget
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– « Ah! monsieur René!.. » fit Rosalie qui vint, au coup de sonnette du jeune homme, ouvrir elle-même. Les Offarel n'avaient à leur service qu'une femme de ménage, la mère Forot, sur le compte de laquelle la vieille dame ne tarissait pas en anecdotes, et qui partait à midi. À la vue de celui qu'elle aimait, le visage de la pauvre enfant, pâlot d'habitude, s'était rosé de plaisir et elle n'avait pu retenir un petit cri. « Que c'est gentil à vous d'être venu nous raconter tout de suite comment votre comédie a réussi!.. » Elle introduisait le jeune homme dans la salle à manger, pièce mal éclairée par une fenêtre au nord, et qui n'était même pas chauffée. La scrupuleuse avarice de madame Offarel lui faisait, quand les journées d'hiver n'étaient pas trop froides, remplacer la dépense du feu, pour elle et ses filles, par des espèces de pèlerines ouatées et des mitaines.
– « Vous voyez, » dit-elle à René en lui faisant signe de s'asseoir, « nous comptons le linge. »
Sur la table, en effet, tout le blanchissage de la quinzaine était étalé, depuis les chemises du père jusqu'à celles des filles. L'éclat bleuâtre des calicots et des cotonnades était rendu plus clair par le fond obscur de toute la pièce. C'était le pauvre linge du ménage gêné: il y avait des bas dont le talon se hérissait de reprises, des serviettes effilochées, des manchettes élimées et qui montraient le grain de la trame, – enfin tout un appareil intime dont la jeune fille sentit aussitôt qu'il n'était guère fait pour plaire au poète, car elle empêcha qu'il ne prit le siège que lui indiquait madame Offarel en disant:
– « Monsieur René sera mieux au salon, il fait trop sombre ici… »
Avant que sa mère n'eût pu lui répondre, elle avait déjà poussé le visiteur dans la pièce décorée de ce nom pompeux de salon, et qui, en réalité, servait surtout de cabinet de travail à Angélique. Celle-ci augmentait un peu les ressources de la famille par le produit de quelques traductions de romans anglais. Elle était, en ce moment, assise auprès de la fenêtre, en train d'écrire sur un guéridon. Un dictionnaire traînait à ses pieds, chaussés de pantoufles dont elle avait, pour plus de commodité, écrasé les quartiers. Elle n'eut pas plutôt vu René qu'elle ramassa ses papiers et ses livres. Elle s'échappa, en laissant voir ses cheveux mal peignés, sa robe de chambre au corsage de laquelle manquaient des boutons.
– « Excusez-moi, monsieur René, » disait-elle en riant, « je suis faite comme une horreur et je ne peux pas me montrer. »
Le jeune homme s'était assis et il regardait la pièce, de lui bien connue, dont la grande élégance consistait dans une série d'aquarelles lavées par l'employé durant les loisirs de son bureau. Il y en avait une douzaine, et qui représentaient, les unes des paysages étudiés dans les promenades du dimanche, les autres des copies de quelques toiles chères à la rêverie du père Offarel, et c'étaient précisément, comme les Illusions perdues de Gleyre, les tableaux que le goût moderne de René détestait le plus. Un tapis de feutre aux couleurs fanées, six chaises et un canapé revêtus de housse, achevaient le mobilier de cette chambre, autrefois aimée par le poète comme un symbole de simplicité presque idyllique, mais qui devait lui paraître deux fois odieuse à cause des dispositions d'esprit où il arrivait, et de l'aigreur avec laquelle madame Offarel lui dit, se croyant très fine:
– « Hé bien! c'était-il gai, hier soir, dans votre beau monde? » – Elle prononçait ti et vote. – Et, sans attendre la réponse: – « Votre M. Larcher ne fréquente donc plus que des gens qui ont hôtel, équipage et tout?.. On ne l'entend plus parler que de comtesses, de baronnes, de princesses… Hé! Il n'est pas déjà si relevé, lui qui courait le cachet il y a dix ans. »
– « Maman… » interrompit Rosalie d'une voix suppliante.
– « Mais pourquoi a-t-il toujours ses yeux insolents, » continua la vieille dame; « oui, il vous regarde en ayant l'air de nous dire: Pauvres diables!.. »
– « Comme vous vous trompez sur son caractère, » répliqua René; « il a un peu la manie de la société élégante, c'est vrai, mais c'est si naturel à un artiste!.. Tenez, moi-même, » continua-t-il en souriant, « mais j'ai été ravi d'aller dans cette soirée hier, de voir cette espèce de palais, ces fleurs, ces toilettes, cette magnificence… Est-ce que vous croyez que cela m'empêcherait d'aimer mon modeste chez moi et mes vieux amis?.. Nous autres, gens de lettres, voyez-vous, nous avons tous cette rage du décor brillant; mais Balzac l'a eue. Musset l'a eue… C'est un enfantillage qui n'a pas d'importance… »
Tandis que le jeune homme parlait, Rosalie lança du côté de sa mère un regard où se lisait plus de bonheur que ses pauvres yeux n'en avaient exprimé depuis des mois. En avouant ainsi et raillant lui-même ses plus intimes sensations, René obéissait à un mouvement du cœur trop compliqué pour que la simple enfant en comprît le rouage. Il avait vu, à l'angoisse des prunelles de la jeune fille, quand madame Offarel avait prononcé cette phrase: « votre beau monde, » que le secret de l'attraction exercée sur lui par le mirage de l'élégance n'avait pas échappé à la double vue de celle qui l'aimait. Il avait un peu honte, d'autre part, d'être si plébéien dans cette griserie de luxe. Il avait donc parlé de ses impressions, comme s'il n'en eût pas été dupe, en partie afin de rassurer Rosalie et de lui épargner une peine inutile, en partie afin de se permettre cette petitesse, sans trop se la reprocher. Pour certaines natures, – et l'habitude du dédoublement moral les rend fréquentes parmi les écrivains, – raconter ses fautes, c'est se les pardonner. Celui-là se complut, tout en défendant Claude Larcher, à reprendre le détail de ses propres enivrements, avec une nuance d'ironie qui aurait trompé des observateurs plus fins qu'une enfant amoureuse. Tout en se moquant à demi de ce qu'il appela lui-même son Snobisme, et il expliqua ce mot d'origine anglaise aux deux femmes, il continuait de se livrer à la misère des petites remarques qui se multipliaient en lui depuis la veille. Il ne pouvait se retenir de mesurer en pensée l'abîme qui séparait les créatures entrevues chez madame Komof, – roses vivantes poussées dans la serre chaude de l'aristocratie européenne, – et la petite provinciale de Paris au teint plombé, aux doigts fatigués par le travail, aux cheveux simplement noués, à la tournure si modeste qu'elle en était gauche. Petit à petit, cette comparaison devint presque douloureuse, et le jeune homme subit un de ces accès de sécheresse intérieure qui déconcertaient son amie. Elle les apercevait toujours, sans jamais en comprendre la cause. Elle connaissait СКАЧАТЬ