Mensonges. Paul Bourget
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Название: Mensonges

Автор: Paul Bourget

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ fois rabattues, ce fut le visage aimant et le sourire de sa sœur que le jeune homme aperçut, un sourire tout empreint de la plus confiante curiosité.

      – « Un triomphe… » répondit-il joyeusement à la muette interrogation d'Émilie.

      La jeune femme battit des mains comme une petite fille; elle vint s'asseoir au pied du lit de son frère sur une chaise basse, et câlinement: « Tu te lèveras plus tard… Françoise va t'apporter ton café. J'avais bien calculé que tu te réveillerais vers les dix heures… J'achevais de le moudre juste quand tu as cogné. Tu l'auras tout frais… » Comme l'Auvergnate entrait, tenant entre ses grosses mains rougeaudes le petit plateau de porcelaine: « Je vais te servir, » continua Émilie; « Fresneau s'est chargé de prendre Constant à la pension… Nous avons tout le temps, dis-moi tout… » Et René dut reprendre le récit de ses sensations de la veille, sans en rien omettre. – « Que disait Claude Larcher? » demandait sa sœur. « Comment était la cour de l'hôtel? Comment l'antichambre? Comment la robe de la comtesse?.. » Et elle riait des métaphores fantastiques de madame de Sermoises. Elle s'écriait: « Quelle chipie!.. » en écoutant l'épigramme de la femme du confrère; elle se moquait de l'ignorance de la jolie madame Éthorel; elle s'indignait contre la cruauté de Colette; et quand le poète se mit à lui décrire le gracieux profil de madame Moraines et à lui rapporter leur causerie à la table du souper, elle aurait voulu pouvoir dire merci à la femme exquise, qui, du premier coup d'œil, avait su distinguer ainsi son René. L'habitude qu'elle avait prise, depuis des années, de vivre uniquement par la sensibilité de son frère, la rendait pour le poète la plus dangereuse des confidentes. Elle possédait la même nature d'imagination que lui, cette imagination de l'artiste amoureux de ce qui brille, et elle s'y livrait sans le moindre scrupule, – puisque c'était pour le compte d'un autre. Il y a une espèce d'immoralité impersonnelle, particulière aux femmes, et qui est celle des mères, des sœurs et des amantes. Elle consiste à ne plus percevoir les lois de la conscience, aussitôt qu'il s'agit du bonheur de l'homme aimé, Émilie, qui n'était, quand elle pensait à elle-même, qu'abnégation et que simplicité, ne caressait pour son frère que désirs de luxe, qu'ambitions de vanité, et, naïvement, elle s'écria, donnant une forme à des pensées que René osait à peine admettre en lui:

      – « Ah! je le savais bien, que tu réussirais… Ces dames Offarel ont beau dire, ta place n'est pas dans notre pauvre monde… Ce qu'il vous faut, à vous autres écrivains, c'est tout ce décor, cette vie magnifique… Mon Dieu, que je te voudrais riche!.. Mais tu le seras… Une de ces grandes dames s'intéressera à toi et te mariera, et, même dans un palais, tu ne cesseras pas d'être mon frère qui m'aime… Voyons! était-ce possible que tu vécusses ainsi toujours?.. Te vois-tu, dans un petit appartement au quatrième, avec des enfants qui piaillent, une femme qui ait des mains de servante comme les miennes, » – et elle montrait ses doigts où se voyaient les traces des piqûres de l'aiguille – « et la nécessité de travailler à l'heure comme les cochers de fiacre, pour gagner de l'argent… Ici tu n'as pas eu le luxe, c'est vrai, mais je t'ai donné le loisir… »

      – « Bonne et chère sœur!.. » dit René, touché aux larmes par la profondeur d'affection que révélait cette sortie, et davantage encore par la complicité que ses secrètes convoitises rencontraient dans cette affection. Quoique le nom de Rosalie n'eût jamais été prononcé entre eux d'une certaine manière, et qu'Émilie n'eût jamais reçu les confidences de son frère, ce dernier se rendait bien compte que sa sœur avait deviné longtemps son innocent secret. Il savait qu'avec ses visées ambitieuses, elle n'aurait jamais approuvé ce mariage. Mais eût-elle parlé comme elle venait de faire si elle avait connu les détails complets de son roman? Lui aurait-elle conseillé une trahison, – car c'en était une, et de celles qui pèsent le plus au cœur né pour la noblesse: la trahison sentimentale d'un homme qui change d'amour, et qui prévoit, qui éprouve déjà le contre-coup des douleurs que sa perfidie irrésistible infligera?.. Aussitôt Émilie partie, et tout en s'habillant, René se laissa entraîner par les idées que la dernière phrase de sa sœur lui avait suggérées, et, pour la première fois, il eut le courage d'envisager bien en face la situation. Il se souvint du petit jardin de la rue de Bagneux, et du soir où il avait mis un premier baiser sur la joue rougissante de la jeune fille. Certes, il n'avait jamais été son amant, mais ces baisers, mais ces fiançailles clandestines?.. Une vérité lui apparut indiscutable: que l'on n'a pas le droit de prendre le cœur d'une vierge, si l'on n'a pas en soi la force de l'aimer pour toujours. Mais il sentit du même coup que sa sœur avait prononcé tout haut la parole qu'il se disait tout bas depuis que le succès de sa pièce lui avait ouvert des horizons d'espérances. « Cette vie magnifique… » avait murmuré Émilie, et de nouveau les images du décor traversé la veille se déployèrent, et de nouveau, sur ce fond d'opulence, le visage de madame Moraines se détacha et son sourire… La loyauté du jeune homme essaya pourtant de chasser cette apparition séductrice. Il dit tout haut: « Pauvre Rosalie, qu'elle est douce et qu'elle m'aime!.. » et il trouva une sorte d'égoïste attendrissement à se ressouvenir de la profondeur de cet amour inspiré par lui, attendrissement qui le poursuivit jusqu'à la table du déjeuner. Qu'elle était simple, cette table, et comme elle ressemblait peu à l'étincelant souper de cette nuit! C'était, sur la toile cirée à fleurs coloriées, un tout modeste service en porcelaine blanche, avec des verres un peu gros, parce que les maladresses combinées de Fresneau, de Constant et de Françoise auraient rendu l'usage du cristal trop coûteux pour le budget de la famille. Le bon Fresneau, avec sa longue barbe, son regard distrait, mangeait vite, s'accoudant sur la table, portant son couteau à sa bouche, aussi commun de manières qu'il était distingué de cœur; et, comme pour faire mieux ressortir par le contraste l'impression de cosmopolitisme oisif éprouvée par René, il racontait en riant sa demi-journée. À sept heures du matin, il avait donné une répétition à l'école Saint-André. De huit à dix heures, il avait fait une classe dans cette même école aux petits garçons encore trop faibles pour suivre le lycée. Il n'avait eu que le temps ensuite de grimper sur l'impériale de l'omnibus du Panthéon qui l'avait conduit à une troisième leçon, rue d'Astorg, tout près de Saint-Augustin.

      – « J'ai acheté un journal en route, » ajoutait le brave homme, « pour y voir le récit de la soirée d'hier… Tiens, » ajouta-t-il en fouillant dans les poches d'une serviette de cuir blanchie par l'usage, bourrée de livres, et ficelée par une courroie, « je l'aurai égaré… »

      – « Tu es si distrait, » fit Émilie presque avec aigreur.

      – « Bah! le père Offarel nous renseignera, » dit gaiement René; « tu sais bien qu'il est mon indicateur vivant. Il aura lu, ce soir, toutes les feuilles de Paris et de la province!.. »

      Précisément parce qu'il était trop certain que les moindres comptes rendus de la représentation à l'hôtel Komof seraient collectionnés par le sous-chef de bureau et commentés par la mère, René crut devoir à Rosalie de lui donner lui-même tous les détails. Il y a ainsi un instinct qui pousse l'homme, – est-ce hypocrisie, est-ce pitié? – à ces délicatesses de procédés à l'égard d'une femme qu'il va cesser d'aimer. Aussitôt après le déjeuner, il se dirigea donc du côté de la rue de Bagneux en prenant la rue de Vaugirard. C'était son habitude autrefois d'aller chez son amie à cette heure-là; il lui arrivait de composer pour elle, et de tête, durant cette courte promenade, une ou deux strophes, dans la manière de Heine, qu'il lui disait quand ils étaient seuls. Il y avait longtemps que ce pouvoir de marcher ainsi en plein rêve lui était refusé, mais rarement la vulgarité de ce coin de Paris l'avait frappé à ce degré. Tout y révélait la médiocre existence des petits bourgeois, depuis la multiplicité des humbles boutiques jusqu'à l'étalage, poussé presque au milieu du trottoir, de toutes sortes d'objets à bon marché. Derrière les devantures des restaurants étaient collées de petites affiches à la main qui mentionnaient des menus à prix fixe d'une extraordinaire simplicité. Les ustensiles en vente dans les bazars prenaient comme une physionomie pauvre. Ces signes et vingt autres rappelaient au jeune homme la dépense calculée des petites bourses, une existence réduite à cette décente économie, qui n'a pas l'horrible et attirant pittoresque СКАЧАТЬ