Название: Le crime de l'Opéra 1
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Le salon où Darcy fut introduit était meublé sans luxe, mais le parquet reluisait comme une glace, et on n’aurait pas trouvé un grain de poussière sur le velours des fauteuils.
Cela ressemblait à un intérieur flamand.
Il y avait, accroché au mur, entre deux gravures de Jazet, un médiocre portrait d’homme, une figure sévère et quelque peu déplaisante, le portrait du mari, sans doute.
Près de la fenêtre, qui donnait sur la rue, une chaise longue où la jeune femme alla s’étendre, après avoir indiqué du geste un siège à Darcy qui eut la discrétion de ne pas s’asseoir.
– Tu souffres? demanda Berthe en prenant la main de sa sœur.
– Oui. J’ai pu dormir une heure cette nuit, après ton départ; mais la crise est revenue ce matin, et je me sens très faible.
– Pourquoi n’es-tu pas restée au lit?
La malade ne répondit pas, mais ses yeux se tournèrent vers la fenêtre.
– Je comprends, murmura mademoiselle Lestérel, et je te demande pardon de te fatiguer en te questionnant. À quelle heure suis-je arrivée chez toi, hier soir?
– Mais… vers neuf heures, je crois.
– Et à quelle heure suis-je partie?
– Il me semble qu’il était au moins deux heures du matin.
– Voilà tout ce que je voulais te faire dire, ma chère Mathilde. Un mot encore, et ce sera fini. En sortant de chez toi, je n’ai pas trouvé de voiture. Un homme m’a suivie, persécutée, et je ne sais ce qui serait arrivé si je n’avais eu le bonheur de rencontrer M. Darcy, qui m’a prise sous sa protection et qui a bien voulu m’accompagner jusqu’à ma porte. M. Darcy ne m’a adressé aucune question, mais il a pu et dû s’étonner de me rencontrer seule, à pied, la nuit, dans Paris. Je tiens beaucoup à son estime, et je l’ai prié de se trouver aujourd’hui à trois heures devant ta maison. Je voulais qu’il entendît de ta bouche l’explication toute naturelle de ma promenade nocturne. C’est fait. Je n’ai plus qu’à le remercier de l’appui qu’il m’a donné hier et de la peine qu’il vient de prendre en montant les quatre étages.
Cette péroraison fut appuyée d’un coup d’œil à Darcy, qui en comprit parfaitement le sens et qui se disposa à battre en retraite. Il ne voulut cependant pas partir sans ajouter un commentaire au discours de la jeune fille.
– Madame, commença-t-il, je vous supplie de croire qu’il ne m’est jamais venu à la pensée de supposer…
Il n’en dit pas plus long, car il vit que madame Crozon ne l’écoutait plus. Elle s’était levée à demi, et elle prêtait l’oreille aux bruits de la rue.
Une voiture vient de s’arrêter à la porte, murmura-t-elle.
Berthe courut à la fenêtre, l’entrouvrit et s’écria:
– C’est lui! il descend d’un fiacre.
Puis, refermant vivement la croisée et s’adressant à Darcy:
– Monsieur, dit-elle d’un ton bref, vous êtes assez mon ami pour que je ne vous cache pas la vérité. M. Crozon est absent depuis longtemps; il a le tort d’être horriblement jaloux, et nous savons qu’il a reçu des lettres anonymes où l’on accuse ma sœur de l’avoir trompé depuis son départ. Voilà pourquoi vous nous voyez si troublées.
Darcy crut que cette confidence tendait à le presser de partir.
– En effet, répondit-il, en saluant affectueusement la femme du marin, s’il me rencontrait ici, cela confirmerait ses injustes soupçons, et…
– Non, interrompit mademoiselle Lestérel, ne partez pas, M. Crozon est très violent. S’il se portait à quelque extrémité, seule, je ne pourrais pas défendre ma sœur, tandis qu’avec vous…
– Disposez de moi, dit vivement Darcy.
– Non… non, murmura la jeune femme, ne restez pas ici… il vous tuerait…
– Ne craignez pas cela, madame, je ne me laisserai pas tuer, pas plus que je ne permettrai qu’on vous maltraite.
Darcy, en répondant ainsi, avait la tête haute et le regard résolu. Le capitaine au long cours allait trouver à qui parler.
– Vous n’avez pas compris, repris Berthe. Je ne veux pas que mon beau-frère vous rencontre. Votre présence l’exaspèrerait. Ce que je veux, c’est que vous restiez à portée de nous secourir, si je vous appelle.
»Venez, ajouta-t-elle en ouvrant une porte. Voici un cabinet d’où vous entendrez tout. Il y a un verrou en dedans et une sortie qui donne directement sur l’escalier. Enfermez-vous. Et entrez, si je crie: À moi! Si, au contraire, je dis à M. Crozon: «Maintenant, vous n’accuserez plus Mathilde», partez sans bruit.
»Venez, il le faut.
Darcy entra de bonne grâce dans la cachette que mademoiselle Lestérel lui indiquait. Il sentait fort bien le danger, et même le ridicule de la situation, mais il se serait soumis à de plus pénibles épreuves pour plaire à Berthe, et il se disait avec joie qu’en l’initiant ainsi à ses secrets de famille, Berthe lui donnait un gage d’intimité dont il pourrait tirer parti plus tard.
Il se logea donc dans ce cabinet noir, il poussa le verrou pour se mettre à l’abri d’une invasion de l’ennemi, et il s’assura que la retraite lui était ouverte, par un couloir qui permettait de sortir de l’appartement sans traverser le salon.
Ces précautions prises, il se prépara à assister à une scène de ménage qui lui paraissait devoir être plus déplaisante que terrible, mais qu’il était très déterminé à faire cesser si le marin poussait les choses au tragique.
Et il ne put s’empêcher de faire cette réflexion, qu’il était dans sa destinée d’assister en témoin invisible à des explications orageuses. Le soir, chez Julia, le jour, chez madame Crozon, la situation était presque la même. Seulement, la veille, elle s’était dénouée par un suicide, et, cette fois, à en juger par le trouble où le retour du mari avait jeté les deux sœurs, elle pouvait se dénouer par un meurtre.
Du reste, Darcy n’eut pas le temps de beaucoup réfléchir. À peine s’était-il établi à son poste d’observation qu’il entendit le bruit d’une porte fermée avec violence et une voix rude qui disait:
– Oui, c’est moi, madame. Vous ne m’attendiez pas si tôt?
– Mathilde est bien heureuse de vous revoir, mon cher Jacques, dit la douce voix de Berthe; mais vous n’auriez pas dû la surprendre ainsi. Elle est très malade, et l’émotion…
– Je n’ai que faire de vos avis… ni de votre présence, interrompit grossièrement le mari. Je veux avoir une explication avec ma femme, et je ne veux pas que vous y assistiez.
– Une explication, Jacques! Après dix-huit mois d’absence, vous feriez mieux de commencer par embrasser Mathilde.
– Demandez-lui СКАЧАТЬ