Les derniers iroquois. Emile Chevalier
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Название: Les derniers iroquois

Автор: Emile Chevalier

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ l’Onde-Pure, sa femme, et Co-lo-mo-o, le Petit-Aigle, leur fils unique.

      Nar-go-tou-ké portait gaillardement ses cinquante années. Malgré les malheurs qui avaient abreuvé sa jeunesse, et malgré les tribulations nombreuses qui avaient assailli son âge mûr, il se tenait droit, vert et ferme comme un chêne robuste que l’ouragan a pu agiter sans le courber jamais.

      Ni-a-pa-ah, au contraire, avait profondément ressenti les coups de l’infortune. Elle n’était qu’à l’été de la vie, et déjà une caducité précoce, ployait sa taille en deux. Ses cheveux si noirs, si abondants autrefois, avaient tombé et blanchi. Un inextricable réseau de rides sillonnait en tous sens son visage osseux; de larges coutures jaunâtres tranchaient sur le ton généralement bistré de sa peau et ne rappelaient que trop les atroces tortures auxquelles la pauvre squaw avait été soumise sur le mont Baker.

      Ses mains brûlées n’offraient plus que des moignons informes dont elle était incapable de faire usage, même pour prendre ses aliments. De ses charmes flétris, il ne lui restait que les yeux, – ces yeux si éloquents dont le rayonnement sympathique reflétait tant d’amour et de mélancolie.

      Son amour, elle l’épanchait tout entier, maintenant, sur Co-lo-mo-o, l’enfant qu’elle avait eu de Nar-go-tou-ké, un an après leur rentrée de la Nouvelle-Calédonie au Canada.

      Né en 1818, le Petit-Aigle avait donc alors vingt ans passés. Beau et vaillant jeune homme s’il en fut. Il tenait de race. Taille élevée, bien prise, membres vigoureux, muscles d’acier, cœur intrépide, comme son père, il avait les traits délicats, le regard séduisant de sa mère.

      Rompu à tous les exercices corporels, chasseur sans rival, pêcheur des plus habiles, Co-lo-mo-o excellait à tirer de l’arc ou du fusil, à dompter un cheval, à conduire un bateau. Nar-go-tou-ké l’avait fait instruire par le pasteur du village, et le Petit-Aigle avait appris, du digne missionnaire, le français, l’anglais, le calcul, un peu de dessin et de musique. Ostensiblement, il pratiquait la religion catholique; on l’avait baptisé sous le nom de Paul. Son précepteur s’était flatté un instant de le convertir entièrement et de le faire entrer dans les ordres. Il s’efforça de lui persuader qu’il était appelé, par une faveur divine, à aller prêcher la foi aux Peaux-Rouges de la baie d’Hudson. Mais le jeune homme avait hérité de sa grand-mère, la fameuse Vipère-Grise, un invincible penchant pour les superstitions indiennes, et les tentatives du bon abbé pour en triompher furent sans résultat.

      Eût-il réussi, que les goûts de Co-lo-mo-o l’auraient tourné vers une autre profession.

      Jamais, du reste, Nar-go-tou-ké n’aurait consenti à laisser son fils embrasser la carrière ecclésiastique. N’espérait-il point que par lui la race iroquoise revivrait un jour et finirait par reconquérir les territoires dont l’avaient spoliée les Visages-Pâles?

      Cette espérance, le Petit-Aigle la caressait aussi. Il était heureux et fier de la proclamer.

      Les Indiens de Caughnawagha obéissaient à Nar-go-tou-ké. Cependant, ils ne se montraient pas respectueux et soumis à lui, comme le sont à leurs chefs les Peaux-Rouges du désert américain. Une portion même méconnaissait son autorité et s’était attachée à un sagamo de rang inférieur, qui travaillait à la ruine de Nar-go-tou-ké. L’origine de cette haine remontait au mariage de Nar-go-tou-ké avec Ni-a-pa-ah. L’autre sagamo briguait alors la main de la jeune fille. Furieux d’avoir été repoussé, il complota depuis ce jour la perte de son rival; avec la ténacité d’un sauvage, il attendit patiemment que le moment des représailles fût venu. Il se fit des amis, des partisans, et, tandis que Nar-go-tou-ké et les siens se joignaient aux Canadiens-français pour secouer le despotisme anglais, il se vendit aux agents de la Grande-Bretagne.

      On le nommait Mu-us-lu-lu, le Serpent-Noir.

      Dès le mois de mars 1837, Mu-us-lu-lu avait déposé au parquet de Montréal une dénonciation en forme contre Nar-go-tou-ké. Le missionnaire de Caughnawagha eut vent de cette dénonciation; sans rien dire à celui qui en était l’objet, car il redoutait la violence de son caractère, il chercha à le sauver, par affection pour Co-lo-mo-o. Une démarche près du grand connétable[22] suffit à faire suspendre l’exécution d’un mandat d’arrestation qui avait déjà été dressé contre Nar-go-tou-ké. Ignorant tout, le sagamo, ennemi naturel des Anglais, et le cœur ulcéré par les souffrances que les Grosses-Babines avaient fait endurer à sa femme, le sagamo continua de se concerter avec les chefs des libéraux canadiens pour révolutionner le pays. L’abbé ne lui ménagea pas les avis indirects, les conseils officieux. Mais Nar-go-tou-ké ne comprit rien ou ne voulut rien comprendre.

      Plus que jamais il se mêlait aux conspirateurs, surtout depuis l’apparition au Canada d’une bande de trappeurs, conduite par un certain Poignet-d’Acier, homme d’une force herculéenne dont on racontait les prodiges et que maints vieillards prétendaient avoir vu notaire à Montréal, sons le nom de Villefranche, quelque vingt ans auparavant.

      Ce Poignet-d’Acier faisait le désespoir de la police provinciale. Elle avait mis sa tête à un haut prix, vingt mille livres sterling; mais nul ne savait où le prendre, quoiqu’on le trouvât partout.

      Quant à ses gens, dont on évaluait le nombre à plusieurs milliers, ils étaient aussi insaisissables que leur maître. Ce n’était pourtant pas une troupe fictive. On l’avait vue traverser Ottawa, à son arrivée des pays d’en haut[23]; on assurait même qu’elle traînait à sa suite des trésors immenses recueillis sur les bords du Rio-Columbia. Mais au-delà d’Ottawa elle s’était dispersée, et personne, sauf les affiliés, ne pouvait dire où ses membres avaient élu domicile.

      Nar-go-tou-ké le savait bien, lui! Il ne s’écoulait guère de semaines sans qu’il eût quelque entrevue avec Poignet-d’Acier. Tous deux communiquaient aussi avec MM. Joseph Papineau, Wolfred Nelson et Duvernay, les machinateurs de l’effervescence populaire; tous deux tâchaient d’avancer l’heure où ils pourraient venger sur la couronne d’Angleterre les outrages qu’ils avaient reçus de quelques-uns de ses sujets.

      IV. L’île au Diable[24]

      Par une splendide soirée du mois d’avril, Nar-go-tou-ké et Ni-a-pa-ah causaient dans leur hutte.

      L’intérieur se composait de trois pièces.

      L’une à l’entrée s’appelait, comme chez les Canadiens, la salle. C’était le lieu commun de réunion. Les deux autres servaient de chambres à coucher. Ces chambres étaient un luxe inusité chez les Iroquois de Caughnawagha. Du vivant de sa belle-mère, la Vipère-Grise, Nar-go-tou-ké n’avait osé se le procurer, car la vieille squaw, fermement attachée aux traditions de ses ancêtres, eût soulevé contre lui la population indienne, sur qui elle exerçait, en sa qualité de medawin ou sorcière, une influence irrésistible.

      Mais, depuis qu’elle était morte, au commencement de 1830, Nar-go-tou-ké se livrait, dans la mesure de ses moyens, à son goût pour le confort européen.

      Il avait construit sa maisonnette avec une coquetterie bien faite pour piquer davantage la jalousie de Mu-us-lu-lu, qui habitait une cahute en argile de l’aspect le plus misérable.

      Dans la salle où devisaient la Poudre et sa femme, on voyait des trophées d’armes indiennes, fixées contre les murailles blanchies à la chaux; des peaux de bêtes fauves étaient accrochées çà et là ou tapissaient le sol.

      Sur un cuir d’orignal passé, apprêté à la pierre ponce, et cloué à deux lances, reparaissait encore le blason du chef iroquois.

      Un poêle de fonte, quadrangulaire, à deux étages, haut СКАЧАТЬ