Les derniers iroquois. Emile Chevalier
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Название: Les derniers iroquois

Автор: Emile Chevalier

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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      Émile Chevalier

      LES DERNIERS IROQUOIS

      Témoignage de haute admiration pour ses magnifiques et profondes études sur les hommes et les choses de l’Amérique septentrionale.

H. Émile Chevalier. Château de Maulnes, septembre 1882

      I. La veuve indienne et ses maris

      La nuit est noire, profonde: rares sont les étoiles qui, comme des diamants fixés à un dais de velours bleu foncé, scintillent çà et là dans l’immensité des cieux. Pas un rayon de lune pour éclairer l’espace.

      Cependant des bruits étranges, des chants bizarres s’élèvent du mont Baker, limite septentrionale de la chaîne des Cascades, dans la Nouvelle-Calédonie.

      Cette chaîne, composée de collines reliées par les pics Baker, Rainier[1], Sainte-Hélène, Hood, Jefferson et Jackson, ourle le littoral du Pacifique, à quelque vingt lieues des côtes, et se déploie presque parallèlement à elles, comme un arc, dont les monts Sainte-Hélène et Jefferson formeraient les sommets, le mont Hood le point d’appui pour ajuster la flèche.

      Situées au 122° de longitude, les Cascades s’étendent du 49° latitude N. au 43° S. Le Rio-Columbia les coupe en deux parties à peu près égales. On peut leur assigner comme bornes, en haut, la baie Bellingham, dans le golfe de Géorgie, vis à vis de l’île Vancouver, et en bas la rivière Smiths, qui se verse dans l’Océan. Ces bornes ne sont toutefois pas définitives, car après avoir semblé se perdre dans les vallées spacieuses, les Cascades reparaissent plus robustes, plus sourcilleuses que jamais et projettent d’un côté leur tête chenue jusque sous le pôle, tandis que, par le mont Shasté, elles descendent jusqu’en Californie, baigner leurs pieds aux ondes du Sacramento.

      Plusieurs des pics qui, de même que des sentinelles géantes, les dominent de distance en distance, sont volcaniques et sujets à des éruptions fréquentes: de ce nombre, le Baker, haut de 10 700 pieds anglais.

      Tout d’un coup, les sons qui montaient à sa base cessèrent. Il se fit un silence solennel, à peine troublé par le frémissement des feuillages au souffle de la brise.

      On eût dit que la solitude était complète, dans ces régions incultes et lointaines.

      Mais, soudain, une flamme claire, pétillante, jaillit à travers les ténèbres: elle embrasse un étroit horizon. Au même instant, les chants recommencent, et, dans le cercle de feu, on voit, comme sur le rideau d’une lanterne magique, s’agiter des personnages aux proportions effrayantes.

      Le regard est attiré et repoussé tout à la fois.

      Assiste-t-on à une scène de ce monde ou à quelque mystérieuse fantasmagorie telle qu’il ne s’en montre que dans les hallucinations d’un esprit en délire?

      Quoi qu’il en soit, le chant hausse. C’est une sorte d’antienne cadencée, soutenue par l’accompagnement monotone de plusieurs tambourins.

      Dans cette musique grave et douce, bien qu’inharmonique, au milieu de cette nuit sombre, sans écho, il y a quelque chose d’indicible qui attriste le cœur et le refroidit. Si nous étions en Europe, au Moyen ge, je croirais à une lugubre cérémonie religieuse accomplie par des fanatiques. Mais, au fond de l’Amérique septentrionale!…

      Examinons d’ailleurs: simple torche en paraissant, la flamme s’est développée; elle a grandi; elle s’est élargie; elle a gagné en intensité, et la voici qui s’évanouit: on ne distingue plus que des lueurs rouges, enfouies sous des tourbillons de fumée blanchâtre; des craquements se font entendre; une pénétrante senteur de résine sature l’air; et, subitement, un éclair sillonne les vapeurs, comme la foudre sillonne les nuées, des torrents de lumière se précipitent de toutes parts.

      Le tableau se présente à nous mieux accentué qu’en plein jour.

      Au premier plan, vers le faîte d’une éminence, un bûcher; sur ce bûcher deux corps humains; tout à l’entour une bande d’Indiens, sans armes et sans autres habillements que la kalaquarté, ou jupon court en filaments d’écorce de cèdre; à droite, attaché à un pin, un autre Indien vêtu en trappeur du Nord-Ouest; sur la gauche une petite troupe de chevaux broutant le gazon, et, par derrière, le Baker dont les flancs abrupts se confondent avec l’obscurité, après avoir dessiné un instant, sous les réverbérations du brasier, leurs crêtes rugueuses, hérissées de pins séculaires.

      La plupart des sauvages dansaient, en nasillant leur psalmodie, devant le bûcher; quelques-uns gesticulaient et se livraient à des contorsions fantastiques; ceux-ci frappaient avec de petits bâtons sur des co-lu-de-sos, instruments assez semblables à nos tambours de basque, et ceux-là attisaient le feu.

      Déjà, de ses langues dévorantes, il ronge le bûcher entier, quand une des formes humaines, étendues à son sommet, se lève brusquement en poussant un cri de douleur.

      Un moment elle reste debout, ceinte par les flammes comme par une radieuse auréole. Une peau de buffle, dont elle était enveloppée, tombe à ses pieds, et, alors, on découvre que cette peau cachait une femme, jeune, belle, pleine de séductions.

      Nulle couverte, nulle tunique de chasse ne dérobe ses merveilleux attraits. À l’exception de la kalaquarté, elle est dans l’état de nature, et l’on se sent saisi d’admiration à l’aspect de tant de charmes réunis sur une même personne.

      Cependant, comme ceux qui l’environnent, le sang de la race rouge coule dans ses veines. Mais, ainsi que le captif, elle n’appartient pas à la même tribu, car ses traits nobles et réguliers ne sont pas déformés comme les leurs par ce morceau de bois ou d’os, logé entre la lèvre inférieure et les gencives, qui leur vaut le nom de Grosses-Babines.

      Sans la brune couleur de sa carnation et sans la légère saillie de ses pommettes, on la prendrait aisément pour une des suaves créations de l’Albane, tant son buste est délicatement modelé.

      Elle a une chevelure abondante, dont les boucles soyeuses, aussi noires que l’ébène, aussi brillantes que les reflets du raisin mur, tombent en grappes pressées sur un col ciselé au tour. Dans le cadre de cette chevelure, ressortent les linéaments d’un visage où la fierté habituelle de l’expression le dispute à une mélancolie passagère. Si les lignes de sa figure manquent jusqu’à un certain point de symétrie; si elles sont un peu dures, il s’échappe de ses grands yeux bruns un rayon de sensibilité qui va droit au cœur.

      La richesse de sa taille porte le trouble dans les sens. Elle rappelle les meilleurs modèles de l’antiquité. Une Européenne envierait ses mains menues et longues; leurs attaches sont souples, ainsi que celles de sa jambe, fine, nerveuse, qui annonce l’agilité jointe à la vigueur.

      Au cri de souffrance lâché par cette superbe créature, répondit un cri d’angoisse.

      Il fut proféré par l’Indien lié à l’arbre dont nous avons parlé.

      Le malheureux fit une puissante mais vaine tentative pour briser ses entraves.

      La femme et lui s’échangèrent un profond regard, – regard d’anxiété, de consolation, d’espérance et d’amour, – puis, elle se jeta à bas du bûcher.

      Alors, elle opéra un mouvement pour voler vers lui. Mais, des mains rudes, lourdes comme le métal, s’abattirent sur ses épaules et la retournèrent brusquement vers le feu.

      – Que ma sœur remplisse son devoir comme il convient à l’épouse d’un grand chef, dit un des sauvages en faisant un signe à ses compagnons.

      Les voix de ceux-ci montèrent sur un diapason plus aigu.

      Ramenée СКАЧАТЬ