La prisonnière. Marcel Proust
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La prisonnière - Marcel Proust страница 25

Название: La prisonnière

Автор: Marcel Proust

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ Non, au contraire ; ce qui est possible, c’est que je vienne avec vous. – Ah ! » fit Andrée d’une voix fort ennuyée et comme effrayée de mon audace, qui ne fit du reste que s’en affermir. « Alors, je vous quitte et pardon de vous avoir dérangée pour rien. – Mais non », dit Andrée et (comme maintenant, l’usage du téléphone étant devenu courant, autour de lui s’était développé l’enjolivement de phrases spéciales, comme jadis autour des « thés ») elle ajouta : « Cela m’a fait grand plaisir d’entendre votre voix. »

      J’aurais pu en dire autant, et plus véridiquement qu’Andrée, car je venais d’être infiniment sensible à sa voix, n’ayant jamais remarqué jusque-là qu’elle était si différente des autres. Alors, je me rappelai d’autres voix encore, des voix de femmes surtout, les unes ralenties par la précision d’une question et l’attention de l’esprit, d’autres essoufflées, même interrompues, par le flot lyrique de ce qu’elles racontent ; je me rappelai une à une la voix de chacune des jeunes filles que j’avais connues à Balbec, puis de Gilberte, puis de ma grand’mère, puis de Mme de Guermantes ; je les trouvai toutes dissemblables, moulées sur un langage particulier à chacune, jouant toutes sur un instrument différent, et je me dis quel maigre concert doivent donner au paradis les trois ou quatre anges musiciens des vieux peintres, quand je voyais s’élever vers Dieu, par dizaines, par centaines, par milliers, l’harmonieuse et multisonore salutation de toutes les Voix. Je ne quittai pas le téléphone sans remercier, en quelques mots propitiatoires, celle qui règne sur la vitesse des sons, d’avoir bien voulu user en faveur de mes humbles paroles d’un pouvoir qui les rendait cent fois plus rapides que le tonnerre, mais mes actions de grâce restèrent sans autre réponse que d’être coupées.

      Quand Albertine revint dans ma chambre, elle avait une robe de satin noir qui contribuait à la rendre plus pâle, à faire d’elle la Parisienne blême, ardente, étiolée par le manque d’air, l’atmosphère des foules et peut-être l’habitude du vice, et dont les yeux semblaient plus inquiets parce que ne les égayait pas la rougeur des joues.

      « Devinez, lui dis-je, à qui je viens de téléphoner ? À Andrée. – À Andrée ? » s’écria Albertine sur un ton bruyant, étonné, ému, qu’une nouvelle aussi simple ne comportait pas. « J’espère qu’elle a pensé à vous dire que nous avions rencontré Mme Verdurin l’autre jour. – Madame Verdurin ? je ne me rappelle pas », répondis-je en ayant l’air de penser à autre chose, à la fois pour sembler indifférent à cette rencontre et pour ne pas trahir Andrée qui m’avait dit où Albertine irait le lendemain.

      Mais qui sait si elle-même, Andrée, ne me trahissait pas, et si demain elle ne raconterait pas à Albertine que je lui avais demandé de l’empêcher, coûte que coûte, d’aller chez les Verdurin, et si elle ne lui avait pas déjà révélé que je lui avais fait plusieurs fois des recommandations analogues. Elle m’avait affirmé ne les avoir jamais répétées, mais la valeur de cette affirmation était balancée dans mon esprit par l’impression que depuis quelque temps s’était retirée du visage d’Albertine la confiance qu’elle avait eue si longtemps en moi.

      Ce qui est curieux, c’est que, quelques jours avant cette dispute avec Albertine, j’en avais déjà eu une avec elle, mais en présence d’Andrée. Or Andrée, en donnant de bons conseils à Albertine, avait toujours l’air de lui en insinuer de mauvais. « Voyons, ne parle pas comme cela, tais-toi », disait-elle, comme au comble du bonheur. Sa figure prenait la teinte sèche de framboise rose des intendantes dévotes qui font renvoyer un à un tous les domestiques. Pendant que j’adressais à Albertine des reproches que je n’aurais pas dû, elle avait l’air de sucer avec délices un sucre d’orge. Puis elle ne pouvait retenir un rire tendre. « Viens Titine, avec moi. Tu sais que je suis ta petite soeurette chérie. » Je n’étais pas seulement exaspéré par ce déroulement doucereux, je me demandais si Andrée avait vraiment pour Albertine l’affection qu’elle prétendait. Albertine, qui connaissait Andrée plus à fond que je ne la connaissais, ayant toujours des haussements d’épaules quand je lui demandais si elle était bien sûre de l’affection d’Andrée, et m’ayant toujours répondu que personne ne l’aimait autant sur la terre, maintenant encore je suis persuadé que l’affection d’Andrée était vraie. Peut-être dans sa famille riche, mais provinciale, en trouverait-on l’équivalent dans quelques boutiques de la Place de l’Évêché, où certaines sucreries passent pour « ce qu’il y a de meilleur ». Mais je sais que pour ma part, bien qu’ayant toujours conclu au contraire, j’avais tellement l’impression qu’Andrée cherchait à faire donner sur les doigts à Albertine que mon amie me devenait aussitôt sympathique et que ma colère tombait.

      La souffrance dans l’amour cesse par instants, mais pour reprendre d’une façon différente. Nous pleurons de voir celle que nous aimons ne plus avoir avec nous ces élans de sympathie, ces avances amoureuses du début, nous souffrons plus encore que, les ayant perdus pour nous, elle les retrouve pour d’autres ; puis, de cette souffrance-là, nous sommes distraits par un mal nouveau plus atroce, le soupçon qu’elle nous a menti sur sa soirée de la veille, où elle nous a trompé sans doute ; ce soupçon-là aussi se dissipe, la gentillesse que nous montre notre amie nous apaise, mais alors un mot oublié nous revient à l’esprit ; on nous a dit qu’elle était ardente au plaisir ; or nous ne l’avons connue que calme ; nous essayons de nous représenter ce que furent ces frénésies avec d’autres, nous sentons le peu que nous sommes pour elle, nous remarquons un air d’ennui, de nostalgie, de tristesse pendant que nous parlons, nous remarquons comme un ciel noir les robes négligées qu’elle met quand elle est avec nous, gardant pour les autres celles avec lesquelles, au commencement, elle nous flattait. Si, au contraire, elle est tendre, quelle joie un instant ! mais en voyant cette petite langue tirée comme pour un appel, nous pensons à celles à qui il était si souvent adressé que, même peut-être auprès de moi, sans qu’Albertine pensât à elles, il était demeuré, à cause d’une trop longue habitude, un signe machinal. Puis le sentiment que nous l’ennuyons revient. Mais brusquement cette souffrance tombe à peu de chose en pensant à l’inconnu malfaisant de sa vie, aux lieux impossibles à connaître où elle a été, est peut-être encore, dans les heures où nous ne sommes pas près d’elle, si même elle ne projette pas d’y vivre définitivement, ces lieux où elle est loin de nous, pas à nous, plus heureuse qu’avec nous. Tels sont les feux tournants de la jalousie.

      La jalousie est aussi un démon qui ne peut être exorcisé, et revient toujours incarner une nouvelle forme. Puissions-nous arriver à les exterminer toutes, à garder perpétuellement celle que nous aimons, l’Esprit du Mal prendrait alors une autre forme, plus pathétique encore, le désespoir de n’avoir obtenu la fidélité que par force, le désespoir de n’être pas aimé.

      Entre Albertine et moi il y avait souvent l’obstacle d’un silence fait sans doute de griefs qu’elle taisait parce qu’elle les jugeait irréparables. Si douce qu’Albertine fût certains soirs, elle n’avait plus de ces mouvements spontanés que je lui avais connus à Balbec quand elle me disait : « Ce que vous êtes gentil tout de même ! » et que le fond de son cœur semblait venir à moi sans la réserve d’aucun des griefs qu’elle avait maintenant et qu’elle taisait, parce qu’elle les jugeait sans doute irréparables, impossibles à oublier, inavoués, mais qui n’en mettaient pas moins entre elle et moi la prudence significative de ses paroles ou l’intervalle d’un infranchissable silence.

      « Et peut-on savoir pourquoi vous avez téléphoné à Andrée ? – Pour lui demander si cela ne la contrarierait pas que je me joigne à vous demain et que j’aille ainsi faire aux Verdurin la visite que je leur promets depuis la Raspelière. – Comme vous voudrez. Mais je vous préviens qu’il y a un brouillard atroce ce soir et qu’il y en aura sûrement encore demain. Je vous dis cela parce que je ne voudrais pas que cela vous fasse mal. Vous pensez bien que pour moi je préfère que vous veniez avec nous. Du reste, ajouta-t-elle d’un air préoccupé, je ne sais pas du tout si j’irai chez les Verdurin. Ils m’ont fait tant de СКАЧАТЬ