Название: Double-Blanc
Автор: Fortuné du Boisgobey
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Et comme la jeune fille regardait Alain, Scaër se hâta d’ajouter:
– Vous verrez votre ami tous les jours, je vous le promets. Et je ferai en sorte qu’il ne soit plus obligé de gagner misérablement sa vie, en figurant sur un théâtre. Il a sauvé la mienne. Je serai toujours son obligé… mais ne parlons pas de cela, et laissez-moi m’émerveiller de l’aventure qui vous a procuré cet abri. Étrange logis!… Étrangement meublé!… Plus étrange encore la femme providentielle que vous avez rencontrée sur le boulevard Saint-Michel! Et je me demande qui a pu habiter ici avant vous.
– Personne, je crois bien, dit Alain. Les meubles avaient l’air d’avoir été emmagasinés pêle-mêle après le décès d’un locataire. Et ils ne valaient pas la peine que je me suis donnée pour les raccommoder. Ils ne tenaient pas debout. Le lit n’avait que trois pieds, et les chaises n’en avaient plus du tout. Eh! bien, il a un avantage, ce pauvre logement… il est au midi, et dès qu’il fait un rayon de soleil, Zina en profite.
– C’est si bon, le soleil, murmura la malade.
– Et puis on a une vue superbe, par-dessus les maisons… la tour de l’église Saint-Séverin, le clocher de Saint-Étienne-du-Mont, le dôme du Panthéon… et de l’air, du bon air qui fait tant de bien à Zina.
– Alors je vais ouvrir la fenêtre, dit Hervé, après avoir consulté des yeux la jeune femme.
Il l’ouvrit toute grande et la malade le remercia d’un signe de tête.
Alain avait dit vrai: la vue était très étendue et surtout très originale.
La maison où perchait le pauvre ménage dominait toutes celles qui lui faisaient vis-à-vis de l’autre côté de la rue. Sur la rive gauche de la Seine, le terrain s’élève en pente douce depuis la rivière jusqu’au sommet de la montagne Sainte-Geneviève et, au-dessus des toits accidentés qui s’étageaient comme les vagues d’une mer houleuse, où les cheminées figuraient assez bien des récifs, se dressait la colossale coupole du Panthéon.
Ce paysage étrange ne rappelait pas du tout à Hervé les landes fleuries de sa Bretagne, mais Hervé prit plaisir à le contempler, parce que le spectacle était nouveau pour un homme qui n’a jamais logé dans un grenier, – même à vingt ans.
C’était Paris vu d’en haut, comme le voient les oiseaux qui volent dans le ciel et les ouvrières qui travaillent dans les mansardes.
Au-dessous de cet observatoire, où Zina cultivait des fleurs, au mépris des règlements de police, s’étendait, comme un fossé profond, la rue de la Huchette, étroite et sombre, presque silencieuse, car les voitures n’y passent guère, et, même le mardi gras, on n’y rencontre pas de mascarades.
En avançant la tête, Hervé vit à sa droite une coupure et reconnut une ruelle devant laquelle il avait passé en venant du boulevard Saint-Michel.
Le logement occupait un des angles du quadrilatère et devait avoir aussi des ouvertures sur cette voie latérale qui aboutissait au quai.
– Décidément, vous êtes ici comme dans une citadelle… pas de voisins… pas de murs mitoyens… personne n’entrera chez toi sans ta permission… surtout si, quand tu t’absentes, tu as soin de fermer la porte de la rue de la Huchette.
– Je n’y manque jamais, notre maître. Vous l’avez trouvée ouverte parce que je venais de rentrer, mais, le soir, quand je sors pour aller au théâtre, je la ferme à double tour et j’emporte la clef.
– Et tu n’as pas peur de laisser ta petite femme toute seule!
– J’y suis habituée, dit la malade en souriant tristement. Il faut bien que mon cher Alain gagne notre vie, puisque je ne peux plus travailler… mais, je l’avoue, je préfèrerais qu’il eût un autre état.
– Comment diable! a-t-il eu l’idée de se faire figurant?
– Quand notre patron m’a renvoyée, parce que je ne pouvais plus danser, le garçon qu’il a engagé pour remplacer Alain a eu pitié de nous. Il avait joué des bouts de rôles au Châtelet. Il nous a adressés au régisseur qui n’a pas voulu de moi, mais qui a pris Alain tout de suite.
– Et Alain s’est fait au métier…, lui, un gars de Trégunc, qui ne savait que garder les chèvres et qui ne parlait que le bas-breton!
– Pardon, notre maître, dit Alain; en voyageant avec la troupe du vieux Zika, j’avais appris à faire la parade devant la baraque. C’est plus difficile que de figurer.
– D’accord; seulement, je ne te vois pas bien en homme d’armes du moyen âge ou en seigneur de la cour de Louis XIV… et je te vois encore moins en paillasse. Mais il ne s’agit pas de cela; il s’agit de guérir ta femme. As-tu seulement un médecin qui la soigne?
– Hélas! non, monsieur Hervé. Elle allait à la consultation gratuite… à l’Hôtel-Dieu… elle n’y va plus… elle n’aurait plus la force de descendre et de remonter cinq étages.
– Donc, il faut qu’elle sorte de ce grenier… et le plus tôt sera le mieux. Dès demain, je m’occuperai de la faire admettre dans une maison de santé.
Et comme Alain baissait le nez, sans mot dire:
– Bon! reprit Hervé, je devine… tu ne veux pas te séparer d’elle. Eh! bien, qu’à cela ne tienne! Je vous trouverai un logement que vous habiterez tous les deux et où rien ne manquera à ta chère malade. Tu ne tiens pas à rester ici, je suppose?
– Oh! non.
– Et tu veux bien entrer à mon service?
– Oh! oui.
– Alors, je te prends, dès à présent… et quand je dis: à mon service, je n’entends pas: comme domestique. Le fils de Pierre Kernoul n’est pas fait pour porter la livrée et je n’ai pas besoin de valet de chambre, puisque présentement je demeure à l’hôtel; mais je puis avoir besoin d’un homme dévoué… quand ce ne serait que pour veiller au grain, comme on dit chez nous. Ce chenapan qui m’a suivi l’autre nuit recommencera peut-être. Tu seras mon garde du corps.
– Oh! pour ça, notre maître, comptez sur moi.
– Et, je te le répète, tu ne quitteras pas ta femme. Je vous caserai dans mon quartier, près de la place Vendôme. Tu viendras tous les matins prendre mes ordres pour la journée, mais tu ne seras plus obligé d’aller figurer, le soir, sur la scène du Châtelet… ni de te déguiser en clodoche, ajouta gaiement Hervé. Je pense que ça ne te fera pas de peine.
Alain ne répondit que par un geste expressif. Il était si ému que les mots ne lui venaient pas pour remercier.
Zina pleurait de joie.
– C’est convenu, reprit Scaër, et ce sera l’affaire de quelques jours. En attendant que vous déménagiez, je reviendrai vous voir… et je vous amènerai peut-être une dame qui s’intéresse aux malades… Mais non, au fait! celle qui vous héberge gratuitement vous a recommandé de ne recevoir personne… il faut éviter de la mécontenter, tant que vous serez chez elle… mais quand tu partiras, mon gars, tu feras bien, je crois, de ne pas lui dire où tu vas. Je ne sais pourquoi cette bienfaitrice d’occasion m’est suspecte.
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