Название: Monsieur Lecoq
Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
isbn:
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Il en existait une. Un léger portillon de lattes, comme le reste, tournant dans des gonds de gros fil de fer, maintenu par un taquet de bois, permettait d’entrer et de sortir de ce côté.
Eh bien ! c’est droit à ce portillon que les pas marqués sur la neige conduisirent les deux agents de la sûreté.
Cette particularité devait frapper le jeune policier. Il s’arrêta court.
– Oh !… murmura-t-il comme en aparté, ces deux femmes ne venaient pas ce soir à la Poivrière pour la première fois.
– Tu crois, garçon ? interrogea le père Absinthe.
– Je l’affirmerais presque. Comment, sans l’habitude des êtres de ce bouge, soupçonner l’existence de cette issue ? L’aperçoit-on, par cette nuit obscure, avec ce brouillard épais ? Non, car moi qui, sans me vanter, ai de bons yeux, je ne l’ai pas vue….
– Ça, c’est vrai !…
– Les deux femmes y sont venues, pourtant, sans hésitation, sans tâtonnements, en ligne directe ; et notez qu’il leur a fallu traverser diagonalement le jardin.
Le vétéran eût donné quelque chose pour avoir une petite objection à présenter, le malheur est qu’il n’en trouva pas.
– Par ma foi ! fit-il, tu as une drôle de manière de procéder. Tu n’es qu’un conscrit, je suis un vieux de la vieille, j’ai assisté, en ma vie, à plus d’enquêtes que tu n’as d’années, et jamais je n’ai vu….
– Bast !… interrompit Lecoq, vous en verrez bien d’autres. Par exemple, je puis vous apprendre, pour commencer, que si les femmes savaient la situation exacte du portillon, l’homme ne la connaissait que par ouï-dire….
– Oh ! pour le coup !…
– Cela se démontre, papa. Étudiez les empreintes du gaillard, et vous qui êtes malin, vous reconnaîtrez qu’en venant il a diablement dévié. Il était si peu sûr de son affaire que, pour trouver l’ouverture il a été obligé de la chercher, les mains en avant… et ses doigts ont laissé des traces sur la mince couche de neige qui recouvre la clôture.
Le bonhomme n’eût point été fâché de se rendre compte par lui-même, ainsi qu’il le disait, mais Lecoq était pressé.
– En route, en route ! dit-il, vous vérifierez mes assertions une autre fois….
Ils sortirent alors du jardinet, et s’attachèrent aux empreintes qui remontaient vers les boulevards extérieurs, en appuyant toutefois un peu sur la droite dans la direction de la rue du Patay.
Point n’était besoin d’une attention soutenue. Personne, hormis les fugitifs, ne s’était aventuré dans ces parages déserts depuis la dernière tombée de neige. Un enfant eût suivi la voie, tant elle était claire et distincte.
Quatre empreintes, très différentes, formaient la piste : deux étaient celles des femmes ; les deux, autres, l’une à l’aller, l’autre au retour, avaient été laissées par l’homme.
À diverses reprises, ce dernier avait posé le pied juste sur les pas des deux femmes, les effaçant à demi, et ainsi il ne pouvait subsister de doutes quant à l’instant précis de la soirée où il était venu épier.
À cent mètres environ de la Poivrière, Lecoq saisit brusquement le bras de son vieux collègue.
– Halte !… commanda-t-il, nous approchons du bon endroit, j’entrevois des indices positifs.
L’endroit était un chantier abandonné, ou plutôt la réserve d’un entrepreneur de bâtisses. Il s’y trouvait déposés selon le caprice des charretiers quantité d’énormes blocs de pierre, les uns travaillés, les autres bruts, et bon nombre de grandes pièces de bois grossièrement équarries.
Devant un de ces madriers, dont la surface avait été essuyée, toutes les empreintes se rejoignaient, se mêlaient et se confondaient.
– Ici, prononça le jeune policier, nos fugitives ont rencontré l’homme, et tenu conseil avec lui. L’une d’elles, celle qui a les pieds si petits, s’est assise.
– C’est ce dont nous allons nous assurer plus amplement, fit d’un ton entendu le père Absinthe.
Mais son compagnon coupa court à ces velléités de vérification.
– Vous, l’ancien, dit-il, vous allez me faire l’amitié de vous tenir tranquille ; passez-moi la lanterne et ne bougez plus…
Le ton modeste de Lecoq était devenu soudainement si impérieux que le bonhomme n’osa lui résister.
Comme le soldat au commandement de fixe, il resta planté sur ses jambes, immobile, muet, penaud, suivant d’un œil curieux et ahuri les mouvements de son collègue.
Libre de ses allures, maître de manœuvrer la lumière selon la rapidité de ses idées, le jeune policier explorait les environs dans un rayon assez étendu.
Moins inquiet, moins remuant, moins agile, est le limier qui quête.
Il allait, venait, tournait, s’écartait, revenait encore, courant ou s’arrêtant sans raison apparente ; il palpait, il scrutait, il interrogeait tout : le terrain, les bois, les pierres et jusqu’aux plus menus objets ; tantôt debout, le plus souvent à genoux, quelquefois à plat ventre, le visage si près de terre que son haleine devait faire fondre la neige.
Il avait tiré un mètre de sa poche, et il s’en servait avec une prestesse d’arpenteur, il mesurait, mesurait, mesurait….
Et tous ces mouvements, il les accompagnait de gestes bizarres comme ceux d’un fou, les entrecoupant de jurons ou de petits rires, d’exclamations de dépit ou de plaisir.
Enfin, après un quart d’heure de cet étrange exercice, il revint près du père Absinthe, posa sa lanterne sur le madrier, s’essuya les mains à son mouchoir et dit :
– Maintenant, je sais tout.
– Oh !… c’est peut-être beaucoup.
– Quand je dis tout, je veux dire tout ce qui se rattache à cet épisode du drame qui là-bas, chez la veuve Chupin, s’est dénoué dans le sang. Ce terrain vague, couvert de neige, est comme une immense page blanche où les gens que nous recherchons ont écrit, non-seulement leurs mouvements et leurs démarches, mais encore leurs secrètes pensées, les espérances et les angoisses qui les agitaient. Que vous disent-elles, papa, ces empreintes fugitives ? Rien. Pour moi, elles vivent comme ceux qui les ont laissées, elles palpitent, elles parlent, elles accusent !…
À part soi, le vieil agent de la sûreté se disait :
– Certainement, ce garçon est intelligent ; il a des moyens, c’est incontestable, seulement il est toqué.
– Voici donc, poursuivait Lecoq, la scène que j’ai lue. Pendant que le meurtrier se rendait à la Poivrière, avec les deux femmes, son compagnon, je l’appellerai son complice, venait l’attendre ici. C’est un homme d’un certain âge, de haute taille, – il a au moins un mètre quatre-vingts, – coiffé d’une casquette molle, vêtu d’un СКАЧАТЬ